Comment arrêter

Kristin Dombek
Publié le :
Essai lyrique

Comment arrêter

À propos de la dépendance et de la dépendance aux dépendants, des deuils et de l’embourgeoisement, et de ce qu’il faut penser, quand les gens et les lieux changent trop et trop vite.

Considéré dans ce texte

L’embourgeoisement et son étrange rapport au passé. Les endroits qui nous donnent juste envie de boire et de baiser. Le film Drive et Ryan Gosling en général. Les bars de hipsters qui font jouer les chansons de Rihanna. La lumière particulière de Williamsburg, Brooklyn.

Nous sommes incapables de renoncer à quoi que ce soit, faisait remarquer Freud. Cela indique une inaptitude à faire le deuil. La personne dépendante est une non-renonciatrice par excellence.

Avital Ronell, Crack Wars

La vie peut devenir merveilleuse si on sait s’y abandonner.

Ralph Waldo Emerson, «Cercles»

Deux coins de rue à l’est de l’East River, à côté du Williamsburg Bridge, se dresse une ancienne usine blanche, haute de sept étages, dont les fenêtres donnent sur le pont, sur Manhattan, sur les toits bas de Williamsburg et ses célèbres châteaux d’eau. Nous sommes en 2011, mais l’immeuble n’a pas encore été transformé en condos. À l’intérieur, on se croirait en 1994. Chaque étage est un labyrinthe de lofts, de studios, de galeries et d’ateliers. Les corridors sont remplis d’odeurs étranges et de la poussière accumulée au fil des décennies. Il y a quelques années, pendant un party, un membre d’un groupe quelconque s’est retrouvé bloqué entre deux étages dans le monte-charge et a essayé d’en sortir en sautant, mais il est tombé et s’est tué; le monte-charge n’a pas été réparé depuis. Alors il faut grimper les escaliers gris et escarpés qui partent du sous-sol, où gronde une gigantesque machine.

Rendu au cinquième étage, la respiration est pénible. C’est l’hiver, et la machine qui gronde est une chaudière à vapeur. À quelques heures d’intervalle, elle projette de l’air brulant et humide dans les tuyaux. Les occupants ouvrent alors leurs fenêtres, et leurs longs rideaux blancs sont agités par la vapeur sifflante. À l’extérieur, des passants gravissent la pente abrupte du passage piétonnier du pont, à pied, sur une planche à roulettes ou à vélo. Seulement quelques-uns d’entre eux tentent de voir à l’intérieur de l’immeuble. J’y suis, fumant cigarette sur cigarette.

Le soleil descend derrière le pont, emplissant ma grande pièce blanche d’une chaude lumière rougeâtre. Quand passe un train de la ligne J, M ou Z, la pièce s’assombrit, puis s’emplit de rouge à nouveau. Le ciel aussi vire au rouge, puis à l’orange, puis à l’indigo, sans étoiles, comme toutes les nuits de Brooklyn. C’est l’heure du cinq à sept. La moitié du voisinage est déjà saoule à cause des 2-pour-1 sur la bière en fut ou des promotions «shooter + Pabst Blue Ribbon». Toute la semaine, dans des lofts et des devantures de magasins, les jeunes qui font du markéting incognito pour des agences de pub ont fait passer leur OxyContin avec de l’Adderall et leur Adderrall avec de l’OxyContin. Ils sortent maintenant des bouteilles de téquila de leurs tiroirs de bureau et envoient des textos à leur dealeur. Un groupe country transporte ses banjos jusqu’au Rod and Gun Club, fait sa balance de son au Trash Bar et allume le foyer à l’Union Pool. La sirène du Shabbat siffle dans le South Side. Il sera bientôt l’heure de sortir.

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La neige est arrivée pendant la fin de semaine de l’Halloween, cette année, de gros flocons tombant sur le pont, transformant le paysage en une version industrielle des gravures de Currier & Ives, avec le Gretsch Building comme un fantôme gris derrière les trains. Un vent froid soufflait la sloche et brisait le parapluie de piétons qui peinaient à avancer sur le trottoir. C’est ce jour-là que le chauffage a été allumé. Un cognement métallique d’abord venu d’en bas s’est répandu par les murs, puis il y a eu un bruit d’eau dans les tuyaux, et finalement—dans le grand studio de sculpteur que j’ai transformé en ma pièce d’écriture—on a entendu un bruit semblable à celui d’une bouilloire sur le point de siffler. De la vapeur s’est mise à jaillir à l’extrémité d’un des tuyaux, puis de l’eau a giclé, innondant le plancher. Je me suis préparée mentalement à une explosion, mais il s’avère que c’est ainsi que les choses se passent chaque fois que le chauffage est enclenché. Cela fait un bruit de catastrophe, mais c’est tout.

Cet après-midi-là, un guitariste enchainant les beuveries depuis le décès de sa mère a bravé la neige depuis Bushwick pour venir me baiser, des sacs en plastique dans ses Converse parce qu’il était trop pauvre pour s’acheter des bottes. J’ai descendu à pied les six étages pour lui ouvrir la porte. Je ne l’avais jamais vu à jeun auparavant, et c’est pourquoi je lui ai donné ce rendez-vous en après-midi, mais j’avais quand même caché un litre de Jack Daniel’s au-dessus du frigo. Dans l’escalier, l’éclairage était faible et intermittent. De la neige qui s’était infiltrée par le toit fondait à l’intérieur des murs jaunis et créait des flaques sur les paliers. Nous ne nous sommes pas embrassés dans l’entrée. Nous avons gravi les escaliers en bavardant et en tentant d’éviter les flaques d’eau. Quelques minutes plus tard, j’étais agenouillée devant lui. La semaine suivante, je me suis moi-même acheté des bottes—de courtes bottes noires qui se lacent, des bottes datant de l’époque du charbon et de la vapeur, mais dotées de talons si hauts qu’elles ont toujours quelque chose de sexuel.


Je suis dans l’immeuble, mais je pense à une autre bâtisse industrielle blanche, à dix rues d’ici, au bord de la rivière. En 1999, j’habitais avec une amie sur la Septième rue Nord près du Brooklyn-Queens Expressway, dans un appartement étroit qui sentait le vernis bon marché et la moisissure, quoi qu’on fasse pour éliminer l’odeur. Après avoir emménagé, nous avions appris que le propriétaire venait d’évincer une famille portoricaine avec quatre enfants et avait doublé le loyer à 1 200 dollars, ce qui était presque trop cher pour nous. Puis un messager à vélo de notre connaissance a entendu dire que des amis à lui construisaient des lofts dans un ancien entrepôt de textile sur la Troisième rue Nord. Nous avons marché jusqu’à la rivière et gravi cinq volées de marches, jusqu’à une immense pièce avec un mur de fenêtres donnant sur la rivière et toute la ville lumineuse. C’était un endroit aussi excitant qu’une cathédrale, aussi beau et triste que l’homme dont vous tombez amoureuse en sachant très bien qu’il va vous briser le cœur. Nous savions que nous serions éventuellement chassées par une augmentation de loyer, comme les Portoricains. Mais pour pouvoir emménager dans l'ancien entrepôt, il nous fallait récupérer notre acompte.

