Le décès d’Antonine Maillet, qui a secoué l’Acadie cet hiver, est l’occasion de revoir, c’est-à-dire de défolkloriser, son principal personnage, plus grand qu’elle en réalité, la Sagouine. Défolkloriser, ici, signifie politiser. La Sagouine n’avait pas la langue dans sa poche. Au ras des planchers qu’elle frottait chez les riches, elle avait tout le loisir de suivre les pas des puissant·e·s profitant de ses services. Elle constatait alors n’être point de ceux et celles qui s’abaissaient le plus dans la société pour parvenir à leurs fins. «C’est pas tout le temps de l’ouvrage propre qui faisont, eux autres non plus.» Ce texte est puissant.

Et visionnaire. Prenons le cas de son houme, Gapi. On le découvre, dans la pièce de théâtre datée de 1971, «théoricien du complot», comme on le qualifierait aujourd’hui. En quoi? Il doute que les Étatsuniens se soient effectivement rendus sur la Lune. Mais attention! Il serait sottement condescendant d’attribuer cette opinion à une incurie de classe, en se disant: que peut penser de valable un analphabète sur ces questions d’une grande complexité géopolitique et technologique? L’incrédulité du personnage est en réalité un signe paradoxal d’intelligence, celle dont le philosophe français Jacques Rancière dit qu’elle relève du premier principe démocratique. Gapi doute, non pas parce qu’il est stupide, mais parce qu’il ne parvient pas à se résoudre à croire vraisemblable qu’une administration publique mobilise autant de ressources et de moyens pour un projet d’une aussi grande frivolité… À son esprit, c’est donc nécessairement faux. Son seul tort est de n’avoir point lu le neuvième chapitre de la Poétique d’Aristote, dans lequel le philosophe grec précise que le vrai peut être invraisemblable. Ajoutons: surtout quand il y va d’actes de grande folie!