Les affaires de notre temps
Merci aux matières naturelles fossilisées par des milliers d’années et aux métaux lourds extraits de la Terre.
Plus jeune j’ai trouvé bien mystérieux que l’on change nos façons de compter en fonction des objets que l’on dénombre. Il y a les douze mois de l’année, les douze heures de l’horloge, les douzaines d’œufs ou de beignes; il y a les six-packs d’abdominaux ou de bière, et les vingt des piasses avec lesquels on achète tout ça. Il y a les «un, deux, trois, go!» des courses qui préfigurent en quelque sorte les trois marches du podium et les trois couleurs des médailles; il y a les quatre qu’on associe à la musique, les quatre saisons de Vivaldi, les quatre temps que l’on retrouve souvent dans une mesure et qui, dans les chorégraphies, se déploient en «un, deux, trois, quatre; cinq, six, sept, et huit». Et même si j’ai compté jusqu’à huit pendant toutes mes années de ballet, aujourd’hui quand je rencontre ce nombre, je pense aussi aux huit côtés des panneaux «arrêt», et soudain le mouvement s’associe étrangement à l’immobilité.
Il y a le deux des couples. D’ailleurs je me souviens du cours d’anglais où j’ai appris que «a couple of» voulait dire deux, moi chaque fois qu’on me disait «donne-moi donc une couple de mouchoirs» j’en donnais quatre ou cinq. Il y a les fameux chiffres ronds, dont on ignore à quoi réfère la rondeur: à celle d’une bulle avant qu’elle n’éclate en fractions ou peut-être tout simplement au cercle du zéro. Et donc, si les dix ont bonne presse, moi ils me paraissent ennuyants comme les mots «consortium» ou «Canada». Comme s’ils avaient le défaut d’être sans mystère et sans excès, il me semble qu’on les rencontre partout: dans les notes scolaires, les jugements de beauté, les centimètres, les années, les calculs
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