Notre plan était le suivant: le messager à vélo se rendrait à notre appartement et lancerait une brique à travers une fenêtre, avec une note qui dirait: yuppies go home. Je contacterais alors la police, ferais une déposition, puis appellerais notre propriétaire en pleurant, me plaignant que le quartier était devenu trop dangereux et pouvait-il nous rendre notre acompte? Mais le jour avant la mise à exécution de notre ingénieux plan, mon petit ami de l’époque—un jeune punk de La Nouvelle-Orléans au regard tendre, qui était aussi un revendeur de drogue et avait donc de l’expérience avec la police—m’a convaincue que je ne passerais jamais l’étape de la déposition, parce que j’étais une mauvaise menteuse, selon lui. Alors nous avons abandonné l’idée et notre acompte, emprunté de l’argent au messager à vélo et emménagé dans l’ancien entrepôt.

Ma part du loyer était de 650 dollars. Il m’est impossible de vous communiquer tout le bonheur que j’ai eu, assise devant ces fenêtres à regarder les barges descendre lentement la rivière, tirées par des remorqueurs rouge vif, les édifices de Manhattan transformés d’heure en heure par la lumière changeante, et les hypnotisants bouteurs du centre de gestion des déchets voisin, poussant des montagnes de détritus au milieu des camions à ordures aux couleurs vives. Cinq années de potlucks et de partys, de musique et de spectacles, de performances interdisciplinaires-multimédias-collaboratives-interactives. Les tours jumelles s’écroulant de l’autre côté de la rivière, les chars d’assaut descendant Bedford Avenue, puis toutes les manifestations antiguerre. Un homme de qui tomber amoureuse, un magnifique ex-junkie (et accro intermittent aux antidouleurs) qui avait emménagé à côté. Toutes nos nuits passées dans des bars, le sexe dans les toilettes, les lignes snifées sur les banquettes du fond après la fermeture, les cris sur les trottoirs, les baises en montant les cinq étages, alors que le soleil se levait. Vous avez été jeune ou vous l’êtes toujours, et vous connaissez cette histoire et l’histoire de ce quartier, ou vous pensez la connaitre. Les propriétaires ont commencé à nous expulser pour construire des condos de plusieurs millions de dollars, et l’ex-junkie et moi avons déménagé plus à l’est, comme tout le monde—dans la partie italienne de Williamsburg, dans notre cas. Mon loyer me coutait trois fois plus cher, et j’ai eu l’impression qu’un monde s’écroulait. J’ai commencé à rêver à un tranquille appartement avec jardin à Boerum Hill ou à Prospect Heights, loin des condos en construction et des jeunes de 22 ans. Mais quand j’ai laissé mon ex-junkie, je suis revenue ici, dans mon ancien quartier maintenant méconnaissable, dans cet immeuble qui ressemble à celui où je l’ai connu, avant les condos.


C'était un endroit aussi excitant qu'une cathédrale, aussi beau et triste que l'homme duquel vous tombez amoureuse en sachant très bien qu'il va vous briser le cœur.


Derrière le pont, le Gretsch Building s’allume. À l’intérieur, des gens riches prennent peut-être l’apéro. Je ne les vois pas d’ici. Le Gretsch était une manufacture d’instruments de musique, avant de se remplir d’artistes. Puis, en 1999, la compagnie de gestion s’est mise à fermer l’eau et l’électricité et le chauffage, puis à les rouvrir, puis à les fermer de nouveau. De cette manière, elle a réussi à chasser les locataires. L’immeuble a maintenant un hall d’entrée en granit, des ascenseurs en verre, une chute d’eau propice à la méditation et des unités équipées d’électro-ménagers Sub-Zero, de piliers en béton et de foyers en pierre calcaire de Pietra Colombino. Certains disent que Beyoncé y habite. Je ne l’ai pas vue, mais j’ai vu le reste, lors de la plus ennuyante veille du jour de l’An de tous les temps. À partir de la fin des années 1990, des dizaines d’autres immeubles de lofts ont chassé leurs occupants. Notre ancien entrepôt de textile a été l’un des derniers à y passer, en 2006. Après notre éviction, des architectes ont creusé un atrium et construit un hall d’entrée tout droit sorti de 2001: L’odyssée de l’espace—grandiose et d’un blanc lustré, flanqué d’étranges corridors asymétriques. Le centre de gestion des déchets a été rasé, puis The Edge a été construit, suivi de Northside Piers, tous deux composés d’une trentaine d’étages d’horribles condos en verre, avec dans leur sous-sol des piscines, des «systèmes de golf», des salles de projection. Lorsque l’apocalypse arrivera à Williamsburg, ces immeubles s’élèveront vraisemblablement du sol dans leur lumineuse autonomie et iront valser en orbite autour de la planète dévastée pendant que leurs occupants se réuniront dans leurs salons de billard, boiront des cocktails compliqués et admireront leurs skinny jeans en néoprène.

Mais l’embourgeoisement est le contraire de l’apocalypse. L’apocalypse mettrait l’histoire sur pause, transformerait le monde construit en une montagne d’ordures et ferait sans doute baisser le prix des loyers. L’embourgeoisement pousse l’histoire vers l’avant, sort les ordures, déblaie les vestiges, fait disparaitre les pauvres, vous force à travailler toujours plus pour payer votre loyer et rend inintelligible le passé, cette époque où vous n’aviez pas besoin de tenir autant d’emplois différents juste pour pouvoir habiter là. Pour nous faire oublier sa négation du passé et des pauvres, l’embourgeoisement produit des restaurants et des bars qui simulent d’autres passés. Le vieux magasin d’alcool au coin de la Troisième Nord et de Berry, où nous avions l’habitude d’acheter des barils de bière pour nos partys, est maintenant un biergarten d’inspiration vieille Allemagne, et ses serveuses ont la poitrine gonflée comme des personnages de dessins animés par de petits corsets typiquement biergarten allemand. De l’autre côté de la rue, où pendant des années se trouvait un atelier de réparation de motos, siège aujourd’hui un étincelant magasin d’articles de surf et de skate. On trouve aussi une demi-douzaine de bars à cocktails inspirés des établissements clandestins des années 1920, jusqu’à la moustache en guidon de vélo de ses barmans. Trois diners assez pittoresques pour faire fondre votre cœur. Marlow & Sons et les autres endroits d’inspiration champêtre, où vous mangez entouré de trophées de chasse et d’outillage agricole décoratif. Les magasins généraux, les crèmeries du bon vieux temps, les shacks à barbecue du bon vieux temps, les shacks à poulet frit du bon vieux temps, les restaurants de style après-ski rustique. Il y a tous les passés imaginables, mais aucun dont vous vous rappelez vraiment.

Quand un quartier change autant et si vite, on est partagé entre deux sentiments: soit l’ancien quartier était le vrai, et le nouveau est une sorte de sosie monstrueux, soit c’est ce nouveau quartier qui est le vrai, et l’ancien était donc une sorte de mensonge.

Si l’ancien quartier était le vrai, l’immeuble où je vis est une sorte de machine à voyager dans le temps propulsée à la vapeur. Si le nouveau quartier est le vrai, cet immeuble est un rêve, ou une crypte.

Autrement dit: tout ce que j’ai envie de faire, dans cet immeuble, c’est boire et baiser. Me voici donc, à siroter du whisky pour faire passer une certaine nervosité post-cocaïne, et à rouler des cigarettes Bali Shag pour économiser de l’argent.


