Échange Turcot: histoire d’un futur fissuré

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Politique

Échange Turcot: histoire d’un futur fissuré

Dans les années 1960, l’échangeur Turcot était un symbole du progrès montréalais. Un demi-siècle plus tard, alors que tant de choses ont changé, sommes-nous sur le point de répéter les mêmes erreurs en nous accrochant à une vision dépassée du progrès?

Mardi 25 avril 1967, 6h du matin. L’échangeur Turcot ouvre à la circulation, juste à temps pour la cérémonie d’ouverture d’Expo 67, qui aura lieu deux jours plus tard et placera Montréal à la une des journaux de tout l’Occident. La métropole du Québec vient de se doter d’un réseau de transport de premier ordre pour accueillir le monde, et Turcot en est le cœur. Ses spaghettis de béton et d’acier relient les autoroutes Décarie, Ville-Marie, 15 et 20.

Qu’est-ce qui justifie ce superéchangeur? Les planificateurs estiment alors qu’en l’an 2000, la région métropolitaine de Montréal comptera sept millions d’habitants. Ces citadins du futur, avec leur combinaison d’aluminium et leurs pilules à saveur de poulet, ne tiendront évidemment pas tous dans les quartiers centraux. «On prévoit le développement d’une panoplie de sous-centres reliés par des systèmes de transports collectifs rapides et un réseau d’autoroutes», explique l’urbaniste Paul Lewis, professeur titulaire à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal.

Le réseau autoroutier montréalais est alors en retard par rapport à celui des autres grandes villes nord-américaines. Les grands axes routiers—tels les rues Saint-Laurent, Saint-Denis, Sherbrooke et Dorchester (René-Lévesque)—étant déjà utilisés à pleine capacité, on croit que les autoroutes sont indispensables pour assurer le développement de la ville. En 1967, Montréal—qui n’a pas encore été doublée par Toronto comme métropole du Canada—est donc en pleine rénovation urbaine et la révolution moderniste est en marche. Exit l’héritage de la ville industrielle du 19e siècle: on cherche des solutions à l’insalubrité et à la congestion, qui nuisent au bon fonctionnement de la cité. Les promesses de la modernité et du progrès suscitent l’espoir d’une ville meilleure, plus saine, plus fonctionnelle et, surtout, plus productive.

Au cœur de cette grappe urbaine, le maire Jean Drapeau et son administration rêvent d’un centre-ville à l’américaine, un lieu où l’on brasse des affaires le jour et que l’on fuit le soir. C’est la grande tertiarisation de Montréal. Dans les projections, ce poumon économique est enchâssé entre les autoroutes Décarie à l’ouest, Métropolitaine au nord, Ville-Marie au sud, et une dans l’axe de la rue Papineau à l’Est (que l’on repoussera éventuellement plus loin dans l’est de la ville, et qui deviendra l’autoroute 25 reliant Laval à Longueuil).

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Le tracé des autoroutes

Même si plusieurs projets sont dans l’air depuis quelques années, la Ville de Montréal commence à plancher sérieusement sur la concrétisation du titanesque chantier Turcot en 1962, alors qu’elle vient d’obtenir la tenue de l’exposition universelle. Il faut rapidement construire des autoroutes qui se croiseront dans le sud-ouest de la ville, à l’aide d’un immense échangeur.

Dès 1910, certains documents proposent la construction d’une autoroute Est-Ouest. Mais elle entre en préparation de façon plus sérieuse en octobre 1958, quand le Comité exécutif de la Cité de Montréal commande un rapport à la firme d’ingénieurs-conseils Lalonde & Valois (qui deviendra par la suite Lavalin, puis SNC-Lavalin). Déposé en 1960, le rapport présente ce qui est considéré comme le parcours le plus favorable de ce qui deviendra l’autoroute Ville-Marie. Elle doit servir de prolongement à la route 2 (aujourd’hui connue sous le nom d’autoroute 20), et se terminer à l’est du pont Jacques-Cartier afin de se raccorder à un nouveau pont vers la Rive-Sud. Pas encore construit, ce dernier deviendra le pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine. Le pont Champlain est quant à lui en chantier et l’autoroute Décarie n’existe pas encore. On comprend donc que l’avenir du réseau autoroutier montréalais s’est décidé en quelques années seulement.

