Québec/Canada

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D’est en ouest, du nord au sud, neuf correspondants nous racontent notre territoire.

  • Photo: François Gamache

Le mal des transports

Rivière-du-Loup, Bas-Saint-Laurent—Sur les routes rurales, petites et grandes, il y a de moins en moins de transport collectif. L’érosion se fait doucement, au fil des ans, sans débordement. C’est comme l’abandon d’un pan de la population au milieu du voyage. La ville de Gaspé et ses voisines ne sont plus desservies par le train depuis 2013. C’est un peu mieux du côté de l’autocar, mais les trajets reliant le territoire ont été réduits. Il y a un départ par jour de Gaspé vers Montréal; à partir de Rivière-du-Loup, c’est trois départs quotidiens, dont un la nuit depuis que l’autocar de 6h30 a été retranché. La durée des voyages est systématiquement rallongée: les parcours directs vers Québec et Montréal ont été abandonnés. Bref, les usagers ont davantage le sentiment de prendre part à une «run de lait» qu’à un service efficace. Pas étonnant que le lait tourne.

En pleine période de transition énergétique, comment convaincre les ruraux de se joindre au mouvement quand la seule chose qui bouge réellement, c’est l’automobile? Le cocktail transport manque de saveur. Il y a bien des tentatives, comme les services de type taxibus entre les villages et les villes centres, où il «suffit» de réserver son heure de départ en téléphonant à l’avance. On est à des années-lumière des applis. Bref, on part de loin.

Un préjugé tenace assimile les ruraux à des utilisateurs compulsifs de l’automobile, les entrainant derechef dans le champ des «réchauffeurs» climatiques. Pas besoin d’être fin renard pour comprendre que la réalité est plus complexe. Une métropole ne peut servir de référence à un village entouré de rangs, inévitablement desservi par des chars. La motorisation augmente davantage dans les territoires moins denses? Si on continue à réduire la qualité de l’offre, c’est une prophétie auto-réalisatrice dont on sera témoin. Il y aura de nouvelles interruptions de service, comme en Beauce où Autobus Breton a suspendu ses trajets vers la capitale, faute de capital. Ne trébuchons pas dans les fleurs moralisatrices du tapis: il ne s’agit pas simplement de clients coincés au cœur des rapports marchands. Il serait plus à propos d’aborder le transport en termes de projet collectif, d’engagement politique et de vision territoriale.

Des solutions existent. En Gaspésie, certains élus estiment le service suffisamment essentiel pour investir dans les trajets d’autocar: en plus d’une enveloppe régionale, une subvention du ministère des Transports a été versée à Orléans Express pour conserver l’unique parcours reliant Gaspé à la métropole. Et il y a les rails. Sauf que quelque part dans l’histoire, le train a troqué les passagers pour de la marchandise.

Rêvons un peu d’un train qui passe à des heures correctes. Tout d’un coup, des professionnels apparaissent et des familles laissent leur voiture à la maison. Parce que ça existe ailleurs. Au pays des licornes—disons la Norvège—j’ai vu des Vikings 2.o sauter dans le train avec leurs skis pour gagner le dehors quelques heures plus loin. Efficace et agréable. Le dos droit et le visage net de gens qui respirent la santé. C’est qu’ils n’ont pas à prendre le train au milieu de la nuit: ça aide à ne pas avoir les traits tirés.


Karina Soucy partage son temps entre l’enseigne-ment au cégep de Rivière-du-Loup et la poursuite d’un doctorat en sociologie à l’Université Laval. Ses activités de recherche portent sur les enjeux ruraux contemporains.

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