La musique de cet hiver est la bande sonore du film Drive. Dans le quartier, tout le monde en parle. Le barman de l’autre côté de la rue la fait jouer chaque fois qu’il travaille. Un après-midi, je vais voir le film seule au Nitehawk sur Metropolitan Avenue, où le son est bon et où il est possible de manger. Je commande un Bloody Mary, prudemment, incertaine du son de ma voix ou de l’apparence de mon visage, parce que je viens de passer 24 heures à baiser le guitariste sur le mdma. Mes jambes sont faibles et je dois constamment vérifier que j’ai tous mes vêtements et mon visage brule et tout le monde semble me regarder bizarrement. L’ecstasy s’en va tranquillement; ce ne sera pas l’un de ces lendemains de veille suicidaires; tout est succulent et précis. Quand la musique démarre, je peux la sentir dans mon siège. Un rythme de basse doux et lancinant, allant et venant comme des vagues, avec parfois une charmante voix synthétique de fillette qui chante par-dessus. «A Real Hero», de College et Electric Youth: «You have proven to be / A real human being and a real hero.» «Under Your Spell», de Desire: «I don’t eat / I don’t sleep / I do nothing but think of you.»

La conduite automobile comme telle est parfaite. Les manœuvres silencieuses de Ryan Gosling, son attention, son écoute. Il ne dit presque rien et ne bouge que si c’est absolument nécessaire. Il adresse à peine la parole à Carey Mulligan, qui a le visage d’une très jeune fille. Mais il l’emmène en balade et lui sourit et l’aide avec ses sacs d’épicerie et sa voiture et son fils et, vraisemblablement, ils tombent amoureux. Leurs scènes ensemble sont pleines de ce qui n’est pas dit, de la même manière que les scènes de Twilight sont pleines de ce qui n’est pas fait, quand la fille et le vampire ne peuvent pas baiser parce qu’il pourrait accidentellement la tuer.

Une fois, Gosling et Mulligan se tiennent la main—ou plutôt elle place sa main sur la main gantée de Gosling, qui est sur le bras de vitesse. C’est le seul sexe qui nous est offert jusqu’aux deux tiers du film: ils se trouvent alors dans l’ascenseur de leur immeuble, celui-là même où ils se sont rencontrés, et un homme à côté d’eux met la main dans son manteau pour s’emparer de son révolver. Gosling se tourne vers Mulligan et l’embrasse pour la première fois, un baiser vraiment profond. La lumière s’embrase et la musique électronique est une douce pulsation, et le baiser est en superralenti et dure un très long moment. Puis il la pousse dans le coin, fracasse le crâne de l’homme contre le panneau de contrôle de l’ascenseur, le jette par terre et piétine sa tête jusqu’à ce qu’elle ne soit qu’un genre de bouillie et que le sang ait giclé partout, et l’homme est mort, mais Gosling continue quand même à le piétiner, comme s’il voulait se couvrir de sang lui aussi. Puis la porte de l’ascenseur s’ouvre, Mulligan recule un peu et se contente de le fixer sans rien dire.

Quand quelqu’un change autant et si vite, on est partagé entre deux sentiments: soit l’ancienne version était la vraie, et la nouvelle est une sorte de sosie monstrueux, soit c’est cette nouvelle version qui est la vraie, et l’ancienne était donc une sorte de mensonge.

Le guitariste se met à baiser une autre fille et tout à coup ne me parle plus quand je le vois au bar de l’autre côté de la rue.

Le tragique revirement de situation vous donne une douloureuse envie de retourner en arrière. D’un autre côté, le tragique revirement de situation est lui-même une machine à voyager dans le temps. Il vous permet de replonger dans le passé pour tout voir avec un regard nouveau et poser des questions auxquelles vous ne pouvez pas répondre. Dans l’ascenseur, Mulligan constate que l’homme qui semblait si différent de son criminel et caractériel de mari est en fait pareil, aussi violent ou peut-être même plus. Faisait-elle donc quelque chose de différent, en aimant quelqu’un qui semblait si adorable, ou rejouait-elle le même scénario? Elle ne le saura jamais, mais cela la tracassera sans doute toute sa vie, à moins qu’elle ne soit ce genre de femmes capables de simplement oublier et de passer à autre chose.

Mes résidents préférés de Williamsburg sont des machines à tragiques revirements de situation, le genre de personnes qui ne cessent de disparaitre dans leur vie secrète—des personnes qui présentent d’intenses difficultés d’interprétation, dans un endroit où aucune rue ne reste la même plus de quelques semaines.

Ç’a été le lendemain de veille le plus glorieux de ma vie. Cependant, chaque fois que j’essaie de refaire de l’ecstasy par la suite, les lendemains sont si pénibles qu’ils me donnent envie de sauter en bas de la fenêtre, sur le Williamsburg Bridge, juste pour cesser d’avoir envie de mourir. Mais chaque jour d’après, je me réveille ressuscitée, parce que cet immeuble est rempli de joie.

  • Photo: Matthew Chamberlain

Les alcooliques, les toxicomanes, les accros au sexe, les joueurs compulsifs, les gens qui sont au cœur d’une virée gigantesque et possiblement fatale (ou ceux qui tentent de se remettre d’une telle virée): voilà les seuls individus qui m’intéressent vraiment, ce qui veut dire que je ne fréquente ou ne baise ou n’aime que des gens qui ont un parent ou deux de décédé(s), des personnes bipolaires ou de manière générale déprimées, des musiciens, des auteurs ou des menteurs pathologiques. Malgré tout, je ne m’en rends jamais compte quand je les rencontre. Ils m’apparaissent toujours comme les meilleures personnes au monde. À un certain moment, une semaine ou deux après le début de notre amitié ou de notre aventure, j’en prends conscience, mais à ce moment-là je suis déjà accro à eux, parce que les choses que ces individus font pour ne pas avoir à vivre dans la réalité sont fantastiques. Ils transforment des soirées ordinaires en vastes univers électriques qui s’incrustent dans la tête comme un nouveau rythme, reçoivent et donnent du plaisir comme si leur vie en dépendait, font de la musique ce qu’elle est et de l’art ce qu’il est. Parce qu’ils sont incapables de faire ces choses qui sont nécessaires au mariage, ils peuvent injecter l’équivalent en intimité d’un mariage entier dans une seule nuit de baise, et vous pouvez être la récipiendaire de tout ça, «like you’re the only girl in the world», pour citer Rihanna. Selon toute vraisemblance, vous n’êtes pas «the only girl in the world», mais c’est ce qu’il y a de bien avec les dépendants: ce sont d’éternels optimistes, et ils peuvent vous faire croire n’importe quoi.

