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Correspondances

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Nouvelle rubrique! Chaque numéro, huit correspondants—quatre au Canada, quatre ailleurs sur la planète—nous donneront le pouls de leur région du monde. Ils se feront l’écho de petits et de grands faits qui, chacun à leur manière, révèlent un trait saillant de notre époque.

Vancouver, Colombie-Britannique

Un symbole d’aliénation

Une chaine de montagnes et un décalage horaire de trois heures, c’est fou comme ça vous éloigne du reste du pays. On le mesure pendant les élections fédérales: quand les bureaux de vote de Vancouver commencent à fermer, le gouvernement est généralement déjà annoncé par les médias.

Malgré cela, le climat politique n’est pas si différent du Québec: incompréhension et frustration à l’égard du fédéral. En témoignent les dizaines de conversations sur la «spécificité québécoise» que j’ai eues avec mon ami Jesse, francophile et pur produit de l’immersion: «Pourquoi voulez-vous tant vous séparer du reste du pays? Look, we don’t like Ottawa either.» Mais ici, le point sensible, ce n’est pas la langue, c’est l’environnement.

Une manifestation pour sauver le saumon rouge du Pacifique? Vous pouvez être certains qu’ils seront des centaines, sinon des milliers à sortir leurs pancartes—recyclées, bien sûr—et à descendre dans les rues. Northern Gateway? Osez citer ce nom, et une alliance formée d’Autochtones, d’environnementalistes, de militants de gauche et de droite se pointera aussitôt.

Le 17 juin dernier, à peine quelques heures après le feu vert d’Ottawa à ce pipeline malaimé—reliant l’Alberta au port de Kitimat, au nord de la Colombie-Britannique—, des organismes des quatre coins de la province mobilisaient déjà leurs troupes sur les réseaux sociaux. Le soir même, une marée de jeunes parents aux accents divers, de raging grannies, de vieux hippies sur le déclin et de citoyens n’ayant à priori rien en commun scandait «Save our Coast».

Une solidarité compréhensible. Quand on a foulé le sol de l’archipel d’Haida Gwaii et vécu à deux pas de l’océan Pacifique, on devient bien malgré soi un environnementaliste. Et quand le gouvernement fédéral, faisant fi de l’opposition locale, encourage l’augmentation du trafic pétrolier, l’impression d’abandon est totale.

Cela dit, Northern Gateway me laisse relativement indifférent. L’autre solution—une augmentation du transport pétrolier par train—m’enchante encore moins que le projet d’oléoduc: d’une façon ou d’une autre, l’Alberta devra trouver des marchés pour le pétrole qu’elle extrait.

C’est le côté antidémocratique qui m’offusque. Sondage après sondage, témoignage après témoignage, d’une Première Nation à l’autre, une quasi-unanimité semblait s’être dessinée le long de nos côtes. Une majorité d’experts et d’écologistes ont dénoncé le projet. En vain. Northern Gateway ira de l’avant. Quand? Nul ne sait, la valse des poursuites judiciaires ayant déjà commencé. Mais le pipeline sera construit.


Francis Plourde · Originaire d’Arvida, il travaille pour la radio, la télévision, le web et pour différents magazines québécois. Il vit à Vancouver depuis 2006.


Batoche, Saskatchewan

L’écho de la fierté

Lorsque Billy Joe Delaronde a vu Marie-Antoinette pour la première fois, il savait qu’il ne repartirait pas sans elle. C’est pourquoi, par une nuit d’octobre 1991, dans le plus grand secret, il s’est emparé d’elle, alors qu’elle se trouvait dans une salle de la Légion royale canadienne de Millbrook, en Ontario. Il l’a ramenée chez lui, au Manitoba, et pendant plus de 20 ans, il l’a cachée. Pourtant, lorsqu’il a dévoilé Marie-Antoinette au grand jour, en juillet 2013, Billy Joe Delaronde a été accueilli en héros.

Marie-Antoinette, c’est le surnom de la cloche installée en 1884 à l’église de Batoche, en Saskatchewan, un village alors peuplé par des Métis, ce peuple issu de l’union des Autochtones et des premiers colons canadiens-français dans l’Ouest.

