Les principes qui guident Micheline Lanctôt

Photo: Cindy Boyce
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En principes

Les principes qui guident Micheline Lanctôt

La réalisatrice et comédienne Micheline Lanctôt nous présente quelques-uns des principes qui guident ses actions et donnent un sens à sa vie.


Réfléchir

On a déserté la pensée au profit de la sensation et de l’émotion. Les intellectuels ont mauvaise presse, eux qui se permettent de contester et d’argumenter; on ne leur propose guère de tribunes où exprimer leur sagesse. Mais connaitre est infiniment préférable à ressentir, car cela exige du recul, de l’analyse, un effort intellectuel. Dans les médias, dans les réseaux sociaux, la mode est au tout-à-l’émotion. On carbure au human interest et à tout ce qui peut provoquer le frisson d’exister. Mais ce frisson est éphémère et fugitif. Il ne laisse guère de traces dans la construction d’un soi éclairé, informé et participatif. Pour être un citoyen, un électeur, un éducateur, pour apporter à la société dans laquelle on vit des éléments qui lui permettront d’évoluer, il faut aller au-delà des clichés et réfléchir.



Oser

Sans courage, on n’est rien. Et on ne peut pas être courageux sans avoir peur. J’ai toujours été une grande peureuse et j’en ai toujours éprouvé de la honte. Aussi, dès un très jeune âge, j’ai choisi d’affronter mes peurs, toutes les peurs et surtout les peurs imaginaires, celles qui nous envahissent et nous condamnent à l’immobilisme. J’ai été cette enfant qui ouvrait la porte du garde-robe pour y débusquer le monstre, ou qui marchait la nuit dans l’obscurité, tremblant au moindre bruit. J’ai passé mon certificat de plongée sous-marine et je viens tout juste de sauter en parachute. Nous vivons dans une société qui encourage la peur à tous les niveaux. Apparemment, le péril est à notre porte. Nous vivons dans un monde soi-disant dangereux, barricadés, caparaçonnés, angoissés, embourbés dans la méfiance et redoutant le changement. Nous votons des mesures répressives et donnons aux services d’espionnage une latitude qui doit assurer, nous dit-on, notre protection. Nous ne voulons pas d’un pays à nous: trop terrifiant comme choix. Plus que jamais dans cette société phobique, nous avons besoin d’oser, c’est une garantie de liberté.



Douter

Rien n’est plus improductif que la certitude. La certitude empêche d’évoluer, elle met des bornes à nos esprits, elle permet de se sentir satisfait de soi donc assoupi, elle est l’antithèse de la créativité. Le doute fragilise, certes, mais il permet également de réfléchir et d’ouvrir sur d’autres perspectives d’avenir. Pour accepter de douter, il faut accepter d’être vulnérable et cela ne se fait pas impunément. On portera flanc aux critiques, on risquera de se tromper dans une société où la nécessité de performance ne tolère pas la moindre faiblesse. On angoissera, on sera troublé, mais le doute porte en soi le germe de toutes les solutions, et il se trouve que plus on doute, mieux on évolue. En tout cas, je me permets de le dire du haut de mes 68 ans. Je doute, donc j’existe.



Fuir les compromis

Le chemin le plus difficile est toujours le plus intéressant. Il y a dans la facilité quelque chose d’abrutissant. Débattre, dialoguer, concéder—la démocratie, quoi—est ardu, et cela n’a rien à voir avec le compromis. Le compromis équivaut à baisser les bras, tentation toujours présente devant des horizons bouchés, des politiciens trop conservateurs, des gouvernements trop arrogants. Le compromis qui mène au consensus tue le débat. Se compromettre en art, c’est renoncer à la part la plus vivante de soi, la plus originale, celle au sujet de laquelle Cocteau avait écrit «Ce que le public te reproche, cultive-le, c’est ce qui fait ta force».


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Rire

Que c’est triste, une vie qui se prend au sérieux! Et que tout semble plus simple, quand on peut rire des plus grandes tragédies et d’abord de soi. À l’âge que j’ai, les amis, les camarades, les parents commencent à disparaitre à un rythme affolant. On a l’impression que l’échéance se rapproche dangereusement et que la pièce va finir bientôt. Pour ma part, j’aimerais que le rideau tombe dans un éclat de rire, pour moi et pour ceux qui me sont chers. Il n’y a pas d’autre façon de considérer l’absurdité de notre court séjour sur terre, et nos pathétiques prétentions à l’immortalité. Il faut dire que je viens du dessin animé, où il est permis, voire inévitable de rire de tout avec effronterie et goguenardise. Je ne m’en prive pas.


Micheline Lanctôt a écrit une vingtaine de scénarios, réalisé douze longs métrages dont un documentaire, publié deux romans, trois traductions et continue de travailler comme actrice à la télévision et au cinéma. Son travail lui a valu de nombreuses récompenses, dont le prix Albert-Tessier en 2000, le Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle en 2003 et le prix Jutra Hommage en 2014. Depuis 1982, elle enseigne la direction d’acteurs à l’Université Concordia. Son dernier long métrage, Autrui, est sorti en février 2015.

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