Je connais bien les raisons pour lesquelles on considère qu’il est malsain d’aimer les gens ne pouvant traverser une journée sans se défoncer. Ils déclenchent des bagarres stupides dans des bars avec des hommes qui, à leur avis, flirtaient avec vous, et vous devez les serrer dans vos bras jusqu’à ce qu’ils retrouvent leur calme et que vous puissiez filer en douce votre numéro aux gars en question. Quand vous commencez à baiser avec un autre, ils débarquent chez vous au milieu de la nuit, finis, et dégonflent ses pneus. Ils vous aiment tellement qu’ils vous obligent à cesser d’être amie avec tous ceux avec qui vous avez couché avant de les rencontrer. Pourtant, ils finissent toujours par faire preuve d’un certain problème d’attention à votre égard. Ils vous baisent du regard pendant tout leur spectacle, puis ils s’assoient à vos côtés et se mettent à embrasser votre amie. Ils jurent qu’ils ne baisent pas la fille qui remplit la cuisine commune de pâtisseries chaque fois que vous sortez de la ville pour quelques jours, jusqu’à ce que vous embrassiez son petit ami à elle, la forçant à admettre rageusement qu’elle avait une aventure avec le vôtre. Il y a les humeurs changeantes, cette manière de se mettre soudainement à vous crier dessus sur au coin de rue d'une ville étrangère parce qu’ils ne peuvent supporter le stress et qu’ils sont trop gelés pour lire une carte. Ils volent du tabac dans votre sac à main en sortant de l’appartement, puis disent qu’ils ne savaient pas que c’était le vôtre. Ils laissent un portefeuille volé à côté de votre lit, puis entrent chez vous par effraction pour le récupérer et ont le culot, quand vous les mettez devant le fait accompli, de prétendre que le portefeuille est à eux, que c’est vous qui avez oublié leur vrai nom et que les gens ne se ressemblent pas sur leur photo de permis de conduire. Sans parler de la façon dont ils vous disent, quand vous leur demandez pourquoi ils ont toujours les yeux mi-clos, que c’est parce qu’ils sont relax et contents d’être avec vous, et toutes les fois où ils fouillent désespérément dans leurs affaires à la recherche de l’OxyContin qu’ils vous jurent ne pas avoir, la façon dont—même quand ils sont en train de vomir, tout luisants sur le plancher de la chambre d’hôtel pendant vos seules vacances de l’année, et que cela fait trois jours que vous êtes incapable de leur faire avaler le moindre morceau de bagel du service aux chambres—ils n’admettront jamais qu’ils sont en sevrage, et encore une fois vous vous ferez croire qu’ils ont juste l’estomac fragile.

Le problème, c’est que je trouve tout ça charmant—infiniment plus intéressant, en tout cas, que les choses que font les gens sobres.

  • Photo: Global Jet

Je sors. Dans le bar de l’autre côté de la rue, ils passent Kavinsky et Lovefoxxx, de la bande sonore de Drive, la voix éraillée métallique disant: «I’m going to show you where it’s dark / But have no fear.» Je peux m’obstiner sur des questions de géographie avec un ivrogne de la Caroline du Sud ou je peux brièvement tomber amoureuse d’un coké sorti tout droit de Winesburgh (Ohio) et finir par faire un blowjob à un homme d’affaires français, et je peux garder tous ces gens en moi jusqu’au lendemain, chacun étirant juste un peu la réalité. Je peux rester exactement à la même place et voir ce qui se produit, ou je peux suivre un quelconque ivrogne ou toxicomane jusqu’à un autre bar ou à un party à Bushwick ou Bed-Stuy. Même dans les bars de hipsters, on passe la chanson de Rihanna à propos de l’amour sous influence chimique: «We found love in a hopeless place.»

Il y a des choses que vous ne saurez jamais, à moins de suivre ce genre de personnes. Par exemple: il est possible de boire tellement de whisky que la gueule de bois aura quelque chose d’opiacé, et le lendemain au crépuscule, quand vous réussirez enfin à sortir dehors, le monde sera doux et mauve et mouvant, et le visage des gens sur le trottoir sera illuminé par les possibilités, irradiant une paix folle.


C’est ce qu’il y a de bien avec les dépendants: ce sont d’éternels optimistes, et ils peuvent vous faire croire n’importe quoi.


Ça ne marche pas toujours. Je ramène chez moi un barbu fou et saoul qui me baise jusqu’à un poil de la mort, mais ne me rappelle jamais par la suite. Je ramasse sur la rue un ivrogne qui dit travailler pour l’onu et avoir été formé par le fbi pour établir des périmètres de sécurité pendant les enquêtes sur des explosifs ou quelque chose du genre, et je ne le rappelle pas. Je remarque un junkie sale sur le quai de la ligne G, avec une toile sous le bras et des yeux de pervers ou d’homme sur une croix, et nous échangeons un regard que je n’oublierai jamais, un regard de reconnaissance et de sexe et de cette chose brillante que je me plais à confondre avec l’amour, mais je suis dans un train qui ne fait que passer et rapidement il est déjà loin. Une nuit, j’essaie de ramener le batteur d’un groupe country. Il ressemble à Kid Rock et, si je plisse les yeux, à David Foster Wallace, et je suis certaine qu’il a envie de revenir avec moi. Mais il y a quelque chose d’étrange à propos de lui. Je lui dis qu’il semble s’ennuyer, quand il joue de la batterie. Il répond qu’il a mal au dos parce qu’ils ont enregistré toute la journée. Je considère que les batteurs n’ont pas le droit de parler comme ça, surtout pas ceux qui ressemblent à Kid Rock, et je lui fais la morale parce qu’il est fatigué et s’ennuie. Il devrait être sexy, mais ne l’est juste pas. C’est frustrant. Le sermonner, toutefois, ne s’avère pas une bonne manière de le séduire. Le lendemain, je comprends ce qu’il y avait d’étrange à propos de lui: il était sans doute à jeun.

Comment les gens sobres réussissent-ils à se rapprocher les uns des autres? Personne ne le sait, ou en tout cas personne que je connais ne le sait. Dans les films, ils organisent des rendez-vous. L’un dit: «As-tu envie de faire quelque chose demain soir?», l’autre répond: «OK, 20h?», et c’est réglé. Ils ne mentionnent jamais ce qu’ils vont faire, ou l’endroit où ils se rencontreront. Je m’inquiète pour eux, errant dans la ville, leurs montres mal synchronisées, se maudissant de ne pas avoir fait un fucking plan. Il est beaucoup plus facile d’être finis et de retourner à la maison ensemble le soir même.

Je fais ça depuis l’université, et pas seulement pour le plaisir. Je fais les parties moins drôles, aussi. Je suis l’amie qui vous laisse occuper son lit trois jours et trois nuits quand vous êtes prêt à traverser la période des tremblements, s’assoit à côté de vous pendant que vous gémissez, essaie de vous faire avaler un bout de rôtie, du gruau, n’importe quoi, vous force à boire de l’eau pendant que vous trempez ses draps de sueur. Et un an plus tard, dans votre épicerie de La Nouvelle-Orléans, je vous aiderai à acheter assez de liqueur de malt pour durer une semaine, faisant semblant de ne pas remarquer les gens qui fixent notre charriot rempli de quarante onces cliquetants; j’aurai le cœur brisé mais je le ferai. Je suis l’amie qui descendra Metropolitan Avenue avec vous en marchant à la vitesse d’un pâté de maisons à l’heure parce que vous êtes tellement gelé et mou que vous devez vous accrocher à chaque lampadaire et boite à lettres pour réfléchir, blaguer, piquer du nez, plié en deux, jusqu’à ce que vous soyez prêt à vous rendre au prochain. Je comprends ça. Je comprends comment le temps vous semble passer au ralenti. Qu’il n’y a rien d’autre que je puisse faire qu’être avec vous. Vous me faites me sentir très calme. Je ne sais combien de fois ma seule tâche a été d’aider quelqu’un à se rendre d’un coin de rue à l’autre. J’aurais dû être brigadière. Parce que je ne dis jamais non, je ne dis jamais que c’est vraiment ridicule. Plus tard, quand je serai certaine d’avoir votre attention, je vous dirai: «Change, s’il te plait, change», mais ce que je voudrai vraiment dire, c’est: «Regarde-toi, qu’est-ce que tu ferais sans moi, tu tombes en morceaux, tu fucking mourrais si je n’étais pas là, je suis la personne la plus importante dans ta vie. Ne meurs pas. Reste avec moi. Ne me quitte jamais.»

