Cinq lois pour une panique salutaire

Marie-Sophie Banville
Illustration: Agent Illustrateur
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Urbanisme nouveau

Cinq lois pour une panique salutaire

En plus d’être d’un ennui mortel, l’attirail juridique qui encadre le développement des villes invite rarement à innover. Qu’arriverait-il si nous adoptions des lois pour nous mettre collectivement au défi d’être inventifs? Objectif: faire souffler un petit vent de panique, nous tirer de la torpeur et nous projeter vers un avenir urbain plus viable.


Encourager l’autopromotion

Dans la capitale nationale, la coopérative Cohabitat Québec est constituée de propriétaires qui ont conçu et réalisé leur propre habitation collective. Ayant omis d’obtenir les couteuses licences imposées aux promoteurs immobiliers, ce groupe s’est retrouvé au cœur d’un long litige avec la Régie du bâtiment du Québec. Or, ces citoyens n’étaient pas en quête de profits; ils ont simplement voulu créer leur milieu de vie. Cohabitat Québec a heureusement obtenu gain de cause, mais beaucoup reste à faire pour que nous nous réappropriions le droit de bâtir nos demeures. Comme le clamait l’architecte Hundertwasser: «Il est temps que les gens se révoltent contre ces constructions semblables aux cages à poules et à lapins qui ne correspondent en rien à leur nature.»



Bannir la pelouse

La pelouse est aujourd’hui, avec le blé et le maïs, l’une des monocultures les plus répandues en Amérique du Nord. Culture stérile et énergivore, elle est étroitement liée à l’essor de la banlieue—et constitue un important marqueur de classe sociale. Mettre fin au règne du gazon est un choix environnemental qui favoriserait l’appropriation des espaces situés entre le domaine privé et l’espace public. Et qui nous pousserait à plus de créativité. Des couverts écologiques aux potagers en façade, les solutions de rechange existent; pourtant plusieurs municipalités au Québec continuent de les bannir et d’imposer des pourcentages de gazonnement.



Faire payer le droit de conserver un local vacant

Un propriétaire préserve son local sur la rue Saint-Denis en attendant une grande histoire d’amour avec McDo? Fine. Qu’il paye. En instaurant un permis de vacance, Chicago s’est attaqué au sclérosant problème des locaux vacants sur ses grandes artères: plus la période d’inoccupation est longue, plus le prix du permis s’élève. Efficace, cette mesure contribue aussi à rééquilibrer le rapport de force entre petits commerçants et grands propriétaires, car ceux-ci, à force de voir le monde à travers un chiffrier Excel, oublient parfois l’importance de ces espaces dans l’écosystème d’un quartier.



Interdire l’asphalte

L’eau, l’électricité, les égouts—éléments fondamentaux sur lesquels repose notre fragile civilisation—sont enfouis sous une imposante masse d’asphalte qu’il faut démolir et reconstruire au moindre incident. Pour s’émanciper de ce couteux et polluant bitume, la ville de Rotterdam (Pays-Bas) travaille à l’implantation d’une première rue constituée de panneaux de plastique recyclé, modulables et préfabriqués. Fantasmes incarnés de l’économie circulaire, les panneaux abimés pourront être rapidement remplacés et reconvertis en nouvelles sections de route. Si nous l’accomplissions ici, cette révolution marquerait aussi la fin du nid-de-poule: nation québécoise, trouve-toi un autre sujet de conversation légère.



Abolir le stationnement sur rue

«L’accès à un stationnement n’est pas un droit humain. C’est comme nous demander où placer votre nourriture ou vos vêtements. Ce n’est pas le problème du gouvernement», disait le flamboyant Enrique Peñalosa, maire de Bogota, en Colombie. Au tournant du millénaire, son administration construisait un ambitieux système de transport rapide par bus tout en réduisant considérablement le nombre de stationnements disponibles dans l’espace public. Selon lui, les fonds publics doivent bénéficier à tous les citoyens, pas uniquement aux propriétaires de voitures. En ce sens, limiter l’usage de l’automobile est, avant tout, une question d’équité et de démocratie.


Marie-Sophie Banville détient une maitrise en urbanisme de -l’Université de Montréal. Elle s’intéresse à l’éthique dans les professions de l’aménagement, veut agir pour des villes plus justes et combat la spéculation immobilière chez Vivacité—Société immobilière solidaire.

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