La prison autrement

Binh An Vu Van
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L'idée à voler

La prison autrement

Les prisons canadiennes débordent, alors que celles de nombreux pays d’Europe se vident. Même les États-Unis sont à revoir leurs politiques d’emprisonnement. De quoi le Canada devrait-il s’inspirer pour une gestion plus efficace de son système carcéral et, surtout, une meilleure réhabilitation de ses criminels?

Les prisons canadiennes débordent et le nombre de détenus atteint des sommets, malgré une baisse générale de la criminalité dans le monde occidental. Et les milliers de cellules nouvellement construites ne suffiront pas, selon le vérificateur général.

Pendant ce temps, dans de nombreux pays d’Europe, les prisons se vident. En Suède, plusieurs ferment en raison du nombre de détenus, qui a chuté de 10% en moins d’une décennie. En Allemagne, ce déclin grimpe à 20%. Aux Pays-Bas, les prisons ne sont remplies qu’à la moitié. Pourquoi? Notamment parce que les peines de courte durée ont été remplacées par des amendes et du travail communautaire, et que le suivi par émetteurs électroniques s’est répandu. Le système pénal de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Finlande s’articule autour de la réhabilitation plutôt que de la punition.

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Cela n’a pas toujours été ainsi: au début du 20e siècle, certains de ces États connaissaient des taux d’incarcération records, mais des études ont depuis démontré l’inefficacité des mesures punitives sur la criminalité et les ont incités à se détourner de l’emprisonnement. Le taux d’incarcération en Europe du Nord varie à présent entre 60 et 80 prisonniers par 100 000 habitants. Au Canada, il est de 118.

Dans une optique de réhabilitation, certaines prisons européennes poussent l’audace encore plus loin. En Norvège, sur une ile non loin d’Oslo, les cellules de la prison de Bastoy rappellent de petites chambres d’hôtel; elles sont lumineuses et équipées de télévisions, d’ordinateurs, de salles de bain complètes. 

Les occupants peuvent étudier ou être rémunérés pour réparer des vélos et des voitures, cultiver des fruits et des légumes biologiques ou opérer la scierie. Ils ont accès en tout temps à des cabines téléphoniques, bénéficient de cours de cuisine et de cours de musique en studio. Les jours de congé, ils pêchent ou vont à la plage. En Finlande, certaines prisons dites ouvertes n’impliquent ni barrières, ni menottes. Là aussi, les prisonniers étudient ou travaillent contre salaire et font même leurs courses en ville. Ces prisons accueillent, entre autres, des trafiquants de drogue, des meurtriers ou des violeurs qui purgent leurs dernières années avant leur libération. Elles ont pour objectif de prouver aux détenus qu’ils pourront réintégrer la société. La stratégie semble fonctionner: Bastoy affiche un taux de récidive de 16%, le plus faible en Europe. Et il en coute moins cher aux gouvernements, car les prisonniers sont presque autonomes; ils cuisinent leurs repas avec les aliments achetés à la prison, payent un loyer, ne portent pas d’uniforme, entretiennent leurs chambres, etc.

Au Canada, dans un rapport publié en avril dernier, le vérificateur général, Michael Ferguson, s’inquiétait des efforts insuffisants consacrés à la réhabilitation des détenus. Ceux-ci purgent un plus grand pourcentage de leur peine qu’autrefois derrière les barreaux, et voient réduite la période de transition pendant laquelle ils sont réintégrés dans la collectivité sous surveillance. Une pratique qui pose des risques, selon plusieurs études passées : « Les données de Service correctionnel Canada indiquent que le taux de récidive avec violence avant l’expiration de la peine est généralement plus élevé chez les délinquants libérés d’office que chez ceux qui sont libérés sous condition à une date antérieure », confirme Michael Ferguson.

Même les Étatsuniens, pourtant champions de la tolérance zéro, remettent leurs politiques en question. Les sénateurs d’extrême droite Rand Paul et Ted Cruz souhaitent limiter les peines minimales obligatoires. D’autres, comme le candidat à l’investiture républicaine Jeb Bush, cherchent des solutions de rechange à l’emprisonnement. Si le Canada ne voit pas un exemple à suivre dans le système nord-européen, s’il n’écoute ni les études, ni les recommandations du vérificateur général, peut-être entendra-t-il raison grâce aux voix conservatrices américaines? 


Binh An Vu Van est journaliste scientifique indépendante. Depuis 2005, elle est aussi reporter à l’émission Le Code Chastenay, à Télé-Québec. Elle dévore l’actualité scientifique et s’intéresse tout particulièrement à la relation entre les sciences, l’humanité et la société.

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