Répéter sans cesse les mêmes mots est la seule manière de s’assurer qu’ils auront une signification différente, a dit Gertrude Stein. J’ai accroché une photo d’elle dans ma salle de bain pour me rappeler, pendant que j’applique mon eye-liner et que je me prépare à sortir, que je devrais baiser des filles, à la place.

J’invite une femme à dormir sur mon sofa-lit. Je sais qu’elle est timide, alors je prends soin de ne pas flirter avec elle. Je prépare le sofa-lit, puis je lui fais une omelette. Nous buvons de la Miller High Life, et elle se couche et se tourne sur le côté et me demande de lui «faire un câlin», puis je me retrouve avec ses seins parfaits aux mamelons durcis dans la bouche. Rapidement, ça me revient: parfois, quand vous faites jouir une femme, c’est comme si vous essayiez de lui faire émettre des cris de douleur.

  • Photo: Nicolette Mason

Je peux voir le Gretsch Building et je sais ce qu’il y a à l’intérieur, mais de manière générale, l’embourgeoisement se trouve au nord et derrière moi, comme si rien ne s’était passé. J’écris dans le bruit des trains, rapides et francs. C’est comme si j’étais restée trop longtemps à la foire, mais que je continuais à gagner des animaux en -peluche au jeu des fusils à eau. Un trou dans le temps. Des amis débarquent quand ils le veulent, au milieu de l’après-midi ou à la fermeture des bars, et nous mettons de la musique et nous nous couchons par terre et parlons. Nous dansons. Je danse quand je me lève et avant de me coucher, et je fume trop de cigarettes, et ça ne me dérange pas.

En novembre, l’eau est fermée pour la première fois. Depuis des années, la compagnie de gestion et les locataires mènent une bataille judiciaire à propos de l’éviction de masse qui semble toujours sur le point de se produire. On me conseille par courriel de suivre les tuyaux à l’extérieur de mon appartement jusqu’à ce que je trouve le problème. Mais les tuyaux ne cessent de disparaitre à l’intérieur des murs, et je suis trop gênée pour cogner aux autres appartements. Dans l’ancien immeuble à lofts où j’ai rencontré mon ex, nous avions passé six mois sans douche et sans poêle, et ce n’était pas un drame. Enfant, j’ai passé un mois à faire semblant que j’étais Laura Ingalls Wilder. Ma mère m’avait fait une jupe en patchwork qui touchait par terre, et je la portais en faisant mes corvées comme une pionnière, lentement, lavant mes vêtements à la main et les battant avec des bâtons. Alors je sais comment vivre avec tout ça. Dans le lavabo du corridor, je remplis des seaux d’eau que je vide dans ma toilette, dans mon Brita, dans des verres et des tupperwares que je dispose partout dans la cuisine et la salle de bain. Je transporte la vaisselle sale dans le corridor et je la lave sous le robinet d’eau glacée. Les jours où j’ai des chances de ramener quelqu’un à la maison, je descends l’escalier et marche quelques pâtés de maisons jusqu’à l’endroit où habite maintenant le messager à vélo, et je prends une douche, me rase les jambes, me presse une débarbouillette chaude contre le visage, puis je refais le chemin en sens inverse, les cheveux mouillés dans l’air hivernal. Ça me laisse de moins en moins de temps pour écrire et travailler, mais ça ne me dérange pas. Rapidement, cependant, ma salle de bain se met à sentir très fort la merde, et je crains que les égouts soient sur le point de remonter les six étages et d’inonder mon loft.

Me voici donc à vivre comme une pionnière avec mon eau, mais une pionnière qui dispose de bas de laine filés à la main et vendus 80$ chez Marlow & Sons. Malgré tout, je ne peux ignorer le bonheur que j’éprouve à être de retour ici, dans l’ancien monde, s’il est vraiment possible de revenir dans ce monde.

J’achète un manteau en simili rason semblable à ceux que nous portions durant les années 1990, un manteau sombre de drogué avec un large collet.

Dans le poème Le paradis perdu, c’est Satan qui croit que l’esprit peut transformer le ciel en enfer, et l’enfer en ciel. Tout le monde sait qu’il est le personnage le plus intéressant, dans l’histoire.

J’imagine que le quartier lui-même a pris de la drogue. Quand je le regarde comme ça, je l’adore.


Pour Al-Anon, renoncer à une dépendance aux dépendants est la même chose que de renoncer à une dépendance: la répétition est la preuve que vous n’avez pas de contrôle sur la maladie, que vous êtes impuissant devant elle, et le seul remède est de transférer votre dépendance vers une puissance supérieure, de demander pardon, de développer une conscience morale et de fixer des limites plus claires, de vous identifier à une catégorie abstraite—dépendant, alcoolique, complice—puis, parce que vous êtes impuissant, de tourner la page et de laisser tout cela derrière vous. Interdit d’entrer dans le bar, interdit d’aller sur l’internet ou même de jeter un regard aux annonces d’escortes, interdit d’aider votre ivrogne de mari ou votre droguée de femme. À la place, vous devez intégrer dans votre vie ce réseau d’étrangers qui sont dans la même catégorie de dépendants que vous, quitter le monde parallèle dans lequel vous viviez, retourner dans l’ennuyante réalité que vous tentiez de fuir, et prendre tout ça au jour le jour. C’est un monde ou l’autre—mais on peut seulement sortir de ce monde parallèle un pas à la fois, et à partir de ce moment, vous devrez vous considérer comme «en rémission».

Les programmes qui rejettent AA à cause de son attitude puritaine en ce qui concerne les toxicomanies ont tendance à voir d’un mauvais œil cette opposition de deux mondes. Lorsque vous tentez d’arrêter quelque chose, c’est précisément à cette double contrainte que vous êtes confronté: devriez-vous considérer l’objet de votre dépendance comme tellement puissant qu’il faille le combattre avec toutes les armes à votre disposition, comme s’il s'agissait d'une ir-résistible force du mal? Devriez-vous renier tous les instants de transcendance totale que cette chose a semblé vous offrir? Ou est-ce que ce reniement ne donne pas à cette chose plus de pouvoir qu’elle n’en a réellement, ce qui était peut-être précisément le problème dès le début? Vous pensiez que c’était la drogue ou la personne ou le lieu qui vous subjuguait, vous allumait, vous faisait disparaitre, vous ravissait, mais était-ce vraiment vous, tout ce temps?

La double contrainte est fausse, elle aussi, bien sûr. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est le genre de questions que se posent les dépendants, parce qu’il est impossible d’y répondre, alors on peut s’y accrocher pour toujours.

