C’est ce genre de journée à la chaleur supportable qui me donne envie de prendre la route. À des kilomètres de l’agitation de La Nouvelle-Orléans et des paysages industriels de Baton Rouge, je sonde les calmes plaines côtières du sud-ouest de la Louisiane. La campagne, pratiquement déserte, est peuplée d’oiseaux. Seule au monde, je conduis au ralenti pour admirer les rapaces perchés à l’orée des rizières et les échassiers qui prennent la pose, leur élégance reflétée dans le miroir du canal étroit qui longe la route. Un couple d’aigrettes neigeuses me toise comme deux fashionistas lasses de la vie mondaine. Le ciel bleu, immense et réconfortant, ne se voile que par les rassemblements d’oies blanches et d’oies rieuses qui, sans avertissement, se soulèvent et tournoient comme une joie collective. Je m’arrête longtemps pour observer une colonie de grues du Canada attroupées dans un champ, j’imagine leur vie au nord, je comprends leur décision de revenir ici chaque automne. Sur le sentier ornithologique de la réserve faunique de White Lake, je croise une quadragénaire souriante et son ado timide. «Vous avez de très bonnes chances de voir les grues. Il y en avait une paire là-bas.» Je sais qu’elle ne parle pas des canadiennes, mais des blanches: l’un des plus rares oiseaux de la planète, et le plus grand en Amérique du Nord. Je cours presque, puis les voilà dans mes jumelles: une mère et ses deux petits, trois géants.