Réussir son deuil, sans étapes

Isabelle Dumont
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En traitement

Réussir son deuil, sans étapes

Et si le deuil ne passait pas nécessairement par une quête de sens et d’intenses ruminations mentales?

Trouver un sens à sa peine à travers les cinq étapes du deuil. Faire son deuil. Le deuil à vivre. Le travail de deuil. Surmonter l’épreuve du deuil. Ces titres, que l’on retrouve dans les sections «croissance personnelle» et «psychologie» des librairies, présentent le deuil comme une expérience impliquant nécessairement un douloureux travail intérieur, décomposé en étapes menant à l’acceptation de la perte. On connait bien ces étapes: le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation.

Or, des entrevues de recherche que j’ai menées auprès de personnes ayant accompagné un proche décédé d’un cancer me laissent croire que cette approche ne capte pas toute la réalité du deuil. Et une incursion récente dans les écrits scientifiques a confirmé que les réactions humaines face au deuil sont bien plus complexes que ne le suggère l’approche centrée sur les étapes, décrite par des auteurs reconnus comme Elisabeth Kübler-Ross et Jean Monbourquette. Si certaines personnes endeuillées peuvent s’identifier à l’approche «étapiste», plusieurs ont du mal à s’y reconnaitre.

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Selon le point de vue dominant, qui guide la plupart des interventions thérapeutiques auprès des endeuillés, il est nécessaire de passer par un douloureux travail intérieur, le «travail de deuil», qui permet d'accepter la perte et de définir un «avant» et un «après». Contrairement à cette hypothèse, les recherches ont montré que plusieurs s’adaptent sans s’engager dans une quête de sens et d’intenses ruminations mentales. Ces résultats devraient influencer la compréhension de ce que nous ou nos proches vivons à la suite d’une perte significative. En effet, il serait malheureux de qualifier d’anormales ou de blâmer les personnes qui ne semblent pas ressentir une douleur profonde ou qui ne s’attardent pas aux conséquences existentielles de la perte vécue. Il est plus juste de croire qu’elles utilisent des stratégies de coping qui mobilisent des techniques pratiques et concrètes pour diminuer le stress et le chagrin associés à l’expérience de deuil.


Le rôle des émotions

Les travaux du psychologue George A. Bonanno ont permis de mieux comprendre le processus de deuil. Même si ce dernier se vit différemment chez chaque personne, la plupart éprouvent un chagrin relié à la perte. Dans sa forme la plus pure, la tristesse est essentiellement de la résignation. Elle nous incite à nous centrer sur ce que nous vivons intérieurement; nous pouvons ainsi faire le point pour ensuite procéder aux ajustements qui s’imposent. Durant le processus de deuil, la tristesse devient un outil essentiel qui nous permet d’accueillir la perte et de nous y adapter en nous imposant de faire une pause. En effet, la tristesse nous ralentit, c’est-à-dire qu’elle freine nos fonctions biologiques pour que nous puissions faire un arrêt, d’où l’impression, pour certains, «de vivre au ralenti».

La tristesse s’oppose ainsi à la colère, qui prépare plutôt au combat. Toutefois, même si la tristesse est l’émotion le plus souvent ressentie dans le deuil, elle peut cohabiter avec la colère. La colère est également utile, car elle aide à faire face aux menaces, comme celles reliées au fait de reconstruire sa vie en l’absence de la personne décédée. En plus de la tristesse et de la colère, une panoplie d’autres émotions (culpabilité, solitude, amertume, etc.), souvent contradictoires, peuvent également envahir la personne qui vit une perte. L’important est d’être attentif à l’intensité et à la persistance de ces émotions, qui s’atténuent habituellement avec les jours et les mois qui passent.


Les réactions les plus fréquentes

Il existe, selon Bonanno, trois profils de réaction au deuil. La notion de résilience est au cœur des deux premiers. C’est cette résilience qui fait en sorte que la plupart d’entre nous ne percevons pas la douleur de la perte comme insurmontable et infinie. Elle fait appel à notre capacité d’établir un équilibre entre, d’une part, le stress et les difficultés auxquels nous sommes confrontés et, d'autre part, notre volonté de faire face à la situation en utilisant nos ressources personnelles et sociales.

Profil 1: douleur intense au début, puis rétablissement graduel qui se traduit par un retour à la vie normale. En d’autres termes, après un certain temps nécessaire à l’intégration de la perte, ces personnes vivent un rétablissement progressif, puis une reconstruction à partir de l’adversité.

Profil 2: grande tristesse allant jusqu’au bouleversement, mais capacité de retrouver rapidement l’équilibre et de continuer son chemin. Dans la théorie étapiste, ces personnes sont parfois vues, souvent à tort, comme étant en «déni».

Profil 3: ce que Bonanno appelle chagrin chronique et que d’autres nomment deuil persistant ou prolongé. Même après plusieurs mois et parfois plusieurs années, ces personnes se sentent toujours submergées par la douleur de la perte et éprouvent une très grande difficulté à retourner à leur vie quotidienne. Dans de tels cas, il est important de bien s’entourer et d’aller chercher l’aide d’un professionnel.


Retrouver son équilibre 

Comme toute autre émotion, le chagrin est mobile plutôt que stable. Nous pouvons tolérer la tristesse dans la mesure où elle va et vient dans une sorte de mouvement oscillatoire. Comme le mouvement d’un pendule, nous alternons constamment d’une émotion à l’autre: à un moment, notre attention porte sur notre douleur puis, l’instant d’après, notre esprit se tourne vers les personnes qui nous entourent et ce qui se passe dans le moment présent. Dans le deuil, ce mouvement oscillatoire nous permet de nous reposer un peu, en parlant à nos proches ou en nous divertissant, pour ensuite replonger dans la tristesse et ainsi poursuivre le processus de deuil. Il ne faut pas s’inquiéter des retours soudains de la tristesse qui font partie de ce processus; il s’agit de reculs temporaires qui permettent de prendre de nouveaux élans.

En général, le deuil ne prend donc pas la forme d’un processus par étapes, mais plutôt d’un mouvement de va-et-vient entre les moments de chagrin et de repos, qui laisse même place à des émotions positives (plaisir, sérénité relative, etc.). Les expériences difficiles comme le deuil sont complexes et il n’est pas rare qu’elles contiennent aussi, même s’il est tabou d’en parler, leur lot d’aspects positifs (par exemple, la croissance personnelle, l’accroissement de l’autonomie, de la confiance en soi et de l’efficacité personnelle) qui nous aident à nous adapter à la perte.


Suggestions de lecture

De l’autre côté de la tristesse, George A. Bonanno, Éditions Le Dauphin Blanc, 2011.

La mort, dernière étape de la croissance, Elisabeth Kübler-Ross, Éditions du Rocher, 1985.

Importance du soutien dans la traversée du deuil, Johanne De Montigny


Isabelle Dumont, PhD, est psychothérapeute, spécialisée dans la thérapie de couple et familiale, au Centre d’éducation en psychologie. Elle est aussi chargée d’enseignement et superviseure à la Clinique de médecine familiale Notre-Dame.

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