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Drive n’est plus présenté au Nitehawk, alors c’est au Village East que je retourne le voir. Le son est mauvais et il n’y a pas de Bloody Mary. Ce n’est qu’un film noir. Les surfaces brillantes de la ville peinent à dissimuler la violence qui se cache en dessous, et peut-être que Gosling est comme la ville, un monstrueux dissimulateur. Quand vous savez qu’il passera le dernier tiers du film à défoncer des crânes avec ses bottes et à noyer des individus dans des mers sombres et à leur tirer des balles dans la gorge dans des bars de danseuses et à leur arracher les yeux avec des marteaux ou je ne sais quoi (les miens étaient fermés), chacune des phrases minimalistes qui ont -précédé ce carnage—surtout celles qui sont empreintes de tendresse—vous semble atrocement fausse, comme si elles étaient entre guillemets, comme s’il ne faisait que dire ce que les autres attendaient qu’il dise. Peut-être que le baiser lui-même est violent, puisque Gosling sait qu’il doit le voler avant de dévoiler sa véritable nature. Pire encore, peut-être que le baiser n’est que du camouflage. Il utilise Mulligan afin de surprendre sa victime. Je n’ai pas envie que cette interprétation soit la bonne. Le baiser semble vrai, bon, mais pourquoi tient-il à ce qu’elle ait encore le gout de sa langue dans sa bouche au moment où elle le voit se transformer en brute pure, à ce qu’elle sente encore sa poitrine parfaite contre elle à la seconde où elle apprend qu’il n’est qu’un mensonge?

Tenter de déterminer si quelqu’un est bon ou mauvais est semblable à tenter de déterminer si les cigarettes sont en elles-mêmes bonnes ou mauvaises. Ce ne sont que des plantes et des produits chimiques emballés dans du papier. C’est vous qui les fumez.

Gosling est l’acteur préféré de tout le monde, ces temps-ci. Il est partout. L’autre jour, une amie m’a dit: «J’aimerais juste que Ryan Gosling me laisse tranquille.» Parce qu’il ne dit presque rien dans Drive, il est naturel de projeter sur son personnage ceux qu’il joue dans Half Nelson et Blue Valentine, soit un enseignant et un ouvrier de la construction aux vêtements beaucoup trop dignes d’un hipster. Des hommes qui regardent le premier rôle féminin avec une intimité pénétrante, qui sera détruite ou renforcée par le secret bientôt dévoilé: le problème de drogue, le problème d’alcool, le tempérament brutal qu’il faudra ou non pardonner. La musique de Drive est à propos de lui: est-il un «vrai héros», comme le dit la chanson? Est-il un «véritable être humain»?

C’est le genre de questions dont je parle. Les poser est une manière d’éviter de renoncer, de faire un deuil. Elles permettent de faire de l’homme ou de la drogue ou du lieu quelque chose de très puissant, baignant dans nos propres interprétations contradictoires. Aimer ce qu’on a ainsi rendu magique est généralement considéré—du moins quand on parle d’aimer une personne dépendante ou le type de drogues qui peuvent vous tuer—comme une chose horrible, dont il faut guérir. Mais notre récent drame sentimental préféré—cent millions d’exemplaires vendus et plus d’un milliard de dollars de recettes—raconte l’histoire d’une fille assez courageuse pour aimer un vampire qui la harcèle, la contrôle et est accro à son sang. Elle ne cesse de se demander: est-il un trou de cul? Si oui, comment peut-il être si beau? Est-ce possible qu’il soit un trou de cul parce qu’il l’aime très fort? Dans ce cas, pour notre toxicomane d’outre-tombe, l’amour est fort bénéfique. Dans Twilight, Edward Cullen résout le problème de la scène de l’ascenseur, efface le dénouement tragique: sa froideur et sa violence initiales s’avèrent justifiées par ses efforts héroïques pour ne pas la tuer. Il l’aime tant qu’il fait semblant de ne pas l’aimer pour la protéger. Dans ce cas, c’est donc la tendresse qui est le secret, la surprise. Au final, il la transforme en vampire, pour ne pas qu’elle ait à mourir. Il y a des femmes qui lisent ces livres comme si c’était du crack.

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Je ne cesse d’imaginer le cadavre de mon père dans un coin du studio, nu et bleu et froid, comme un corps dans une morgue. En réalité, je n’ai jamais vu mon père dans cet état. Je l’ai vu nu et je l’ai vu mort, mais pas les deux en même temps. Quand il est mort, dans un lit du centre pour personnes âgées, j’étais à ses côtés depuis trois jours, discutant avec lui de nos vies entières, ne sachant pas s’il pouvait m’entendre, à cause du coma, mais parlant quand même. Depuis vingt ans, il prenait un cocktail de médicaments pour le diabète et l’épilepsie, qui le plongeaient dans des humeurs opposées. Ma mère, mon frère et moi devions sans arrêt essayer de deviner si nous aurions droit au gentil ou au brutal, mais il n’y avait pas moyen de le prévoir; son humeur pouvait changer en un instant. Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir pour son mauvais caractère; il était impossible de départager ce qui était attribuable aux médicaments et ce qui était lié à lui.

Enfant, quand je ne jouais pas à être Laura Ingalls Wilder, je faisais une narration mentale de ce qui m’arrivait, comme si j’étais dans un roman; après que quelqu’un eut parlé, je disais: «dit-il»; après avoir parlé moi-même, je pensais: «dit-elle». Même dans les derniers instants de mon père, il était préférable de ne pas avoir de sentiments trop forts. De nouveaux médicaments pour l’épilepsie avaient fait disparaitre la méchanceté, le rendant doux et larmoyant comme un sans-abri gelé ou un enfant, avec son sourire fou. Les trois derniers jours, je lui ai parlé de tout ça et lui ai dit que je détestais comment il était méchant ou glacial la moitié du temps, et je l’ai remercié pour l’autre moitié, quand il était gentil et sage et m’apprenait comment penser et être.

Je tenais sa main quand j’ai senti son pouls ralentir. J’ai mis mes mains sur ses jambes et le sang s’est arrêté; j’ai mis mes mains sur son cou, il y a eu une dernière pulsation, puis plus rien. Enfant, quand des choses incompréhensibles se produisaient, j’avais l’habitude de paniquer, et mes parents me donnaient des gorgées de vin pour me calmer. Mais là, j’étais d’un calme absolu. J’ai mis mes mains sur sa poitrine et l’ai sentie complètement immobile, et j’ai mis mon front contre son front et j’ai pleuré sur son visage. Mon pauvre père. Ce qu’il pourrait bien faire dans le coin de mon studio avec un air de cadavre digne de Law and Order, je n’en ai aucune idée. Il n’est pas une métaphore, une raison, même pas un indice. Il n’est qu’un cadavre crypté dans cette nouvelle vie.

J’achète un hoodie rouge vif chez fucking American Apparel et le porte tous les jours. Le troisième jour, je réalise que c’est le tien, celui que tu portais tout le temps sous ta veste de cuir, quand on s’est connus. C’est moi l’ivrogne, maintenant, quand ça me chante. C’est moi la dépendante. C’est moi qu’il faut poursuivre à travers le quartier, celle qui change les choses, encore et encore.

