Sur le fait de donner ce qu’on ne peut garder

Nicolas Langelier
Publié le :
Intro

Sur le fait de donner ce qu’on ne peut garder

Réflexions sur le passage de témoin et la survie de Nouveau Projet dans un monde en bouleversement. À travers la fumée des incendies, un quitte ou double sur notre avenir collectif.


Je réfléchis à la différence entre propriété et intendance, à ce que ça veut dire de garder quelque chose en consignation plutôt qu’en sa possession. 

Récemment, j’ai annoncé la cession de Nouveau Projet à un organisme à but non lucratif, et je me demande s’il s’agit d’un acte de préservation ou d’abdication. Peut-être qu’il n’y a pas vraiment de différence.

En 2012, en plein Printemps érable, Nouveau Projet a été lancé comme beaucoup de petits magazines, de tout temps: comme un acte de foi déguisé en plan d’affaires. Je rêvais à un magazine qui publierait le genre de textes que je souhaitais lire, qui créerait le genre de conversations que je trouvais importantes. L’équation semblait simple: trouver les auteurs, trouver les lecteurs, trouver l’argent pour les connecter. Je ne comprenais pas encore que l’arithmétique des petits magazines suit des règles différentes, que la survie n’est pas une question d’addition et de soustraction mais une opération qui ressemble plus à de l’alchimie.

Treize ans plus tard, je peux calculer assez précisément ce qu’il en a couté de garder Nouveau Projet en vie: les aubes anxieuses à équilibrer des budgets qui ne s’équilibreraient jamais, les échanges contrits avec les collaborateurs sur les paiements en retard, les temps libres et la vie sociale, la complexe chorégraphie requise pour prioriser la qualité tout en opérant toujours au bord de la faillite. Mais il est impossible de calculer ce que tout cela a valu, et c’est le paradoxe du travail culturel: sa valeur est inversement proportionnelle à sa mesurabilité.

La décision de restructurer m’est venue graduellement, comme la plupart des décisions importantes, non pas dans un moment de crise mais dans l’accumulation de petites illuminations. Dans la réalisation que depuis trop longtemps je dépensais plus d’énergie à gérer la survie du magazine qu’à penser son contenu, et que je basais des décisions sur ce que nous pouvions nous permettre plutôt que sur ce que nous voulions dire. J’étais dans une position dans laquelle je n’avais jamais eu l’intention de me retrouver: le gardien de quelque chose qui a besoin de gardiens, plutôt que le créateur de quelque chose qui a besoin d’être créé.

L’internet a tellement modifié la grammaire de l’attention que cela donne aux petits magazines un côté archéologique. Nous opérons dans l’espace entre le viral et l’invisible, entre l’appétit de l’algorithme et la patience des lecteurs. Ces derniers pourraient choisir de se noyer dans le défilement de contenus conçus pour fragmenter leur concentration. Pourtant, ils s’abonnent encore. Ils nous écrivent encore des lettres. Ils nous envoient encore leurs histoires. C’est ce que j’ai appris sur notre communauté: elle existe non pas grâce à la connexion numérique mais malgré elle.

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