De l’obligation d’être sexy
Lors des Jeux olympiques de Paris, des athlètes ont révélé alimenter un compte OnlyFans à coups de photos explicites. Que penser de ce mode de financement pour le sport amateur de (très) haut niveau?
L’autrice Daphnée Poirier réfléchit à la transformation des pow-wow en attrait touristique, une initiative qui, dit-elle, a pour effet de folkloriser la culture des Premières Nations. Un texte issu de son livre Pourquoi je ne suis pas une Indienne qui vient de paraitre chez Écosociété.
«Hambourg, Londres, Bruxelles, Chicago, Genève, Barcelone, Osaka... Toutes les grandes villes qui accèdent à la modernité exposent dans des zoos humains ceux qu’ils considèrent comme des sauvages. Sénégalais, Nubiens, Dahoméens, Égyptiens, Lapons, Amérindiens, Coréens et autres peuples dits exotiques sont ainsi présentés dans un environnement évoquant leurs contrées, souvent dans des costumes de pacotille et aux côtés de bêtes sauvages.Charline Zietoun, «À l’époque des zoos humains», CNRS Le Journal, no 263, 2011.1Charline Zietoun, «À l’époque des zoos humains», CNRS Le Journal, no 263, 2011.»
Phénomène très populaire dans différents pays occidentaux au temps des empires coloniaux à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, les zoos humains étaient des expositions ethnologiques où des animaux et des humain·e·s dits «exotiques» étaient exhibé·e·s au public2On les présentait alors comme des «expositions d’ethnographie coloniale» ou des «villages indigènes» et ils furent montrés jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.. Chaque grande foire de ce type avait son «village d’indigènes», offrant ainsi en spectacle des «sauvages» aux visiteur·euse·s, qui les trouvaient à la fois attirant·e·s et repoussant·e·s.
Certes, l’évocation d’une période de l’histoire que nous aurions souhaité révolue peut sembler brutale, mais force est de constater qu’à certains égards, nous en sommes encore imprégné·e·s. Une telle pratique exhibitionniste a-t-elle véritablement disparu? Quelle place réserve-t-on aux Autochtones qui participent aux grands évènements internationaux tels que les rencontres de l’ONU sur les changements climatiques? Chaque année depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, la communauté internationale s’entend sur le fait que les communautés autochtones sont les premières touchées par les dérèglements climatiques. Plusieurs activistes et délégué·e·s de ces sommets s’inquiètent très sérieusement que leurs problèmes, qui relèvent ni plus ni moins de la survie, de la subsistance et du respect des droits de la personne, soient réellement pris en compte dans la ratification des différents accords sur le climat. Pendant ce temps, dans les allées des parcs d’exposition en marge des conférences, les individus arborant des coiffes de plumes et des costumes traditionnels se prêtent au jeu et opèrent toujours un attrait indéniable auprès de ceux et celles qui sont en quête de beaux clichés. Mais en quoi cette démonstration folklorique est-elle essentielle pour permettre de saisir la situation dramatique qui menace ces communautés?
Au Québec, l’engouement de plus en plus flagrant pour les pow-wow fait écho au même processus de mise en scène. Il est devenu de bon ton de vivre cette expérience culturelle. Tourisme Autochtone Québec nous invite même à emprunter la «Route des pow-wow». Or, répondons-nous à cette invitation dans le but de connaitre véritablement des pratiques culturelles de nations ou simplement pour le divertissement de «voir» performer une culture? Ces manifestations culturelles, qui sont d’abord des cérémonies spirituelles, comportent différents codes ritualisés. Il est démontré qu’elles ont des effets bénéfiques pour les communautés qui les pratiquent. Mais qu’en est-il pour les spectateurs·trice·s? N’est-il pas troublant d’apprendre que les Wild West Shows de William Frederick Cody (1846-1917), dit Buffalo Bill, ont eu une certaine influence sur l’apparition des pow-wow lors d’une période où le Canada et les États-Unis avaient restreint toutes formes de pratiques cérémonielles. Ainsi, on interdisait les pratiques liées aux spiritualités autochtones, mais au 19e siècle, les «Autochtones [étaient] globalement encouragé·e·s par les dirigeant·e·s à participer à des spectacles dont le but [était] de divertir la population non autochtone3Sandrine Contant-Joannin, «“Rocking Your Nation”: le pow-wow de Kanehsattà:ke et les identités autochtones», mémoire de maitrise en ethnologie et patrimoine, Québec, Université Laval, 2019, p. 18.». Alors que, pour certain·e·s, les pow-wow représentent des rituels de guérison et de valorisation identitaire importants, pour d’autres, ils sont des spectacles folklorisés faisant partie d’un circuit touristique organisé. Je crains que le regard de la société sur les Autochtones soit encore celui du·de la spectateur·trice fasciné·e par les coiffes de plumes colorées, celui ou celle qui observe un objet de curiosité sans chercher à comprendre le sens véritable de cette «démonstration».