L’immeuble devient bruyant. Il y a des cognements métalliques dans le mur et, parfois, les jappements d’un petit chien dans le mur ouest. L’eau est coupée, puis rouverte. Quelqu’un frappe sur les tuyaux à quatre heures du matin, mais qui ça pourrait bien être? Les cognements semblent parfois provenir du mur tout juste à côté de mon lit, mais c’est impossible qu’il y ait quelqu’un là. De temps en temps, la chaudière à vapeur rend l’immeuble si chaud que j’ouvre les fenêtres donnant sur le pont et sors le haut de mon corps à l’extérieur, vêtue seulement d’une camisole et d’une culotte, et me brule les jambes contre les tuyaux. Les locataires légitimes sont en procès contre les propriétaires, luttant pour pouvoir rester dans l’immeuble, mais ces derniers sont sur le point de gagner; ils vont pouvoir construire leurs condos à plusieurs millions de dollars, et je ne peux plus regarder par la fenêtre sans me demander combien de temps encore je pourrai rester et où j’irai après. J’aimerais pouvoir décider de partir par moi-même, avant d’être évincée, mais je ne sais pas comment arrêter de vouloir être ici.

La deuxième et dernière fois où il neige, cet hiver, je suis tellement gelée que je n’arrête pas d’essayer de comprendre pourquoi tout est devenu blanc. Je marche avec des amis, beaucoup trop gelés eux aussi à cause des brownies au pot, nos bras enlacés, et après un moment je déclare que toute cette blancheur est de la neige, même s’il n’y a pas de preuve irréfutable.

Ce même jour, lors d’une longue balade en voiture, nous lisons à voix haute le livre de Stanley Cavell sur le cinéma, l’amour et le mariage, Pursuits of Happiness, où il explique que pour comprendre la signification des films, il est utile d’«examiner notre propre existence», une habitude qu’il décrit comme «s’arrêter pour un instant, tourner le dos à nos préoccupations du moment et à notre expérience habituelle des choses, et porter toute notre attention sur l’instant présent. L’objectif de cet exercice est de développer notre expérience des choses de façon telle qu’elle devienne digne de confiance». Être capable d’interpréter notre expérience personnelle est un paradoxe, dit-il, parce qu’il est impossible de «développer» notre expérience avant d’avoir développé la confiance en question.

Aimer un lieu qui disparait sans cesse devant nos yeux, aimer des gens qui ne cessent de disparaitre dans leurs vies secrètes, et le faire saoul ou gelé—voilà qui affecte beaucoup la confiance qu’on accorde à notre interprétation des choses. On pourrait croire que pour porter toute son attention sur l’instant présent, il est nécessaire d’être à jeun. Ou l’on peut penser que l’amour et l’intoxication permettent eux-mêmes de s’arrêter pour un instant, de s’abandonner au luxuriant et impossible moment entre l’expérience et son interprétation, où on peut laisser pour mort ce qui est mort.

Je ramène à la maison un chef cocaïnomane qui doit être à son restaurant tôt le lendemain matin, alors nous décidons de ne pas dormir. Il a un visage d’enfant, et à un moment je lui demande comment il est capable de faire ça. Il répond qu’il a 25 ans. (Personne ne dit jamais: «C’est la drogue! Elle me fait sentir immortel!») Il me demande mon âge. Je place mes mains de chaque côté de son visage et je le regarde: «Plus vieille.» Je place mes mains sur son cou et je sens son sang battre pendant qu’il me baise trop doucement, mais c’est correct. Je place mes mains sur sa poitrine, et sa peau est douce et chaude. Je ne l’aime pas vraiment, mais je place mes jambes sur ses épaules et je mets mes mains derrière ses cuisses et je le fais s’enfoncer en moi et tout va bien. Et parce qu’il est jeune et n’arrive pas à dire ce qu’il veut, je devine qu’il veut que je me retourne. Il met ses mains sur mon cul et embrasse mon dos. Après coup, je place mon front contre le sien et je sens son cerveau étranger de jeune de 25 ans, ici pour un instant, puis déjà parti mentalement vers le travail, et je l’embrasse.

Ce sont les baisers les plus singuliers de l’histoire des baisers, celui dans l’ascenseur de Drive et ceux qui ont lieu dans mon lit ces jours-ci, parce qu’ils sont à la frontière précise de ce qui s’est déjà produit et de ce qui se produira après, entre comment j’ai perçu les choses et comment je les percevrai.


Il est important de savoir que certaines choses prennent fin. Des choses que vous ne pouvez changer avec vos pensées ou votre corps ou même des substances chimiques.


Il est important de savoir que certaines choses prennent fin. Des choses que vous ne pouvez changer avec vos pensées ou votre corps ou même des substances chimiques. À l’approche du printemps, les propriétaires de l’immeuble gagnent le procès. Nous sommes évincés, les locataires qui sont ici depuis dix ou vingt ans et les sous-locataires comme moi qui se cachent dans les corridors labyrinthiques. «Les derniers artistes sans le sou qui ont investi Williamsburg il y a vingt ans pour le transformer en capitale hipster de New York seront bientôt à la rue», commence l’article à ce sujet dans le Post. Le titre n’a aucun sens: «Crise c’art’diaque à Williamsburg: les hipsters sur le point d’être évincés.» Il n’y a pas de possibilité d’appel. Ma voisine fait une bannière qu’elle suspend sur la façade: dix maisons perdues! Elle est ici depuis 1994, comme la plupart des occupants des dix lofts. Ce n’est pas une machine ou un rêve ou une crypte, pour elle, mais sa demeure, rendue inaccessible par l’argent. Des voitures de police arrivent, avec leurs sirènes gémissantes, pour décrocher la bannière. Il y aura des condos.

Voilà une manière d’arrêter: attendre à la toute fin, quand tout a été fait pour que la machine à voyager dans le temps continue de fonctionner. Vous aurez tout appris à propos de son fonctionnement, improvisé des solutions de rechange, charrié l’eau vous-même, mais à un certain moment il deviendra plus difficile de la garder en vie que de l’abandonner. C’est ce qu’ils appellent «toucher le fond». L'ultime et tragique revirement de situation est souvent lent, ennuyant et horrible. La machine à voyager dans le temps s’est transformée en crypte. Quand vous serez capable d’arrêter, il y aura un moment où il sera possible de simplement quitter les lieux. Ce n’est pas que vivre sera devenu le contraire de la dépendance; c’est qu’il pourra y avoir plus de vie parce que vous aurez appris à étirer le temps, et plus de joie parce que vous aurez pratiqué l’art de la réanimation. Vous êtes un maitre de la transformation; vous aurez simplement besoin de nouveaux outils. Il n’y a pas d’intérieur ou d’extérieur à tout cela, pas d’opposition, pas de bonne façon de faire—juste une nouvelle façon de voir les choses.

Et par «voir», je ne veux pas dire que c’est relatif à l’esprit ou au cerveau ou aux yeux. L’objectif est d’identifier ce qui, dans votre drogue personnelle, était particulièrement plaisant, et d’être capable de trouver une autre manière de donner ce plaisir à votre corps.