Au-dessus de la gare de triage Turcot—un noeud ferroviaire du Canadien National adossé à la falaise Saint-Jacques—le rapport de Lalonde & Valois prévoyait à l’origine un simple viaduc. L’accès au futur pont Champlain -devait se faire à la hauteur de la rue Atwater par un rond-point. Une grande partie du Vieux-Montréal, que l’on jugeait intéressant et insignifiant, devait être détruite. L’autoroute Est-Ouest devait pour sa part être construite sur des piliers, comme l’autoroute Métropolitaine qui venait d’être inaugurée. On s’est finalement ravisé quand on a vu comment cette dernière a divisé la ville en deux, en plus d’être saturée un an après son inauguration. L’autoroute Est-Ouest a donc finament été construite en tranchée, comme l’autoroute Décarie, elle aussi inaugurée en 1967.

«Les premières esquisses plaçaient l’autoroute Est-Ouest dans le quartier de la Petite- Bourgogne et détruisaient encore plus ce qui avait déjà été détruit par le chemin de fer», explique l’urbaniste Guy R. Legault, qui a dirigé les services d’urbanisme de la Ville de Montréal de 1956 à 1987. «Mais la ville a décidé que le meilleur endroit pour placer cette autoroute, c’était plutôt au flanc de la falaise Saint-Jacques. Elle servait déjà de barrière, le chemin de fer aussi, alors si on plaçait l’autoroute à cet endroit, on n’ajoutait pas d’obstacle», poursuit-il. On a donc échappé à la destruction du Vieux-Montréal et de la Petite-Bourgogne. Par contre, ces changements de tracé—jumelés au projet de l’autoroute Décarie, son prolongement vers le pont Champlain et le raccordement aux autoroutes 20 et Ville-Marie (Est-Ouest)—ont eu pour effet d’imposer la création d’un superéchangeur dans un endroit fort contraignant.

Des spaghettis de béton

En raison de la hauteur de la falaise Saint-Jacques, il fallait des niveaux dans l’échangeur pour obtenir des courbes et des pentes praticables, en particulier l’hiver. De plus, un corridor d’infrastructures assez important passait au même endroit: le canal Lachine et le réseau ferroviaire. «On n’avait pas vraiment le choix de construire une infrastructure comme on l’a dessinée. On ne s’est pas amusé à faire des structures étagées simplement parce qu’on avait des ingénieurs qui n’avaient rien à faire», explique Paul Lewis. Les défis: une falaise, une cour de triage ferroviaire et trois autoroutes à raccorder en déplaçant le plus petit nombre de familles possible.

Il semble donc que la solution retenue, celle d’un échangeur à étages, était la moins pire. Mais un optimisme indécrottable et une confiance un peu exagérée dans le progrès nous ont mal servis, croit Paul Lewis. «On a construit Turcot en se disant que quand il serait désuet, le progrès aidant, on trouverait des solutions technologiques simples. On avait un peu une confiance aveugle dans le progrès. Certaines personnes parlaient du transport individuel aérien. On en rêvait, de l’auto volante!» À la vitesse où les choses évoluaient à l’époque, et dans le contexte économique favorable, les solutions envisageables issues de cet élan d’optimisme faisaient en sorte que l’on pensait même que ce genre de problème pourrait éventuellement disparaitre. Quand il n’y aurait plus de routes, on n’aurait plus besoin d’échangeur...

  • L’échangeur Turcot au sud de l’autoroute Décarie, 1969 .

Le grand dérangement

C’est en 1965 que les béliers mécaniques, les bétonneuses et les grues prennent Montréal d’assaut pour la construction du gigantesque échangeur Turcot. «Autant habiter un chantier. La ville comme du gruyère, avec des trous inattendus: nous n’avons pas besoin de guerre pour raser nos ex-voto et des rues entières, le progrès à lui seul calait son bombardement américain», écrivait cette année-là Jacques Godbout, dans Le couteau sur la table.

La grande rénovation urbaine montréalaise des années 1960 provoque beaucoup de dérangements. La vie de milliers de personnes est bouleversée. À lui seul, l’échangeur Turcot chasse environ 6 000 personnes. Partout en ville, 28 000 logements sont rasés, essentiellement dans les quartiers où la valeur des propriétés est au plus bas, comme la Petite-Bourgogne et le Faubourg à M’lasse. Dans ces logements souvent encore chauffés au charbon, les installations sanitaires étaient déficientes et la vermine et la crasse -prospéraient à la lueur des enseignes clignotantes de Kik Cola. On vit alors jusqu’ à dix dans un trois pièces loué 12$ par semaine. Ces quartiers dérangent. Il faut les démolir pour rendre service aux pauvres et nettoyer l’image de la ville.

