Décriminaliser la drogue comme au Portugal

Simon Coutu
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L'idée à voler

Décriminaliser la drogue comme au Portugal

La guerre contre la drogue est un échec, partout sur la planète. Les pays producteurs sont grugés par une violence endémique, tandis qu’ailleurs ce sont les drogues elles-mêmes qui font des ravages. En Europe comme dans les Amériques, la décriminalisation est plus que jamais à l’ordre du jour. Le Portugal est allé plus loin en redirigeant les consommateurs de drogues, dures ou douces, vers le système de santé. Une idée à voler?

L’italie, l’Espagne, la République tchèque, la Slovénie, l’Estonie et la Lettonie ont pris le chemin de la décriminalisation de la marijuana. Leurs gouvernements ont retiré certains actes de la compétence du système de justice criminelle. Aux dernières élections américaines, les États de Washington et du Colorado ont quant à eux voté en faveur de la légalisation de la drogue douce à des fins récréatives, permettant la -production et la vente.

Au Portugal, depuis 2001, on va plus loin: on ne considère plus les toxicomanes comme des criminels, mais comme des malades. On ne les envoie plus au Palais de justice, mais plutôt devant une «commission de dissuasion» composée d’un juriste, d’un médecin et d’un travailleur social, et chargée d’estimer leur niveau de dépendance.

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Toutefois, l’usage de drogues est toujours prohibé. Les utilisateurs occasionnels qui se font prendre reçoivent une amende pour infraction administrative, à la manière d’une contravention routière. Les toxicomanes dépendants doivent quant à eux recevoir les soins d’institutions spécialisées. Le trafic demeure criminel.

La loi votée sous le gouvernement socialiste d’Antonio Guterres a pour but de prévenir les problèmes de drogue chroniques et de faciliter l’accès aux soins.


Un nouvel Amsterdam?

Les opposants à cette loi croyaient que le Portugal deviendrait la destination rêvée des toxicomanes d'Europe. Mais cela ne s’est jamais avéré: la consommation de drogues injectables a plutôt diminué, selon les chiffres de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. Cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi, les décès par surdose sont passés de 400 à 290 par année.

Conséquence tout aussi bénéfique, les prisons se sont vidées des individus appréhendés pour consommation ou possession de petites quantités de drogue. Les tribunaux et les policiers se consacrent à d’autres problèmes. Par contre, le système de santé s’est complexifié, avec des équipes multidisciplinaires de médecins, de psychologues, de juges et de travailleurs sociaux.

Selon l’avocat montréalais Louis Letellier de St-Just, spécialisé en droit de la santé, «il y a un transfert de fonds du secteur de la justice vers la santé. Les économies se font à moyen terme. La consommation et le niveau d’incarcération diminuent. Les infections par le VIH et les hépatites aussi».

Le Cato Institute, un groupe de réflexion américain, avance que le reste du monde devrait copier la politique portugaise de décriminalisation. Dans une étude publiée en 2009, il indiquait que «mis à part quelques politiciens d’extrême droite, rares sont ceux qui remettent en cause les politiques mises en place en 2001. Si l’on observe les données empiriques, il n’est pas surprenant qu’il y ait consensus».


Chez nous

Une telle initiative serait difficile à mettre en pratique au Québec, en raison de la nature du système constitutionnel: la santé relève du provincial, alors que le Code criminel est de juridiction fédérale. D’autant plus que l’actuel gouvernement fédéral est loin d’être favorable à une plus grande tolérance.

Président du conseil d’administration de l’organisme communautaire Cactus Montréal intervenant auprès des utilisateurs de drogues -illégales, Louis Letellier de St-Just dénonce l’aveuglement d’Ottawa. «La politique de la répression ne donne pas grand-chose.»

Au-delà des questions constitutionnelles, M. Letellier de St-Just estime que le modèle portugais est inspirant, même s’il devrait être adapté à notre contexte. «Il faut décriminaliser, c’est l’avenir.» Ce serait aussi une façon de mieux prendre soin de nos concitoyens dans le besoin, croit l’avocat, qui milite aussi pour des centres d’injection supervisée au Canada. «Au centre-ville de Montréal, on ne peut plus fermer les yeux sur les plus marginalisés, qui sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes.» 


Journaliste multimédia, Simon Coutu travaille à Montréal et à l’étranger. Il est également documentariste.

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