Je me trouve à la limite de la magie

Alexie Morin
Publié le :
Poésie

Je me trouve à la limite de la magie

J’attends au salon d’être capable de poser les yeux sur mon livre, de prendre le crayon. Je regarde par la fenêtre. Il fait très beau. La vitre semble plus éloignée que d’habitude, peut-être à cause de la lumière. C’est le printemps. J’avais oublié. On avait tous oublié combien les briques et l’asphalte peuvent avoir l’air durs, non seulement parce que la neige a fondu mais parce que cette lumière du mois d’avril, nous en avions perdu la notion et nous avions perdu l’espoir de la revoir, je veux dire de revoir l’imitation qui subsistait dans nos esprits, quelque chose de tellement moins jaune et de tellement moins limpide. Ce qui apparait étonne complètement. Si la magie existait, si la magie pouvait s’actualiser dans ce monde, elle naitrait de moi, je veux dire qu’elle passerait par moi. Je serais un bon canal. Même en ce moment, alors que la magie n’existe pas, je me tends en entier vers elle, et je me sens stupide. Je regarde par la fenêtre en gardant l’espoir d’ouvrir un livre, d’écrire une ligne. J’allume une cigarette, je prends le crayon. J’essaie de dessiner la branche qui passe devant les carreaux. Mais bientôt je ne dessine plus la branche, plus cette branche. Il faudrait faire un effort. Ce serait un exercice de concentration. Commencer un dessin avec un modèle. Effectivement terminer le dessin en restant fidèle au modèle. Concentrer en un rayon tout pouvoir que j’aurais à ce moment. Bientôt je relève la tête, je regarde le mur, je voudrais rouler un autre joint, même si je finis à peine de fumer le dernier, et j’y vais, parce que ça fait peut-être plus longtemps que je croyais. C’est mieux que de rester comme ça sur le bout des fesses, sur le divan, à regarder mon crayon, ma feuille, et à sentir m’envahir le pressentiment de la magie, et de me gonfler. Je pourrais m’envoler par la fenêtre. Je déplacerais des objets par la pensée. J’atteindrais la plus grande paix. Fumer encore, faire jouer de la musique. Je me dissoudrais, dans la lumière. Ce soleil. Je devrais sortir. Si la magie existait, ce serait mon talent naturel, comme certains peuvent reconnaitre les notes de musique, comme tous entendent les voyelles et les consonnes, et comme les peintres mélangent les couleurs, et comme les enfants traversent les ruisseaux de roche en roche par bonds terrifiants. Je verrais tout. Je reconnaitrais partout les forces en jeu et leurs rapports, je verrais circuler des énergies que personne ne comprend, et je pourrais les détourner, les domestiquer, car je le peux déjà. Je vois déjà tout cela. Si cela existait, je règnerais dessus naturellement. 


Née en 1984 à Windsor, dans les Cantons-de-l’Est, Alexie Morin vit à Montréal. Elle est réviseure pour diverses maisons d’édition et fait partie de l’équipe de la revue Liberté, où elle s’occupe de la fiction. Cette année, elle a publié Chien de fusil, son premier livre, au Quartanier.

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