En 1962, alors que les ingénieurs dessinaient l’échangeur Turcot, le Sud-Ouest de Montréal était, de manière générale, en décrépitude. Depuis 15 ans, aucune nouvelle entreprise ne s’était installée sur le territoire de Saint-Henri, occupé à plus de 50 pour cent par des usines. À cette époque, le bruit des trains, la fumée et la poussière sont partout. La population, pour la plupart des ouvriers pauvres, est en décroissance. Vingt mille emplois ont déjà disparu depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et entre 1951 et 1971, 30 000 personnes quittent le quartier. Saint-Henri est en train de mourir, et la revitalisation du quartier en conservant ce qui y est déjà ne fait pas partie des plans.

La relocalisation des familles a été ardue en raison de la pénurie de logements à loyer modique à Montréal, mais aussi du manque de coordination entre les paliers de gouvernement. Outre la promesse d’un nouveau logement, les -familles expropriées ont reçu en général 400$, soit l’équivalent de trois mois de loyer, plus 50$ par pièce détruite.

«On déplaçait souvent des locataires en se disant qu’au fond, un logement ou un autre, pour eux, ça ne changeait rien. On avait même l’impression qu’on était généreux parce qu’on détruisait des taudis et qu’on construisait des hlm, des bâtiments neufs. Mais on excluait la dimension sociale du calcul. En relocalisant, on détruisait le tissu social de quartiers populaires où les gens avaient leurs réseaux. Les communautés, ça ne se reconstruit pas comme les bâtiments», raconte Paul Lewis.

Un quartier qui disparait emporte avec lui tout un tissu social, son patrimoine immatériel. Il ne laisse à ses habitants que des souvenirs sans racines. Jamais ils ne pourront montrer à leurs petits-enfants où ils ont grandi. Et ces déplacés, même relogés dans des logements sociaux neufs, trainent dans leur baluchon la pauvreté, l’alcoolisme et l’illettrisme. Dans Imagerie sur ma ville, l’auteur et cinéaste Pierre Perrault écrit en 1961: «J’habite une ville inévitable et pourtant qu’on brule, qu’on démolit, qu’on repousse, qu’on déplace, qu’on éloigne, qu’on dissimule pour apaiser la conscience des maires, des millionnaires, des empereurs. J’habite cette ville-là qui les embarrasse et qu’ils démolissent, comme si en rasant les maisons, il se pouvait qu’on élimine la misère.»

La solution retenue, celle d’un échangeur à étages, était la moins pire. Mais un optimisme indécrottable et une confiance un peu exagérée dans le progrès nous ont mal servis.

On a l’impression de rendre service à ceux que l’on extirpe de leur misère. «La conscience de l’impact négatif du déplacement des populations est venue juste à la fin des années 1960 ou au début des années 1970. Dans les années 1950-60, on déplaçait les familles relativement facilement, parce que les lois sur l’expropriation permettaient de le faire sans trop de difficultés. On agissait en se disant que l’intérêt supérieur de la société était plus grand que la somme des intérêts particuliers des gens déplacés», explique Paul Lewis.

Le processus d’expropriation a d’ailleurs été vivement dénoncé dans le Lower Westmount par les résidents de la rue Selby. Dans cette petite zone ouvrière du riche quartier anglophone, 289 familles ont dû céder leur place à l’autoroute Ville-Marie, en 1967. Avant même que les avis d’expropriation ne parviennent aux locataires, des agents du gouvernement ont tenté de pousser les mères de familles à signer des documents en l’absence de leurs époux. L’eau, l’électricité et le gaz étaient coupés à répétition et sans avertissement. Certains ont même été privés de chauffage pendant plusieurs jours en plein hiver. Ces familles n’ont, en plus, jamais été relogées en hlm et n’ont reçu aucune compensation financière de la part du gouvernement, à l’exception d’une trentaine d’entre elles qui ont poursuivi l’État.

Quand la musique ralentit

Alors, qu’est-ce qui peut ralentir un modèle de développement urbanistique basé sur l’optimisme économique et la croissance démographique? «1967, c’est à peu près l’arrivée de la pilule, alors on n’envisageait pas encore une chute du taux de natalité. Il y avait plein de choses qu’on n’avait pas vues venir. Même à la fin des années 1970, on disait encore qu’il était impossible qu’on en arrive à moins de trois personnes par logement en moyenne, alors qu’aujourd’hui, dans certains quartiers, la moyenne est à peine d’une. Les modes de vie ont changé. On n’avait pas prévu ça à si grande échelle», explique Lewis.

On n’avait également pas prévu que plus on facilite l’accès au réseau routier, plus les gens s’en servent. Il y a donc plus de voitures sur les routes, ce qui contribue à les user prématurément, en plus de les congestionner.

