Un appel d’offres réellement public

Marc-André Sabourin
Publié le :
L'idée à voler

Un appel d’offres réellement public

C’est le scénario classique: un problème, un appel d’offres, des solutions proposées par un groupe restreint d’entrepreneurs. Et si les citoyens faisaient partie de la réflexion? C’est le pari qu’a pris—avec succès—la Ville de Philadelphie.

Pour s’attaquer à ses problèmes de sécurité publique, la Ville de Philadelphie n’a ni augmenté ses effectifs policiers ni installé de caméras de surveillance à chaque intersection. Elle a plutôt lancé un appel d’offres public où le mot public prenait tout son sens.

À deux reprises depuis 2013, la métropole a invité toute personne intéressée à soumettre un projet concret pour réduire la criminalité dans ses rues. Aucune contrainte n’a été imposée, à l’exception du thème de la sécurité publique—qui a depuis été élargi à celui de la «stabilité communautaire».

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Une vingtaine d’idées ont été retenues. Leurs instigateurs ont participé à un incubateur d’entreprises au terme duquel la Ville a octroyé des contrats pour tester les solutions les plus prometteuses.

C’est ainsi qu’est né Textizen, un service qui a augmenté de 40% le taux de présence des ex-détenus à leurs rencontres de probation. Comment? Par l’envoi d’un simple texto de rappel. Un succès qui a permis à l’entreprise d’innovation sociale de poursuivre son mandat avec Philadelphie, et d’en décrocher de nouveaux avec Boston et Palo Alto.

Il y a aussi Edovo, une plateforme d’éducation numérique à laquelle les détenus ont accès avant de sortir de prison. Ils peuvent y suivre une formation pour un métier précis ou encore terminer les cours nécessaires pour entrer au collège, ce qui augmente leur employabilité et diminue leurs risques de récidive.

Des initiatives semblables à celles de Textizen et Edovo n’auraient probablement jamais émergé d’un appel d’offres conventionnel. Car le fonctionnement même de ce processus musèle l’innovation.

Lorsqu’il n’est pas gangrené par la corruption ou la bête logique du plus bas cout, l’appel d’offres permet d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix parmi plusieurs soumissionnaires. Pour ce faire, il établit des critères d’analyse afin de comparer les différentes solutions proposées. Hélas, ces contraintes sont souvent si précises qu’elles excluent de facto toute approche novatrice, que ce soit pour la construction d’une route à Belœil ou la conception d’un dépliant sur les surdoses.

Plus fondamental encore, l’appel d’offres est généralement rédigé par l’organisation même qui a identifié le problème à régler. Or, les habitants de Belœil ont-ils réellement besoin d’une nouvelle route? Les toxicomanes manquent-ils vraiment d’informations sur les risques de surdoses? L’appel d’offres établit à la fois le diagnostic et la prescription pour des populations qui ne sont souvent pas consultées. Si elles avaient la chance de s’exprimer, les communautés touchées pointeraient peut-être des priorités différentes, qui n’apparaissent pas sur l’écran radar des décideurs. S’ils avaient la liberté de penser en dehors de la boite, les entrepreneurs, les osbl et les groupes citoyens suggèreraient peut-être des solutions simples, innovantes et économiques.

L’approche de Philadelphie résout le problème en inversant le scénario habituel de l’appel d’offres public. «Public» ne désigne plus un groupe restreint d’entrepreneurs interpelés à la fin d’un processus, mais l’ensemble de la population, qui est consultée dès le début de la réflexion. C’est elle qui cerne les problèmes. C’est aussi elle qui propose les solutions. La Ville organise l’implantation des meilleures suggestions. L’initiative n’est d’ailleurs pas sans rappeler Je vois Mtl (devenu Je fais Mtl), un mouvement citoyen qui permettait à tous de proposer des projets pour repenser la métropole.

Soyons clair: cette méthode ne peut évidemment pas remplacer complètement l’appel d’offres, qui demeure à ce jour le procédé le plus efficace pour accorder la majorité des contrats. Elle mérite toutefois d’être appliquée à l’ensemble des paliers gouvernementaux, qui bénéficieraient d’une bouffée d’idées fraiches pour mieux s’attaquer aux défis sociaux, qu’ils soient vieux ou nouveaux.


Marc-André Sabourin est journaliste indépendant, spécialisé en économie et en entrepreneuriat.

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