Calmer la frénésie par la pleine conscience

Isabelle Dumont
Photo: cottonbro
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Calmer la frénésie par la pleine conscience

Les journées passent trop rapidement. Nous sommes constamment stimulés et interpelés. La frontière entre la vie professionnelle et la vie privée est une passoire. Stress, anxiété, burnout, dépression, dispersion sont des réalités implacables de notre époque. S’il n’y a pas de recette magique pour rendre la vie moderne moins frénétique, des approches comme celle de la pleine conscience peuvent nous aider à atteindre un meilleur équilibre et une certaine sérénité. Et même changer 

Je n’étais pas particulièrement bien prédisposée à l’égard de la pleine conscience (mindfulness). Auparavant, mon contact avec le bouddhisme—dans lequel s’enracine la pratique méditative de la pleine conscience—se limitait au lounge du très cliché Bouddha Bar de New York, et la méditation semblait un peu trop ésotérique à mon gout. J’avais surtout entendu parler de la méditation «transcendantale» que pratiquaient les hippies de la côte ouest dans les années 1970. Pas très attirant.

Heureusement, si l’approche de la pleine conscience est liée à la pratique méditative, elle n’est pas ésotérique pour deux sous. «You’re not trying to get anywhere», dit gentiment le chercheur en psychologie Mark Williams dans l’une des méditations (le body scan) de son programme de huit semaines. L’idée n’est pas de transcender quoi que ce soit ni d’atteindre un état second, mais simplement de prendre conscience des sensations du corps et des mouvements de l’esprit en mettant en sourdine, pour un petit moment, le flux de nos pensées.

La pleine conscience propose de porter une attention particulière, exempte de tout jugement, sur l’expérience que nous vivons dans le moment présent (pensées, émotions, sensations). Elle nous aide à remarquer que nous sommes très souvent sur le pilote automatique, vivant au gré de nos habitudes enracinées et des mouvements involontaires de notre pensée. Il ne s’agit toutefois pas d’évaluer ou de juger nos expériences, mais bien d’en prendre acte et de canaliser notre attention sur ce que l’on vit dans le présent. La pleine conscience nous rappelle que nos pensées ne sont justement que des pensées, c’est-à-dire des constructions mentales, des interprétations conscientes ou inconscientes de notre réalité. Cette mise à distance nous permet de voir nos états mentaux un peu comme s’ils étaient des conditions météorologiques, qui changent continuellement. Un de ses plus grands bienfaits est le changement qu’elle peut opérer sur les ruminations qui jouent en boucle dans notre tête et qui nous dépriment, nous mettent en colère ou nous rendent anxieux.

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De façon concrète, il s’agit de focaliser notre attention sur notre respiration, sur une partie du corps, sur un mouvement, ou sur tout autre stimulus, et de ramener notre esprit au point focal choisi chaque fois qu’il se disperse. En ce sens, la pleine conscience est un entrainement constant de l’attention ou de la concentration. Lorsque nos ruminations nous font vivre des émotions négatives, la pratique de la pleine conscience nous aide à passer à travers l’orage. Il ne s’agit pas de jouer à l’autruche et de nier que nous avons des problèmes, mais bien de réaliser qu’il sera bien plus productif d’agir lorsque nous aurons pris une certaine distance par rapport à notre expérience intérieure. Cet entrainement peut se faire dans des moments de la vie quotidienne (les «pratiques informelles») et dans la pratique méditative.


La pleine conscience en psychothérapie

En tant que psychothérapeute et tout simplement en tant que femme cherchant à gérer le stress et l’anxiété, j’ai depuis longtemps une relation ambigüe avec la thérapie dite «cognitivo-comportementale» (TCC), dominante en psychologie clinique. La TCC a bien des vertus et demeure essentielle pour plusieurs types de problèmes, mais elle nous incite à porter un jugement négatif sur certaines de nos pensées, qui sont vues comme des «distorsions cognitives», et à vouloir les changer. Or, ce processus peut, paradoxalement, avoir pour effet d’augmenter notre niveau d’anxiété et notre sentiment d’échec.

