Biorégion ou barbarie
Et si le projet biorégional pouvait nous aider à traverser l’effondrement? Dans cet extrait de l’essai «Faire que!», récemment paru chez Lux Éditeur, l’auteur et philosophe Alain Deneault appelle à un certain retour à la terre.
En janvier, on est nombreux·euses à se lancer dans des régimes amaigrissants, en regrettant la buche et la tourtière du temps des fêtes. C’est dans ce contexte qu’Alex Viens (Les pénitences) nous invite à mettre la culture des diètes aux vidanges une bonne fois pour toutes.
On n’oublie pas ces choses-là. Quand j’étais enfant, on avait l’habitude, ma mère et moi, de se faire inviter dans les familles des autres pour les fêtes. C’était le déjeuner et j’ai choisi de beurrer ma tartine avec du Grenache, parce que j’en revenais pas qu’on puisse déjeuner au caramel. Ma toast était en fait une tranche de baguette–j’ai toujours eu un penchant pour le lifestyle de bistro–et j’ai rempli chacune des alvéoles de mon bout de pain de cette substance luisante et gourmande, en lichant mon couteau avec la même face que le bonhomme sur l’emballage rouge et jaune. Avec la petite langue sortie, le visage du délice.
La grand-mère des autres, alarmée par mon amour des bonnes choses, s’est penchée à l’oreille de ma mère pour l’avertir suffisamment fort que, ouin, j’avais «la dent sucrée». Ma bouchée est devenue un spectacle pour tou·te·s les adultes qui se sont mis·es à ricaner autour de la table, soulagé·e·s d’enfin découvrir la raison de mon corps dodu. C’est alors que j’ai repris conscience de mon corps et que j’ai tenté de mâcher de manière distinguée, en m’essuyant les doigts sur une napkin. Je devais prouver à tout le monde que j’étais peut-être dodu·e, mais que j’avais au moins de bonnes manières.
Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’on commentait mon appétit. C’est pas spécial. C’est même un évènement très banal, mais je m’en souviens parce que je mettais enfin le doigt sur quelque chose: la honte d’être un·e enfant qui fait honte aux adultes. Je tiens à rappeler à ceux et celles qui en doutent que notre conscience est suffisamment développée à sept, huit ou neuf ans pour qu’on comprenne les jugements qu’on porte sur notre innocence, pour qu’on décèle le regard paternaliste posé sur notre enthousiasme pour la bouffe.
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