C’est à Batoche que Louis Riel, chef de la résistance métisse, a mené son ultime combat contre les soldats du gouvernement canadien, en 1885, avant d’être capturé puis pendu. «Les Métis craignaient d’être dépouillés. Ils voulaient des droits, mais le gouvernement fédéral ne voulait pas les écouter», raconte Guy Savoie, 80 ans, doyen de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, l’organisation qui possède aujourd’hui la fameuse cloche. «Batoche est tombée. On a pris notre bétail, il y a eu des viols, ça n’a pas été beau. Les soldats étant des soldats, ils ont aussi dépouillé la paroisse et pris la cloche.»

La cloche volée a ensuite servi de trophée de guerre à la Légion royale canadienne de Millbrook. Une humiliation que les Métis ont d’autant moins digérée que l’objet est hautement symbolique pour ce peuple religieux.

Durant le siècle qui a suivi, les Métis de l’Ouest ont vécu comme des parias. «Quand j’étais jeune, on me disait: si tu veux une job, dis surtout pas que t’es Métis, dis que t’es Canadien français, se souvient Guy Savoie. Je n’aime pas dire ça comme ça, mais on était un peu comme les nègres aux États-Unis.»

C’est pourquoi Billy Joe Delaronde, Métis du Manitoba, était si décidé à rapatrier la cloche. Lorsqu’il l’a enfin remise à l’Union nationale métisse, à l’été 2013, une cérémonie grandiose a eu lieu, réunissant 20 000 Métis du Manitoba et de la Saskatchewan, descendants des combattants de 1885. Et lorsque la cloche a sonné de nouveau, après plus de 100 ans de silence, c’est la fierté retrouvée de ce peuple qui résonnait. «Maintenant les jeunes sont fiers, c’est une plume dans notre chapeau, explique Guy Savoie. La cloche représente la ténacité, le fait d’avoir survécu à toutes ces choses-là.»

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Il y a quelques mois, un documentaire de la CBC a révélé que la fameuse cloche retrouvée n’était pas celle de Batoche. Elle appartiendrait plutôt à la Première nation de Frog Lake, en Alberta, qui veut récupérer son bien. Guy Savoie refuse de croire à cette nouvelle version des faits. Le symbole que représente la cloche de Batoche est trop important pour que les Métis la laissent filer une seconde fois


Bouchra Ouatik · Après avoir été journaliste scientifique à Montréal, elle est partie en 2013 à la découverte de Winnipeg, où elle travaille pour Radio-Canada.


Vallée de la Broadback, Nord du Québec

Bataille boréale

La nuit a déroulé depuis longtemps son spectre d’étoiles quand, après avoir contourné une ile sur le dernier lac gelé de notre périple, on distingue enfin le camp des tallymen. Cinq petites cabanes sommaires posées sur une butte marquent le début de la forêt de la Broadback. De là, à une dizaine d’heures de motoneige de Chibougamau, les trois maitres trappeurs cris veillent sur l’une des deux dernières forêts boréales vierges du Québec.

La Vallée de la Broadback, c’est le dernier rempart avant la taïga et les Inuits, l’ultime refuge pour les caribous forestiers et le symbole de l’insoumission des 16 000 Cris de la baie James.

Pour y parvenir, il a fallu louvoyer sur des chemins forestiers, traverser des zones lunaires coupées à blanc, remonter une longue saignée dessinée par les lignes à haute tension reliant les barrages de la baie au sud du Québec. Puis, prendre vers l’ouest et s’enfoncer dans les bois pour arriver au soleil couchant devant une longue succession de lacs gelés à propos desquels les chasseurs cris ont été formels: «If you see any water, if you see any slush, you don’t stop. You never stop on the lake.» En français: «Mets les gaz!»

La Vallée de la Broadback a beau avoir l’air impénétrable tant les conifères sont denses, les Cris y sont dans leur jardin. Ils savent toujours où se trouvent le shack d’untel, les bidons d’essence cachés, les meilleurs gibiers. Les lignes de trappes que les tallymen surveillent ont en effet été tracées depuis des siècles par leurs ancêtres nomades, bien avant l’arrivée des Ski-Doo et des canots à moteur, et surtout avant la sédentarisation forcée des années 1970.

Mais plus le temps passe, moins les Cris se sentent chez eux. Les routes forestières sont toujours plus profondes, les bucherons, plus oppressants, les lignes de trappes, plus désertées par les martres et les caribous forestiers.