Et maintenant?

Malgré 45 ans de progrès relatifs, toujours pas de voiture volante en vue. Les automobiles engorgent toujours les routes, le béton se fissure et il faut le remplacer. Après avoir jonglé avec l’idée de réparer l’échangeur Turcot, qui doit être constamment surveillé afin d’éviter qu’il ne s’effondre en partie, le ministère des Transports a jugé que le remplacement complet de la structure s’imposait. Or, étant donné que la cour de triage du cn est fermée depuis 2003, il est maintenant possible de le construire au sol, ce qui facilitera son entretien. Le MTQ prévoit que le chantier sera complété d’ici 2018 et que le nouvel échangeur pourra accueillir 8 000 véhicules de plus par jour que le précédent.

Malheureusement, explique l’urbaniste Paul Lewis, «on n’a pas construit Turcot en fonction d’une reconstruction. Aujourd’hui, il faut démolir des infrastructures étagées, tout en maintenant la circulation. C’est extrêmement difficile. On est obligé de reconstruire à côté et au travers de l’infrastructure existante, ce qui limite le nombre d’options. C’est un peu comme reconstruire une maison sans que les habitants ne déménagent.»

Bien que Montréal soit bien loin des sept millions d’habitants anticipés (on en est présentement à la moitié de cela pour l’ensemble de la région), le futur échangeur Turcot pourra accueillir plus de véhicules que l’actuel. Pourtant, depuis le milieu des années 1960, le contexte a changé. Le progrès n’est plus ce qu’il était.

Jason Prince, qui coordonne un projet de recherche portant sur le projet de rénovation de l’échangeur Turcot à l’Université McGill, pense que l’on aborde le problème sous le mauvais angle. «La question qui est posée aux ingénieurs du MTQ est la suivante: comment fait-on pour transporter un nombre x de morceaux de métal roulants, avec une personne à bord, du point A au point B à une vitesse donnée? Cela donne une réponse technofasciste qui est l’échangeur Turcot dans la version proposée», lance l’urbaniste.

Cette réponse, souligne-t-il, est dangereuse pour la santé publique. En 2006, la Direction de la santé publique a publié un rapport dans lequel elle a conclu qu’il faut absolument favoriser le transport en commun parce que les autoroutes ont, et auront, un effet négatif sur la santé. Cela entre autres en affectant la qualité de l’air et en encourageant l’obésité (une personne qui utilise le transport en commun marche environ 24 minutes par jour).

Jason Prince propose donc d’aborder le problème autrement. «La vraie question devrait être: comment déplacer des personnes tout en favorisant le développement urbain, le transport en commun et tout en diminuant l’empreinte écologique?»

La réponse à une telle question passerait inévitablement, selon lui, par le transport en commun. «Si on met en place quelque chose de léger, de rapide, de bien défini et de confortable, avec, par exemple du wi-fi dans les bus, je crois que les gens embarqueraient immédiatement. Ensuite on réduira la capacité routière. Il ne faut pas faire l’inverse», explique-t-il en reprenant les idées de la professeure à l’uqam et ancienne dirigeante de l’Agence métropolitaine de transport, Florence Joncas Adenot. Celle-ci a fait de nombreuses propositions lors des audiences publiques du bape portant sur l’échangeur, mais elles n’ont pas été retenues par le MTQ.

En en tenant compte, Montréal pourrait pourtant faire à nouveau l’envie des capitales du monde, et (re)devenir cette ville du futur qui faisait la une des magazines d’architecture lors de ce mythique printemps de l’Expo. Elle pourrait suivre l’exemple de San Francisco, qui retire systématiquement les autoroutes de son centre-ville. Elle pourrait même s’inspirer de Détroit, la «Ville de l’automobile», qui songe à démanteler certaines voies rapides pour favoriser une approche davantage axée sur les piétons. «Montréal est une ville reconnue par l’unesco pour son design. On la connait pour ses vieux quartiers, pour son Bixi. On a juste besoin de pousser un tout petit peu pour arriver à être un leader mondial en urbanisme. On y est presque!», ajoute Jason Prince.


Un quartier qui disparait emporte avec lui tout un tissu social, son patrimoine immatériel. Il ne laisse à ses habitants que des souvenirs sans racines.