Alors que, pour certain·e·s, les pow-wow représentent des rituels de guérison et de valorisation identitaire importants, pour d’autres, ils sont des spectacles folklorisés faisant partie d’un circuit touristique organisé.
En effet, nous (les non-Autochtones) entretenons des rapports ambigus avec les Autochtones. Nous sommes obnubilé·e·s par leur attachement à la terre. Nous louangeons leur appartenance au territoire et leur rapport intime à la nature ainsi qu’aux phénomènes cosmologiques. Ou bien, à l’inverse, nous disons d’elleux qu’iels sont des privilégié·e·s, des «profiteur·euse·s du système», nous les ostracisons, les assimilons, les faisons disparaitre, les instrumentalisons, les confinons dans des lieux insalubres. Ces deux perspectives ont en commun qu’elles sont prisonnières du legs colonial. Elles traduisent notre incapacité en tant que peuple à se débarrasser du sentiment de supériorité et de culpabilité qui nous étreint.
On pourra me reprocher avec justesse d’adopter une vision trop dichotomique, puisqu’il existe d’autres discours et regards sur les Autochtones. Certes, la documentation produite par plusieurs anthropologues, ethnohistorien·ne·s4Rattaché·e·s à l’ethnohistoire. «Ce concept a été introduit au début des années 1950 par les anthropologues nord-américain·e·s, soucieux·euses d’étudier le passé des sociétés amérindiennes. La recherche ethnohistorique [...] a pu être définie comme une méthode transdisciplinaire ayant pour dessein une meilleure connaissance des sociétés “sans écritures”.» Gilles Havard, Empire et métissages, 2e édition, Québec, Septentrion, 2017, p. 29. et sociologues nous enseigne que l’histoire des rapports entre les Hollandais·es, les Français·es ou les Anglais·es et les peuples des Premières Nations est plus nuancée. Toutefois, l’interprétation «populaire» et notre réappropriation historique, voire une certaine historiographie des peuples autochtones, ne le sont pas toujours. Le souvenir de mes livres d’histoire du secondaire et ceux de mes enfants aujourd’hui consolident mon impression d’un manque flagrant de nuance. Chaque fois, la même question s’impose à moi: pour quelle raison? Pourquoi, si on ne croit pas que les Premiers Peuples sont des privilégié·e·s à assimiler, ressentons-nous «presque» l’obligation d’encenser les Premières Nations, comme si nous avions le devoir de réhabiliter un savoir, une manière de faire partie de la nature, de respecter des rites, tout en sombrant presque indéniablement dans la folklorisation ou la caricature?
Dans les deux cas, il n’y a pas de réponse claire et simple, car cela reflète un malaise collectif profond qui est loin d’être résolu. Si nous (non-Autochtones) avons déjà vécu une certaine proximité, voire des rapports quotidiens avec les Autochtones, la distance qui maintenant nous sépare est à ce point abyssale qu’il est presque devenu impossible ou du moins extraordinaire d’entretenir un rapport avec elleux qui soit empreint de «normalité», c’est-à-dire de simplement partager la quotidienneté, l’ordinaire, les pratiques.
Daphnée Poirier est détentrice d'un doctorat en sociologie de l'Université du Québec à Montréal. Elle est directrice du Centre d'action bénévole de son village et elle est impliquée dans des enjeux de développement social tel que l'habitation abordable. Elle a le privilège d'être maman de trois enfants qui sont rendus à l'âge adulte.
Pour aller plus loin
Pourquoi je ne suis pas une indienne, un essai de Daphnée Poirier paru chez Écosociété en juin 2022
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