Il y avait urgence d’agir. La mobilisation a donc été sonnée il y a quatre ans, depuis le camp des trois tallymen. Les compagnies forestières n’arrêtaient pas de leur faire les yeux doux, offrant cash et motoneiges. Un chemin forestier était parvenu au seuil de la Broadback, et le territoire de chasse de Don, le plus aguerri du groupe, venait même d’être rasé. C’en était trop. Avec Stanley, Malcom et une dizaine d’autres trappeurs, ils ont décidé de bloquer la route invasive. Un large panneau a été mis en travers, «Le chemin de la destruction s’arrête ici», et un moratoire unilatéral a été décrété au sujet de la Broadback.

Les maitres trappeurs, désormais épaulés par le Grand Conseil des Cris, souhaitent faire de cette forêt boréale un parc naturel. Les discussions avec le gouvernement Couillard sont toutefois au point mort, bien que la province se soit engagée à protéger 12% de son territoire en 2015, contre 9% actuellement. Rien de surprenant: le premier ministre avait assuré en campagne qu’il «ne sacrifierait pas une seule job dans la forêt pour les caribous». Résolus, les Cris le sont tout autant. Aucun bucheron n’a encore osé braver l’interdit et s’aventurer «chez eux».


Clément Sabourin · Correspondant de l’Agence France-Presse au Canada, il fait partie du comité éditorial de Nouveau Projet.


Sainte-Félicité, Gaspésie

Jamais sans mon fleuve

À Sainte-Félicité, petit village à l’est de Matane, il fait frette. Déjà. Deux semaines que la brume nous assomme. Qu’importe, je ne suis pas venue m’installer dans l’est pour me plaindre de la météo.

Au bord du Saint-Laurent, je suis dans un autre espace-temps, bien loin des échos d’Hochelaga-Maisonneuve, avec ses rails qui crient, ses camions-remorques filant sur Notre-Dame et ses sourdes sirènes de bateaux. Le tumulte de la ville, la diversité des restos, la profusion de shows me manquent, c’est sûr, tout comme l’adrénaline des déplacements à vélo. Mais ce qui me nourrit désormais, c’est cette nature endiablée et sauvage, les forces qui se déchainent. J’ai troqué les odeurs d’exhaust et de levure pour celles du varech et de la mer.

Mes yeux tentent de percer la brume, mais ils se font avaler par sa blancheur. J’entre en douce communion avec ce qui m’entoure. La bruine me tapote doucement les joues. Les vagues de la marée montante se brisent avec éclats sur les récifs de cet endroit que l’on appelait jadis la Pointe-au-massacre. Dans ma ville où la rue principale n’a même pas de trottoir, je comprends que la richesse ne se mesure pas en signes de piastre; cette nature qui porte tant de beauté est une construction millénaire qui n’a pas eu besoin de l’Homme.

Je me souviens de ce matin d’hiver où, vers 7h, habillée comme un ours, j’ai planté ma chaise patio dans le banc de neige en face de chez moi, devant la mer. Les caps de Grosses-Roches et des Méchins me saluaient à l’est, le soleil faisait danser des étoiles sur la neige, la mer au loin essayait de se libérer de la banquise. Un pied de nez à ceux qui m’avaient dit que la Gaspésie, c’était bon pour la retraite. À 35 ans, j’avais bien fait de croire en mon rêve; il m’habitait intensément, ici et maintenant. Trente minutes plus tard, finie la retraite. Je rentrais -déjeuner, mettre quelques buches dans mon poêle à bois et je m’installais à mon poste de travail: j’avais des articles à écrire.

Quand j’ai fixé mes pénates dans cette petite maison, voilà un an, je ne pensais pas passer une année aussi riche. Je regarde derrière moi et je vois tant de moments de vie savourés à la petite cuillère, et rythmés d’expirations profondes. Du quotidien tricoté dans le bienêtre. Trois-cent-soixante-cinq jours—et je ne sais trop combien de sourires—me donnent raison.

Et quand Patrice Roy, durant le Téléjournal, me livre les infos de 18h, quand mes clients me passent une commande par l’internet ou sur mon cell dans le 514, je me dis qu’ils ne savent pas combien ma vie a pris un tournant. Je sais que mon cœur bat au rythme de la Gaspésie et qu’il dit très fort: jamais sans mon fleuve.


Marie-Josée Richard · Journaliste indépendante depuis 2007, elle a fait le grand saut en Gaspésie à l’été 2013.

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