Boréal

L'oeuvre d'une vie

Rachel Cusk
27,95 $

La destinée biologique des femmes se dresse toujours au milieu des ruines de leur inégalité. En m’en rapprochant, j’ai l’impression de quitter le chemin tout tracé de ma vie, d’avancer, mais en voyant s’ouvrir devant moi une distance infranchissable ; comme si j’étais montée à bord d’un train par la vitre duquel j’aperçois la route que j’emprunte depuis toujours, la route que le train a un moment longé avant de prendre de la vitesse et de s’éloigner inéluctablement, vers l’est ou vers l’ouest, en direction d’un paysage de collines inconnues, laissant tout le reste derrière lui. Devenir mère, c’est faire la découverte de la contradiction. La maternité est à la fois une expérience courante et impossible à imaginer. Elle est prosaïque et auréolée de mystère. Tour à tour banale, bizarre, fascinante, épuisante, drôle et désastreuse. Devenir mère, c’est être l’actrice principale d’un drame existentiel auquel personne n’assiste. C’est le basculement soudain d’une vie ordinaire à un fouillis de passions étranges et puissantes, d’amour et de servitude, d’isolement et de compassion. Dans L’Œuvre d’une vie, Rachel Cusk dissèque avec un humour cinglant la condition de mère moderne. Le récit aussi honnête qu’impitoyable qu’elle livre de sa première année de maternité se déploie en une multitude d’histoires, d’intrigues et d’anecdotes : un adieu à la liberté et au sommeil; une leçon d’humilité et de dévouement; un voyage jusqu’aux confins de l’amour; une méditation sur la folie et la mortalité; et surtout une initiation brutale au monde des nourrissons, des pleurs incessants aux coliques en passant par les difficultés d’allaitement, les mauvais conseils des manuels de puériculture ou le mépris de certains médecins. Et toujours cette impression d’être dépossédée du temps qui autrefois lui appartenait. Ce livre percutant, écrit dans une langue qui refuse toute simplification, offre un portrait sans concession des débuts de la maternité, trop souvent réduits à un état de symbiose vécu dans le confort du cocon familial. C’est aussi la réflexion lucide d’une romancière devenue mère qui s’interroge sur le rapport trouble et à jamais transformé qu’elle entretient avec l’acte de créer.

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