De plus, les citoyens du Sud-Ouest seront encore une fois directement affectés par le chantier. Ceux qui devront être déplacés ont reçu leur avis d’expropriation en avril 2011. Toutefois, suite aux consultations publiques, le nombre d’expropriations sera moindre que prévu: 60 unités d’habitation seront détruites, plutôt que les 166 initialement prévues, et le MTQ s’est engagé à élaborer un projet accès-logis de 100 unités de logements abordables dans l’arrondissement. De plus, le gouvernement versera globalement 543 000$ aux expropriés à titre compensatoire.

Mais, au-delà des expropriations, c’est l’œuvre de nombreux groupes communautaires qui travaillent à revitaliser ces quartiers qui est tout simplement anéantie. Dans un mémoire remis au bape lors des audiences sur la réfection du complexe Turcot, en juin 2009, Solidarité Saint-Henri souligne que, depuis quelques années, les citoyens de Saint-Henri et les acteurs du milieu communautaire ont «travaillé avec acharnement à la revitalisation du secteur». «Comment le MTQ peut-il légitimement envoyer ses bulldozeurs et anéantir des années d’efforts qui commencent à porter fruits?», demande l’organisme.

«Tous les acteurs du milieu sont unanimes à dire que le projet du MTQ va nuire au développement social du quartier plutôt que d’y contribuer», souligne le mémoire. Solidarité Saint-Henri ajoute que les consultations faites par le MTQ auprès des citoyens des quartiers touchés ont plutôt été des séances d’information que de véritables consultations qui auraient pris en compte l’avis des citoyens.

La construction du nouveau complexe commencera en 2013. On prévoit une mise en service graduelle en 2017 et la fin des travaux en 2018. Le discours du MTQ est fort similaire à celui d’il y a 50 ans: «Le projet Turcot représente une belle occasion de repenser, de renouveler et d’améliorer un ensemble d’éléments de la trame urbaine. De plus, les travaux contribueront à bonifier les conditions de vie des gens des quartiers environnants», écrit-il sur son site web.

Le MTQ affirme qu’il est impossible, ou non rentable, de rénover l’échangeur actuel. Pourtant, les études qui ont été menées à ce sujet n’ont pas été rendues publiques, selon ce que l’on apprend dans Montréal at the Crossroads, un ouvrage collectif édité par Pierre Gauthier, Jochen Jaeger et Jason Prince. À ce sujet, Pieter Sijpkes, qui enseigne l’architecture à l’Université McGill depuis 1976, propose de supporter les parties aériennes par des structures de métal, ce qui réglerait selon lui une bonne partie des problèmes reliés à la dégradation de l’ouvrage et permettrait, aussi, de réfléchir à une solution beaucoup plus permanente et durable.

Jason Prince croit que l’on a écarté cette solution un peu trop vite. «À mon avis, cela reste toujours une solution envisageable, au moins pour l’axe est-ouest. L’axe nord-sud est très important pour l’économie du Québec, on doit faire en sorte qu’il soit reconstruit pour les prochains 100 ans. Mais l’axe est-ouest est un petit peu moins important. On a proposé de diviser le projet en deux.»

En écartant trop vite cette option pour favoriser une reconstruction axée sur le tout à l’auto, le risque de commettre à nouveau les erreurs du passé est grand, selon les observateurs. «Prêts à s’engager au cours des prochaines décennies dans quelques grands projets d’infrastructure qui coutent des milliards de dollars, les décideurs du MTQ sont sur le point d’établir les termes de l’évolution spatiale de la ville pour le futur», souligne les auteurs de Montréal at the Crossroads.

Bien que le MTQ ait déposé un projet final de reconstruction de l’échangeur, tant que le béton n’est pas coulé, le plan peut encore changer advenant un changement de gouvernement, souligne l’urbaniste. «Il peut aussi arriver une énorme crise économique, ou encore un gros accident et que l’on décide de ne pas rouvrir Turcot, comme pour le West Side Elevated Highway qui s’est effondré à New York en 1973 et n’a jamais été reconstruit. Il peut toujours se produire quelque chose, on ne sait jamais!»

À défaut de quoi on pourra toujours continuer à espérer l’arrivée des voitures volantes... 


Anne Caroline Desplanques est journaliste, news junky et obstineuse professionnelle. On peut la lire dans différentes publications imprimées et numériques, et l’entendre à l’occasion à la radio. Après avoir fait la moitié du tour de la terre, il n’y qu’à l’abri des cônes oranges montréalais qu’elle se sent réellement chez elle.

François Lemay a fait son entrée à Radio-Canada en 2005, et on a pu l’entendre comme animateur à Bande à part, à Espace musique et à la Première chaine. Comme chroniqueur, il a collaboré à plusieurs émissions, dont L’après-midi porte conseil, Plus on est de fous, plus on lit et La tête ailleurs.

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