Les principes qui guident Georges Leroux

Photo: Cindy Boyce
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En principes

Les principes qui guident Georges Leroux

Le philosophe Georges Leroux nous présente quelques-uns des principes qui guident ses actions et donnent du sens à sa vie.


Le principe de responsabilité

Chez tous les philosophes qui m’accompagnent au quotidien—Emmanuel Levinas, Jacques Derrida, Jan Patocka, Hannah Arendt—, je retrouve ce principe: nous sommes tous responsables les uns des autres et, au-delà de notre responsabilité présente, nous sommes responsables du destin de l’humanité et de la planète qui nous porte. Nous devons à Hans Jonas l’extension de ce principe à la filiation des générations. Il vaut pour la protection de la nature mais aussi et surtout pour notre culture, fragile par essence—menacée par l’oubli, la négligence, la vulgarité du divertissement. Les œuvres, rituels et connaissances qui ne sont pas immédiatement utiles sont toujours en péril, ce qui nous impose à leur égard un devoir de protection spécifique. J’en éprouve l’urgence au quotidien.



Le principe de différence

La recherche de l’égalité ne peut conduire à la justice si nous oublions les plus vulnérables, les plus pauvres. Ce principe de justice, mis de l’avant par John Rawls, est l’honneur de l’éthique contemporaine. En juin 2015, un sondage de la Fondation Chagnon révélait que 50% des Québécois craignaient de devenir pauvres; que plus de 80% favorisaient le principe de la priorité des démunis et plaçaient l’élimination de la pauvreté comme objectif de premier plan pour l’État. Vivre dans une société imprégnée de cet idéal de justice est une chance. Malgré les défaites du réel, je le mesure tous les jours.


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Le principe de compassion

Centrale dans le bouddhisme, la compassion exige de se mettre à la place de l’autre pour le comprendre et l’aider. Cet idéal est pour moi le même que celui de la charité évangélique, il peut seul fonder un altruisme authentique. Contrairement à la maxime stoïcienne qui prescrit de ne pas souffrir de ce dont nous ne sommes pas la cause, la compassion porte au contraire vers la souffrance de l’autre. Les stoïciens ont sans doute raison sur le plan intellectuel: le sage ne se laisse pas troubler par ce qu’il ne contrôle pas, mais je sais aussi que la détresse de l’autre exige l’empathie, et non pas l’apathie indifférente. Je voudrais toujours pouvoir vivre à la hauteur de cette charité du cœur, essence de la vie morale. La sagesse stoïcienne ne cesse pas pour autant de me hanter.



La fidélité à ses convictions

«Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.» Cette maxime attribuée à Guillaume 1er d’Orange-Nassau, je l’ai entendue pour la première fois dans un cours du philosophe Raymond Klibansky. S’agit-il d’un principe? Plutôt d’une exhortation intérieure à être fidèle à nos convictions. Elle est essentielle dans les moments de doute, si nombreux, tant dans la vie intellectuelle que dans la vie active. Dans l’hésitation comme dans la tentation du repli tranquille, la maxime de Guillaume m’est souvent revenue en mémoire. Tout comme Raymond Klibansky, un homme de convictions qui a vécu en modelant son action sur les principes les plus élevés, il a beaucoup entrepris sans disposer, au départ, de toutes les garanties, et persévéré dans des circonstances souvent ardues.



L’impératif catégorique

«Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux souhaiter qu’elle devienne une loi universelle.» Ce principe kantien, une version rigoureuse de la règle d’or ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent, est le plus élevé qui soit, parce qu’il introduit la force du devoir. Est-il possible de vivre en suivant ce principe? Ne sommes-nous pas contraints de nous replier sur un sage pragmatisme et de chercher ce qui réussit ou simplement ce qui est utile? Malgré ses limites d’application, personne ne niera la force de l’impératif catégorique.



La thèse que «nul ne fait le mal volontairement»

Cette maxime socratique constitue une proposition très difficile à accepter: si nous choisissons le pire cours des choses, pensait Platon, c’est parce que nous sommes aveuglés par des passions, des intérêts, des pathologies ou par une folie qui nous empêchent de voir le bien. Devant la faute—la mienne comme celle de l’autre—, n’est-il pas tentant de se demander si on a vraiment voulu la commettre? De chercher des circonstances, des explications, des excuses, bref, de considérer les raisons de cet aveuglement? Personnellement, je dirais que la moitié du temps je vois plutôt l’excuse, et l’autre moitié, la responsabilité, donc le blâme et la faute. Et cela, même pour le pire, par exemple le jeune meurtrier de la mosquée de Québec. Par l’expérience du pardon, j’ai accès à un angle mort de la maxime socratique, qui se trouve à la limite démentie lorsque le pardon est la seule issue.


Professeur émérite au Département de philosophie de l’UQAM, Georges Leroux a longtemps enseigné la philosophie grecque. Au cours des dernières années, il s’est intéressé à plusieurs grands dossiers de philosophie publique, en particulier la laïcité scolaire et le pluralisme. Il a été membre du comité-conseil de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. Il est aussi membre de l’Académie des lettres du Québec et de la Société royale du Canada.

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