Je pense ici à l’Italien. La première fois qu’on s’est vus, dans ce bar country d’East Williamsburg où j’envoyais au diable le guitariste, il a suggéré de me raccompagner à la maison. Énorme chevelure folle. Défonce postdivorce. Quantités massives de whisky. Dans son Naples natal, il a reçu une formation très rigoureuse sur l’art de dire aux femmes quoi faire. J’avais peur de tout quand je l’ai rencontré, et après qu’il fut entré chez moi, je n'arrivais plus à rester en place. La deuxième fois, nous nous sommes mis à jouer à un jeu: le matin ou au début de l’après-midi, je lui dis qu’il doit partir. Que j’ai des choses à faire, tant de choses à écrire, tant de travail. Cela le met en colère. En colère, il stimule toutes les zones érogènes possibles de mon corps, comme s’il en était un spécialiste violent, jusqu’à ce que je sois devenue une sorte d’idiote meneuse de claque ou alors une femme à la Anaïs Nin, marmonnant avec une étrange voix aigüe. Et alors il dit: «Tu veux vraiment que je m’en aille?», et je dis: «Oui, va-t’en», et il me fait mal avec le plaisir que j’éprouve à faire semblant que je n’ai pas le choix.

Mais dans les autres domaines, je choisis, dorénavant. La troisième fois, avant que le jeu ne commence, une larme coule de son œil. Une larme si singulière que je ne peux faire autrement que de la remarquer, mais je n’ai juste plus envie d’aider qui que ce soit, maintenant. «Qu’est-ce qu’il y a?», je demande, et il secoue la tête, et je ne vais pas plus loin. Ce n’est pas ma larme. Et les souffrances liées aux défonces des autres ne sont plus mes souffrances.

  • Photo: Benjamin Petit

La première drogue que j’ai prise, c’était de l’acide, dans une chambre de la maison où j’habitais avec quatre amies de l’université, chacune d’entre nous nue et enroulée dans un drap parce que c’était pendant une vague de chaleur au Michigan—43 degrés Celsius, trop chaud pour porter des vêtements dans Eastown à Grand Rapids, le genre de quartier où, lorsqu’il fait assez chaud, ça sent le pot partout. Quand l’acide a tout mis au ralenti, j’ai regardé mes amies sortir par la fenêtre pour aller fumer des cigarettes sur le toit et je me suis mise à pleurer, terrifiée à l’idée qu’elles allaient tomber et mourir, me laissant seule ici. D’après ce qu’on m’avait dit, il restait encore douze heures à tout ceci, aussi bien dire le reste de ma vie. Puis l’une de mes amies a mis son bras autour de moi. Cela m’a permis d’atteindre une fine ligne, mince comme un fil, où la panique se transforme en rire.

C’est le diamant de l’esprit, cette capacité. Plusieurs la connaissent, mais je ne la connaissais pas, avant ça.

À partir de là, chaque fois que la panique montait, je n’avais qu’à atteindre cette ligne mince comme un fil, et la joie revenait.

La joie, c’est de savoir que ce fil existe.

Un fil qui délimite toute votre vie en deux, et si vous le trouvez, l’autre moitié peut se transformer en comédie.

Un endroit peut vous donner envie de mourir, puis se transformer en quelque chose d’extraordinaire. Vous pouvez le faire vous-même, si vous avez trouvé ce diamant dans votre esprit.

La dépendance est parfois une tentative de ressusciter les morts en retournant sur le lieu de leur mort. Si vous n’êtes pas encore capable d’abandonner les morts, vous pouvez au moins pratiquer le renoncement, et peut-être ainsi serez-vous sur une voie qui vous permettra de trouver le monde.

Quelque chose qui ressemble à l’été arrive tôt, cette année, dans l’immeuble à côté du pont. Une vingtaine de degrés fébriles, dès le début avril. Les filles montent et descendent le passage piétonnier du pont vêtues de minces robes rétro, les hommes avec leurs manches de chemise roulées, l’air chaud sur la peau fraichement dénudée. Partout dans l’immeuble, les occupants ont ouvert leurs fenêtres, et une brise agite les rideaux, éparpillant les dossiers et les piles de reçus. C’est le temps de l’impôt, mais il est possible de le remettre à demain pour quelques jours encore, et de plutôt se promener dans la jolie lumière.

C’est le matin de Pâques, et cette année Pessa’h a lieu en même temps. Toute la semaine, des gens se sont réunis pour lire l’histoire de la libération des esclaves, de plaies qui ont permis d’acheter la liberté. Les occupants de Zucotti Park se rassemblent à nouveau à Union Square, et partout dans notre quartier on croise donc des gens avec des T-shirts disant: arrêtez tout. Tout le monde pense que la dépendance et la dépendance aux dépendants sont des choses terribles. Pourtant, la plupart des habitants de ce pays, ce matin, croient en une histoire de résurrection, à propos d’un corps qui ne meurt jamais parce que vous le mettez dans votre bouche une fois par semaine, et que cela vous amène très haut, au-delà de la mort et du temps. C’est la dépendance vue comme une rédemption, et peut-être que c’en est effectivement une. Mais il y a des moments, et celui-ci en est un, où c’est seulement en laissant les choses et les gens mourir que votre corps peut donner à votre esprit le secret de la résurrection.

Je m’intéresse moins aux histoires de morts-vivants, cependant, qu’à la lumière particulière de ce quartier. C’est la chose que j’aimerais le plus vous décrire, mais je ne sais pas comment. C’est bien sûr le même soleil que sur le reste de la ville, mais il a quelque chose de différent, ici. Peut-être à cause de l’absence d’arbres, ou du reflet sur la rivière, ou du fait que la plupart des immeubles sont bas, ou des couleurs hypersaturées, des rouges et des verts profonds, des graffitis compliqués et fous. Nous n’avons pas les arbres de South Brooklyn, les enfilades de perrons ombragés et les maisons de grès brun de Fort Greene ou de Park Slope. Nous n’avons pas de rues pavées. Ce que nous avons, c’est cette lumière nue et dorée. Une lumière de ciels immenses, cinématographique, comme sortie d’un western. Depuis la première fois que je l’ai aperçue, elle m’a tour à tour troublée et réconfortée. Aujourd’hui, ses caractéristiques particulières vont inciter la moitié des résidents du quartier à boire dès l’après-midi. Vers 17 ou 18h, plusieurs couples en seront déjà rendus à se disputer dans la rue, le partenaire le plus saoul et agressif se faisant ramener à la maison par l’autre, parce qu’il y en a toujours un qui est plus saoul et agressif, et un qui a l’impression qu’il doit prendre soin de l’autre.

À ce moment précis, cependant, un gars en patins à roulettes dévale la longue pente du passage piétonnier du pont, les jambes et les bras grands ouverts, le vent filant entre ses doigts. Il y a sur son visage un immense sourire de satisfaction. Chaque jour, plusieurs personnes descendent ainsi, sur un vélo ou une planche ou juste en courant, les bras ouverts, déboulant du pont jusqu’à Williamsburg, dans la jolie lumière. 


Kristin Dombek est une essayiste et universitaire américaine. Elle se spécialise dans les questions liées à la religion, à la représentation, à la culture populaire et à la rhétorique politique. Elle enseigne aussi la création littéraire à l’Université Princeton.

La version originale de ce texte est parue en anglais dans le numéro 15 (hiver 2013) du magazine américain n+1. Tous droits réservés.

Traduction: Nicolas Langelier

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