Retourner au bois

Caroline R. Paquette
Photo: Matt Ayotte
Publié le :
Libre entreprise

Retourner au bois

Loïc Bard a entrepris une sorte de retour aux sources en lançant son entreprise de conception de meubles et d’objets en bois. Mais son parcours d’homme d’affaires, lui, commence tout juste. Regard sur les joies (et misères) d’un créateur-entrepreneur d’ici.

L’entreprise

Loïc Bard / Meubles, lampes et bijoux en bois / Montréal.


La petite histoire

C’est dans un atelier d’ébénisterie du village de Saulx-le-Duc, en Bourgogne, que Loïc Bard a passé une grande partie de son adolescence, à travailler une matière qu’il allait retrouver avec bonheur plusieurs années plus tard. Dans l’intervalle: des études puis un boulot en biologie moléculaire et en recherche agronomique, un déménagement au Québec et un nouvel emploi, en immunologie cette fois. «J’adorais la recherche. Mais je me suis rendu compte que la structure d’une grosse entreprise ne correspondait pas du tout à mes méthodes de travail.» Un an et demi après son arrivée dans la province, en 2007, il s’inscrit donc à l’École d’ébénisterie d’art de Montréal. Peu angoissé à l’idée de quitter un boulot stable, il s’inquiète surtout à la perspective de retourner sur les bancs d’école au début de la trentaine. À tort, constate-t-il rapidement: «Ici, les gens ont beaucoup plus de mobilité. Il y a moins de barrières qu’en France, où c’est plutôt rare de laisser son emploi.» Son entreprise nait en 2012, alors que son projet de fin d’études, la lampe Capside, figure parmi les lauréats des Grands Prix du design.


Le concept

«Quand je crée, je travaille d’abord la forme. Puis j’ajoute une fonction à l’objet... J’essaie vraiment de concilier les deux.» Ses créations de bois vont des lampes et des bijoux à différents modèles de meubles—tables, étagères, commodes, notamment. Si le designeur privilégie les essences d’Amérique du Nord, telles que l’érable, le merisier et le noyer noir, c’est d’abord en raison de «leurs propriétés exceptionnelles et de la gamme de couleurs», et non pour s’inscrire absolument dans la mouvance de l’achat local. Les grandes entreprises ne peuvent offrir la même qualité, estime-t-il, et ne peuvent personnaliser les commandes comme les artisans le font. Là où elles ont une longueur d’avance, c’est sur le plan des prix, très bas, auxquels elles ont habitué les consommateurs: «Elles ont réussi à “éduquer” les gens, alors que ce travail aurait dû être fait par nous. Ça fausse la valeur des choses.» En plus de ses prototypes et de ses pièces uniques, Loïc Bard propose des objets en mini-séries. Cela lui permet de diminuer ses couts, d’en vendre des exemplaires dans les salons et d’en proposer à des boutiques—elles sont quatre ou cinq à distribuer ses créations à Montréal, plus une à Toronto et une à Boston. Il n’a pas un énorme volume de production, sauf en ce qui concerne ses fameuses lampes Capside; il vise d’ailleurs à trouver un éditeur qui s’occuperait de les produire et de les commercialiser, afin de pouvoir se consacrer davantage à la création et, bien sûr, de bénéficier d’un plus grand réseau de distribution.


  • La lampe Capside
    Photo: Andy Long Hoang

La clientèle et la promotion

La clientèle de l’ébéniste de 36 ans se compose surtout de particuliers beaucoup de femmes, semble-t-il—et de quelques entreprises souhaitant aménager leurs bureaux. Ces dernières ont une certaine volonté de trouver l’objet unique, celui qui pourra donner du caractère à leur espace. Loïc Bard y voit d’ailleurs une tendance à laquelle n’échappent pas les gros marchés: «À Londres [pendant la Clerkenwell Design Week], j’ai même été approché par une personne qui vend du mobilier pour les hôpitaux!» Son site de vente en ligne est accessible depuis environ un an, ce qui lui amène une clientèle de plus en plus internationale. Les salons, aussi, lui permettent de se faire connaitre; les retombées de cette visibilité se traduisent souvent en une recrudescence des commandes, ou encore en vagues de promotion. L’évènement new-yorkais Wanted Design, en mai 2013, lui a justement ouvert les portes de nombreuses publications internationales. Étonnamment, ce sont surtout les gens à l’extérieur du Québec qui lui achètent de gros meubles: «Je suis un peu déçu par rapport à ma clientèle locale; je n’ai pas encore réussi à la rejoindre.» Cela dit, il note que l’attachement à l’objet n’est pas le même ici qu’en Europe, où on le sacralise et le transmet de génération en génération. Il croit aussi qu’il devrait y avoir une volonté politique de faire connaitre le design québécois auprès du public. «Il n’y a pas assez d’investissement à ce niveau-là. Quand on met les moyens, ça marche toujours.»


Les projets

Si Loïc Bard arrive maintenant à vivre de son art, il reconnait que la première année a été très difficile financièrement. Il porte tous les chapeaux, de la création au markéting; un mode de vie très prenant et très stimulant à la fois, puisque cela lui permet de s’assurer que chaque étape lui ressemble. N’empêche, il aimerait bien se constituer une petite équipe éventuellement, question de favoriser la réflexion, parce que «la critique fait avancer». L’aspect le moins naturel pour lui? «Me vendre. J’ai du mal à négocier, à concrétiser un marché. J’apprends petit à petit!» En attendant, il souhaite collaborer avec d’autres artisans, du textile par exemple, pour le plaisir de marier des visions et des matériaux différents. Ou encore nouer un lien solide avec un architecte, et se donner le défi d’habiller une maison. 

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