Pour nous décoloniser

Hugo Latulippe
Photo: Jeremy Bishop
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Pour nous décoloniser

Les péplums hollywoodiens font courir les foules au Québec depuis toujours, mais un homme de cinéma, Hugo Latulippe en l'occurrence, appelle à la résistance culturelle. Voici un extrait de Pour nous libérer les rivières, son essai paru chez Atelier 10.

«Je me bats contre la petitesse de l’univers de mes parents, la petitesse du pays et de la ville dans lesquels j’ai choisi de vivre.»

Robert Lepage

Comme nous tous, j’ai été gavé d’histoires de gringos durant mon enfance. Devrais-je plutôt dire de ces trois ou quatre histoires au dénouement prévisible—toujours les mêmes? Le scénariste que je suis pense que oui. Hollywood est un système de schémas très simples, une machine à composer des variations de la matrice.

La narration du monde qui en résulte est le corollaire de la société de consommation; elle nous colonise de l’intérieur depuis si longtemps qu’elle compose la trame générale de l’imaginaire des Québécois, comme de celle des Islandais, des Jordaniens, des Indiens.

Nous savons par exemple au premier coup d’œil que l’homme blanc d’âge moyen qui a juste assez de répartie, juste assez de défauts, juste assez d’autodérision et juste assez de sex appeal est le héros, et que c’est lui que nous devrons suivre dans le cadre.

Cet environnement mental que nous connaissons par cœur est notre salon, notre confort. C’est ce qui fait dire à des tas de gens, le vendredi soir, qu’ils «ne veulent pas se casser la tête». Ce qui signifie qu’ils veulent rejoindre le La-Z-Boy intérieur d’un film qui répétera les codes qu’ils ont appris et assimilés. Notre corps connait le chemin.

Ce schéma mathématique n’est pas une forme de l’art. Plutôt un véhicule idéologique pour tous les stéréotypes carnassiers qui président à la destruction des sociétés et des écosystèmes du monde. Hollywood est une vitrine de tout ce qui se vend et s’achète.

L’art est une volonté de subversion, existentielle ou sociétale, une expression poétique d’une réalité insoutenable. Le travail de l’artiste est avant tout de combattre, par des gestes poétiques, les consensus de l’époque qui formatent les esprits.

Mathieu Roy

Et quoi qu’en disent une bonne part de mes camarades souverainistes encore attachés à l’expression société distincte, j’en suis venu à penser que du point de vue culturel, nous ne sommes dans les faits pas très loin d’être des Américains comme les autres. L’écrasante majorité des films que les Québécois vont voir en salle sont américains; 87% en 2016, pour être précis. Nous sommes colonisés jusqu’à la moelle. Comment peut-on prétendre construire une société distincte avec les rêves des autres?

Pierre Falardeau ne s’y trompait pas sur l’absence de cohérence (de tonus?) des Québécois de sa génération. Il a créé l’allégorie d’Elvis Gratton pour nous parler de nous et de nos contradictions. «Think big, stie!» À coups de poing, Falardeau nous a dit: on ergote abondamment dans nos salons et autour de la table—on pérore, on a de la superbe—sur la différence québécoise, mais notre empreinte dans le monde n’a peut-être, au final, pas grandchose de distincte. 

J’essaie pour ma part d’en voir le moins possible, des films hollywoodiens. C’est ma petite rigidité assumée. Ma résistance. Je suis de très mauvaise foi. Je ne peux m’empêcher de percevoir dans ce projet d’exportation culturelle un mouvement d’homogénéisation de nos sensibilités, aligné sur la psyché coloniale, moraliste et capitaliste américaine. Et par solidarité à l’égard des imaginaires du reste de l’humanité, je refuse aux Yankees l’accès à mon jardin privé. Je me dis qu’ils ne m’auront pas.


Cinéaste et producteur, Hugo Latulippe travaille depuis 30 ans dans le milieu du cinéma au Québec. Il a réalisé plusieurs films et séries télé. Depuis 2023, il est le directeur général du Festival de cinéma de la ville de Québec.


Pour aller plus loin

Pour nous libérer les rivières, le 16e titre de notre collection Documents.

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