Les TCC dites de troisième vague intègrent des approches comme celles de la pleine conscience. Elles nous invitent à reconnaitre la pensée ou l’émotion qui nous trouble, et ensuite à diriger notre attention vers le moment présent, question de passer à travers la tempête. L’objectif n’est pas, du moins dans un premier temps, de changer nos cognitions, mais plutôt de travailler sur la relation que nous entretenons avec ces dernières et les émotions qui y sont rattachées. Cette façon d’être nous incite à prendre conscience de notre tendance à juger nos pensées et nos affects en adoptant une attitude de bienveillance vis-à-vis de ces expériences.


Qui veut augmenter sa matière grise?

Une série d’études a démontré l’influence positive de la pratique de la pleine conscience sur notre bien-être. Son efficacité a été vérifiée dans le contexte de plusieurs troubles émotionnels, dont le traitement du trouble anxieux généralisé et de la détresse psychologique, ainsi que pour la prévention de la rechute auprès de personnes en rémission d’épisodes dépressifs majeurs et récurrents. L’efficacité de la pleine conscience a aussi été démontrée pour l’amélioration de la qualité de vie et la réduction des difficultés psychologiques associées à des maladies chroniques invalidantes, comme les douleurs chroniques, la fibromyalgie et le cancer.

La neuroscience, on le sait, a révélé plusieurs des bienfaits de la méditation. En plus d’avoir des effets positifs sur notre santé physique et émotionnelle, elle a aussi la capacité de changer l’activité de notre cerveau. Celui-ci est plastique, il se modifie en fonction de l’utilisation qu’on en fait. Il a été démontré que même la pratique à court terme (une semaine) de la méditation augmente l’activité cérébrale de la région préfrontale gauche, ce qui tend à faire diminuer le stress ressenti. Par ailleurs, un entrainement méditatif de plusieurs semaines peut provoquer une augmentation de la densité de la matière grise dans des régions clés du cerveau qui jouent un rôle dans le traitement de l’information. Il n’est pas invraisemblable de penser que la méditation sera éventuellement vue comme une condition de notre bien-être au même titre que l’activité physique.


Une affaire de filles?

L’approche de la pleine conscience m’a aidée à sortir indemne d’un épisode particulièrement éprouvant qui aurait facilement pu se transformer en épuisement professionnel prolongé. Mais certains pourraient penser que cette approche est surtout une affaire de filles. Ce n’est pas le cas. Mon conjoint, qui n’avait jamais médité et qui préfère de loin le jogging au yoga, est maintenant un adepte. Sa vie est trépidante, parfois trop. L’approche de la pleine conscience et les courtes méditations lui permettent de ralentir le flux des stimulus externes et de se recentrer sur ce qui compte vraiment. La pleine conscience n’est pas magique, mais elle fait maintenant partie de notre mode de survie pour le 21e siècle. 


Isabelle Dumont (PhD, TS) est chargée d’enseignement et superviseure à la Clinique de médecine familiale Notre-Dame, et professeure associée à la Faculté de médecine de l’Université McGill. Elle anime des groupes de soutien pour la Société canadienne du cancer et voit des clients au Centre d’éducation en psychologie.


Pour aller plus loin

Pleine conscience et acceptation. Les thérapies de la troisième vague, Ilios Kotsou et Alexandre Heeren, Éditions De Boeck, 2011.

Mindfulness: An Eight-Week Plan for Finding Peace in a Frantic World, Mark Williams and Danny Penman, Rodale Books, 2012.

The Mindful Way through Depression: Freeing Yourself from Chronic Unhappiness, Mark Williams, Jon Teasdale, Zindel Segal and Jon Kabat-Zinn, Guildford Press, 2007.

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