Porcs et pollution: le paradoxe

Pierre-Olivier Pineau
Publié le :
Économie environnementale

Porcs et pollution: le paradoxe

D’un côté, les politiques gouvernementales incitent les éleveurs de porcs à intensifier  leur production. De l’autre, les ministères de l’Environnement provincial et fédéral déplorent la pollution induite par cette surproduction porcine. Portrait d’une situation paradoxale.

En 1981, on comptait cinq fois moins de porcs que de Québécois. La population porcine a toutefois dépassé celle des habitants de la province en 2008, gonflée par les mesures prises par le gouvernement: tous les ans entre 1981 et 2011 (sauf à sept reprises), les producteurs porcins ont reçu une «compensation» par le biais de l’assurance stabilisation des revenus agricoles. Cette compensation, mise en place par la Financière agricole du Québec, garantit aux éleveurs qu’ils ne seront jamais payés en deçà de leurs couts de production: si le prix de marché auquel leurs animaux sont vendus est inférieur à ceux-ci, l’assurance publique couvre la différence. Entre 1981 et 2011, la compensation s’est élevée en moyenne à 14$ par porc, ce qui équivaut à 9% du prix de vente. Le secteur de la production porcine est plus subventionné ici que dans toute autre province canadienne; ainsi, au 31 mars 2013, il était responsable de 99% du déficit accumulé de 403 millions $ de cette assurance publique—c’était le seul des neuf secteurs assurés dont la situation se détériorait.

Si le nombre de fermes porcines au Québec a chuté de 4 706 à 1 890 entre 1986 et 2013, le nombre de porcs par ferme, lui, a plus que triplé, passant de 622 à 2 164. La production intensive de porcs rend difficile la gestion du phosphore et de l’azote contenus dans leurs déjections. Leur purin ayant moins de valeur économique, il est plus susceptible d’être épandu illégalement. D’ailleurs, de 2008 à 2011, 60% des échantillons d’eau prélevés dans les stations de surveillance du Québec présentaient une concentration de phosphore dépassant les «lignes directrices» émises par Environnement Canada. Pour les rivières Yamaska et Nicolet, ce pourcentage s’élevait respectivement à 96% et à 98%; la qualité de l’eau de ces rivières était en effet considérée comme «mauvaise» et «douteuse».

Entre novembre 2011 et novembre 2013 seulement, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs a émis 51 condamnations pour le non-respect du règlement Q-2,r.26, s’appliquant aux «élevages d’animaux et aux installations d’élevage de ces animaux, aux ouvrages de stockage de leurs déjections et à l’épandage de celles-ci». Le paradoxe est frappant: une assurance publique encourage le secteur de la production porcine, même si ce dernier est notoirement problématique sur le plan environnemental (et puni par le gouvernement pour ses écarts de conduite). Le gout du bacon vaut-il cette incohérence économique?


Pierre-Olivier Pineau est professeur à hec Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. L’agriculture est le plus important maillon de la chaine énergétique: l’énergie solaire y est transformée en calories essentielles aux humains.

Continuez sur ce sujet

Atelier 10 dans votre boite courriel
S'abonner à nos infolettres