La merdification est encore pire que nous le pensions
Dans son nouvel ouvrage, Cory Doctorow étaye ses thèses sur la «merdification» de l’internet. Il en ressort un portrait révoltant de pratiques qui affectent aussi le monde réel.

L’industrie minière, celle des énergies fossiles et les mégaporcheries partagent un même rapport au monde: celui de l’extractivisme. Pour ralentir les ravages, il faudra repenser notre place dans le vivant.
Photos: Mériol Lehmann
Le capitalisme et son appel de matière. La surconsommation et le gaspillage structurel. Le néocolonialisme. Les humains et le reste du monde.
On dit de l’endroit qu’il offre aux observateurs un large champ de vision sur une topographie vallonnée, monotone et inhabitée. On trouve le lac Brisson—Strange Lake pour les anglophones—sur un large plateau subarctique, à cheval sur les territoires du Québec et du Labrador, où la taïga se transforme graduellement en toundra arbustive. S’entassent, dans une courtepointe boréale de marais et de bosquets, des épinettes blanches, des sapins, des bouleaux rabougris, des talles de mélèzes et d’aulnes qui se collent aux rives des cours d’eau, des affleurements rocheux couverts de lichens et de mousses, des roches anciennes dénudées, grattées et émoussées par le frottement des glaciers pendant plusieurs millénaires.
Ce paysage morne, froid et rude est l’habitat de multiples espèces nordiques. Le lac est peuplé de truites et d’ombles; l’été, des oies et des canards y séjournent, et on peut y entendre les cris des huards. De multiples oiseaux de proie le fréquentent également (pygargue à tête blanche, aigle royal), ainsi que des orignaux et des lièvres, qui attirent les renards, les loups et, parfois, les ours noirs. La grande harde de caribous de la rivière George traversait historiquement ce territoire lors de sa migration annuelle, en montant vers la toundra du Nord en été et en redescendant vers les forêts boréales en hiver. Aujourd’hui, ils ne sont que quelques milliers, et leurs passages sont moins fréquents.
Les Naskapis et les Innus fréquentent l’endroit depuis 2 000 ans, où ils pêchent et chassent et suivent le caribou. La présence des Inuits est plus récente; ils y sont depuis 800 ans. Sur les rives du lac Brisson, on a trouvé des signes de présence humaine remontant à la retraite des glaciers il y a 8 000 ans. Les eaux du lac se jettent dans la rivière George, qui a une valeur écologique inestimable pour ces peuples. Depuis des millénaires, elle permet aux habitants de la toundra de la baie d’Ungava de rejoindre à la rame la forêt boréale au sud, et à ceux de cette forêt de rejoindre les mers arctiques au nord.
Les Blancs sont arrivés plus récemment dans ce territoire, en quête d’âmes à convertir et de ressources à exploiter. Au cours des 50 dernières années, ils ont surtout parcouru le plateau à la recherche des métaux et minéraux dans le sol. Depuis 1979, on sait qu’aux abords du lac Brisson, sous la taïga, la toundra et les milieux humides, se trouve un important gisement de terres rares.
Parce qu’ils sont essentiels à l’électrification, et donc à la transition énergétique, le néodyme, le praséodyme, le dysprosium et le terbium sont considérés comme des matériaux critiques et stratégiques par le gouvernement du Québec. Ce sont aussi des matériaux qui servent à la fabrication de tous les gadgets connectés qui ont envahi notre quotidien. Il y en a, par exemple, dans nos écouteurs, dans nos téléphones intelligents (pour leur fonction de vibration) et dans tous les écrans tactiles qui nous entourent, de la cuisine à l’automobile. Ils sont utilisés dans la fabrication de drones militaires. Bref, ils sont stratégiques autant pour des raisons environnementales que bêtement économiques, assurant le fonctionnement tant d’objets industriels symbolisant la surconsommation que des infrastructures nécessaires à la transition énergétique.
Nouveau Projet, c'est du contenu original et de grande qualité, des privilèges exclusifs, et bien plus encore.
Achetez un accès à cet article ou activez dès maintenant votre abonnement à Nouveau Projet pour lire le reste de ce texte.
Déjà membre? Ouvrir une session.
Dans son nouvel ouvrage, Cory Doctorow étaye ses thèses sur la «merdification» de l’internet. Il en ressort un portrait révoltant de pratiques qui affectent aussi le monde réel.

Alors que s’amorce la nouvelle année, une réflexion sur nos visions du futur: et si, loin d’être neutres ou inédites, elles étaient des héritages du passé qui orientent nos choix collectifs et limitent notre capacité à imaginer d’autres possibles?

À garder en tête en 2026: le geste créatif, disponible en chacun·e de nous, a peut-être la capacité de nous offrir cet espace de paix que nous cherchons ailleurs, et de nous aider à guérir.

Quand le bruit empiète sur la preuve, il devient crucial de se pencher sur les procédés qui permettent aux chiffres fabriqués, aux raisonnements bancals et aux digressions hors propos de ne plus susciter l’étonnement. Se dessine un paysage troublant: celui d’une époque où le mensonge constitue la toile de fond de nombreux débats.