De l’importance de nous crisser patience

Alex Viens
Photo: Alex Viens (archives)
Publié le :
Idées

De l’importance de nous crisser patience

En janvier, on est nombreux·euses à se lancer dans des régimes amaigrissants, en regrettant la buche et la tourtière du temps des fêtes. C’est dans ce contexte qu’Alex Viens (Les pénitences) nous invite à mettre la culture des diètes aux vidanges une bonne fois pour toutes.

On n’oublie pas ces choses-là. Quand j’étais enfant, on avait l’habitude, ma mère et moi, de se faire inviter dans les familles des autres pour les fêtes. C’était le déjeuner et j’ai choisi de beurrer ma tartine avec du Grenache, parce que j’en revenais pas qu’on puisse déjeuner au caramel. Ma toast était en fait une tranche de baguette–j’ai toujours eu un penchant pour le lifestyle de bistro–et j’ai rempli chacune des alvéoles de mon bout de pain de cette substance luisante et gourmande, en lichant mon couteau avec la même face que le bonhomme sur l’emballage rouge et jaune. Avec la petite langue sortie, le visage du délice. 

La grand-mère des autres, alarmée par mon amour des bonnes choses, s’est penchée à l’oreille de ma mère pour l’avertir suffisamment fort que, ouin, j’avais «la dent sucrée». Ma bouchée est devenue un spectacle pour tou·te·s les adultes qui se sont mis·es à ricaner autour de la table, soulagé·e·s d’enfin découvrir la raison de mon corps dodu. C’est alors que j’ai repris conscience de mon corps et que j’ai tenté de mâcher de manière distinguée, en m’essuyant les doigts sur une napkin. Je devais prouver à tout le monde que j’étais peut-être dodu·e, mais que j’avais au moins de bonnes manières. 

Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’on commentait mon appétit. C’est pas spécial. C’est même un évènement très banal, mais je m’en souviens parce que je mettais enfin le doigt sur quelque chose: la honte d’être un·e enfant qui fait honte aux adultes. Je tiens à rappeler à ceux et celles qui en doutent que notre conscience est suffisamment développée à sept, huit ou neuf ans pour qu’on comprenne les jugements qu’on porte sur notre innocence, pour qu’on décèle le regard paternaliste posé sur notre enthousiasme pour la bouffe.


Abonnez-vous!

Activez dès maintenant votre abonnement à Nouveau Projet pour lire le reste de ce texte. Du contenu original et de grande qualité, des privilèges exclusifs, et bien plus encore.

Voir les forfaits

Continuez sur ce sujet

  • Société

    Ce qui menace réellement notre cohésion

    Nommez un pays ou une province, accolez-y la formulation «plus divisé que jamais» et vous obtiendrez l’un des titres en vogue dans les grands quotidiens québécois. À l’heure où la polarisation inquiète, la classe médiatique attaque-t-elle la mauvaise cible en parlant de clivage gauche-droite?

  • Famille de Jean-Baptiste Hervieux à Pessamit, 1942
    Société

    Tant que l’eau nous submergera

    Près de sept décennies après l’inauguration des centrales Bersimis-1 et Bersimis-2, Hydro-Québec a signé une «entente historique» avec la cheffe de Pessamit, Marielle Vachon. Un exemple concret de réconciliation?

  • Société

    Faire un enfant entre ami·e·s

    Dans «Ports d’attache», essai paru chez Québec Amérique, Karine Côté-Andreetti s’intéresse (notamment) à ces célibataires qui décident de fonder une famille d’un genre nouveau. À en croire ces adelphes de cœur, l’amour et la tendresse platonique sont un terreau fertile pour élever un enfant.

  • L’auteur de ce texte, Nemo Lieutier, se préparant à traverser la frontière de Saint-Bernard-de-Lacolle.
    Société

    Le tour du poteau, le jeu où personne ne s’amuse

    Immigrer au Québec vient avec un jargon, sorte de langage secret, que les gens nés en France sont souvent les seuls à comprendre, à maitriser. Notre collègue en résume les grandes lignes.

Atelier 10 dans votre boite courriel
S'abonner à nos infolettres