Sur le fait de donner ce qu’on ne peut garder
Réflexions sur le passage de témoin et la survie de «Nouveau Projet» dans un monde en bouleversement. À travers la fumée des incendies, un quitte ou double sur notre avenir collectif.

Chaque époque, au bord du gouffre, a trouvé ses passeurs, ses refuges, ses ateliers de relance du sens. Quels seront les nôtres?
À la fin d’un souper récent, je discutais avec une amie journaliste de ces figures importantes de notre paysage médiatique et culturel qui nous ont quittés cette année. De l’étrange sentiment d’être un peu orphelins, sans ces gens qui ont été des points de repère tout au long de nos vies de membres de la génération X.
Nous pensions en particulier à Pierre Foglia et René Homier-Roy, des modèles de plein de manières. Mais aussi, consciemment ou non, à Victor-Lévy Beaulieu, le bâtisseur de mythes et brasseur de cage; Guy Rocher, l’un des architectes intellectuels du Québec moderne; Jean-Claude Germain, grand conteur et défricheur de notre mémoire collective; Yvan Lamonde, l’historien des idées qui a reconstitué le fil de notre modernité pour que la société québécoise se voie telle qu’elle est—héritière, mais pas prisonnière. Et bien d’autres encore, pour qui 2025 aura été le bout de la route.
Leur disparition ne marque pas seulement le crépuscule d’une génération, mais aussi d’une forme de culture. Publique, lente, dialogique: une culture qui croyait à la puissance du mot écrit pour façonner la conscience collective.
Au même moment où ces voix s’éteignaient, une autre—non-humaine celle-là—s’imposait. Car c’est aussi en 2025 que l’intelligence artificielle s’est vraiment insinuée dans nos vies. Dans les salles de presse, les écoles et les bureaux, les modèles textuels et visuels écrivent, composent, résument, traduisent. Là où la parole humaine hésite, ils produisent. Là où la pensée doute, ils répondent. Alors que s’éteignent les hommes et les femmes qui incarnaient la médiation humaine—le lien entre savoir et public, entre mémoire et actualité—s’imposent des systèmes capables de simuler cette médiation, mais sans corps, sans lenteur, sans responsabilité.
L’année 2025 aura donc été celle d’un double mouvement: une série de fins humaines, et une prolifération de commencements artificiels.
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Réflexions sur le passage de témoin et la survie de «Nouveau Projet» dans un monde en bouleversement. À travers la fumée des incendies, un quitte ou double sur notre avenir collectif.

Depuis les années 1960, le Québec a vu des progrès spectaculaires se réaliser. Mais cette période majeure de notre histoire est bel et bien terminée. Une nouvelle ère s’ouvre devant nous, plus trouble et difficile, au cours de laquelle, plus que jamais, nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes.

Pour boucler l’année, une sorte de compilation autour de la valeur que nous accordons aux choses, aux idées et aux êtres.

L’effondrement arrive, a même possiblement déjà commencé. Plutôt que de nier le désastre, il est temps de préparer la suite en y consacrant tout ce qui nous reste de capacité à rêver.