Débattre à l'ère du «Gish gallop»

Trycia Laroche
Publié le :
Essai

Débattre à l'ère du «Gish gallop»

Quand le bruit empiète sur la preuve, il devient crucial de se pencher sur les procédés qui permettent aux chiffres fabriqués, aux raisonnements bancals et aux digressions hors propos de ne plus susciter l’étonnement. Se dessine un paysage troublant: celui d’une époque où le mensonge constitue la toile de fond de nombreux débats.

Si l’on devait ranger, aux côtés de brain rot, demure, rizz et slop, un «mot de l’année» à la manière du dictionnaire Oxford, la formule qui s’imposerait pour 2025 serait sans aucun doute «Gish gallop». Un choix qui s’explique par la place grandissante qu’occupe cette stratégie discursive dans l’espace public.

Dans une chronique de septembre 2024 du Los Angeles Times, la journaliste Lorraine Ali définissait le «Gish gallop», aussi connu en français sous le terme de «millefeuille argumentatif», comme «l’art d’ensevelir son adversaire sous des mensonges, une rhétorique extravagante et des diversions». Mobilisée dans un échange, un débat ou une entrevue, la surcharge informationnelle est au centre du procédé. L’enchainement d’allégations à un rythme effréné par le ou la gallopeur·euse a pour effet qu’aucune réfutation complète n’est possible, laissant les concurrent·e·s submergé·e·s tant par la densité que par le caractère non fondé des énoncés.

Le concept doit son nom à Duane Gish (1921-2013), un biologiste créationniste américain qui s’est fait connaitre dans les décennies 1970 et 80 pour sa fâcheuse habitude d’inonder ses adversaires de fausses affirmations sur l’évolution.

L’anthropologue Eugenie C. Scott, figure majeure de la défense de l’enseignement scientifique aux États-Unis, a créé l’expression «Gish gallop» au milieu des années 1990, après avoir observé à maintes reprises cette méthode dans des débats opposant des chercheur·euse·s créationnistes à des évolutionnistes. Tout au long de sa carrière, celle qui a fondé le National Center for Science Education a non seulement analysé en profondeur leurs tactiques discursives, mais aussi élaboré des outils pour aider la communauté scientifique à y répondre plus efficacement.

Malgré tout, la technique a fait le plein d’adeptes ces dernières années. Ainsi réutilisés, relayés et amplifiés, les arguments mobilisés par les Benyamin Netanyahou, Andrew Tate et Nick Fuentes de ce monde, que l’on pourrait qualifier de «gallopeurs» professionnels, participent à la saturation de l’espace public. Cette tactique «inonde la zone» publique en y déversant un flot incessant de polémiques, de manchettes, de vérifications de faits et de récits fabriqués qui se superposent aux débats, aux décrets et aux interventions médiatiques.


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