Le climat, le citoyen et la Convention: une fable à la française
Quels avantages 150 personnes choisies au hasard ont-elles sur les gouvernements?
Certains concepts définissent des époques entières. La nôtre est certainement caractérisée par ceux de progrès, de croissance et d’accélération. Mais peut-être devrions-nous plutôt dire que notre époque était caractérisée par ces concepts. Aujourd’hui, elle est aussi marquée par une incertitude: pouvons-nous et devons-nous encore nous référer à ces désignations phares?
L’idée selon laquelle un progrès pourrait aussi prendre la forme d’un retour en arrière nous semble étrange. Pourtant, après avoir considéré toute accélération comme un progrès, nous aspirons aujourd’hui à un ralentissement partiel et ciblé. Un rythme plus lent, n’est-ce pas ce dont nous jouissions autrefois? Si nous avons désiré à tout prix, voire fétichisé la croissance économique, nous apprenons finalement à voir ses zones d’ombre et à nous demander si, dans les faits, une économie sans croissance est vraiment un non-sens, comme l’affirment encore beaucoup d’économistes.
Lorsque le progrès emprunte des voies que par le passé nous n’avions pas associées au progrès, voire que nous considérions comme un recul, que se passe-t-il exactement?
Notre rapport à la nature et au territoire nous fournit plusieurs exemples. De nos jours, nous effectuons la restauration écologique de fleuves et de ruisseaux, après avoir passé les dernières décennies à les détruire pour en faire des canaux bien droits. Nous attendons des fermiers qu’ils délaissent les engrais et pesticides, au moins en lisière de leur champ, pour y laisser (re)pousser des fleurs, alors qu’ils ont jusqu’ici appris à aménager de grandes surfaces à forte productivité où ne pousse aucune mauvaise herbe. Nous plantons aussi de nouveaux vergers, et ce, après avoir abattu des arbres fruitiers offrant pourtant une véritable valeur écologique, parce qu’ils ne cadraient plus avec notre vision économiste du monde moderne. Là encore, nous essayons de récupérer quelque chose que nous avions auparavant anéanti au nom du progrès.
Ces exemples montrent que la question va de pair avec le passage d’une pensée économique à une pensée écologique et engage une transformation des valeurs. Nous n’acceptons plus l’«oubli de la nature» que l’économiste Hans Immler avait décelé avec raison au sein de la théorie économique classique. Les prédicateurs de l’ancienne doctrine—appréciés des politiciens et du milieu des affaires—dominaient ce champ d’expertise il y a peu de temps encore. Ils trouvent maintenant des opposants au-delà du cercle de leurs détracteurs habituels: des penseurs hétérodoxes sérieux exigent que nous repensions le progrès.
En effet, celui qui décrivait la terre, l’air ou l’eau comme des «biens gratuits» nageait dans une sorte de béatitude scientifique. Puisque nous savons que les ressources de la Terre ne sont pas illimitées, il devient évident que la théorie classique compte d’importantes erreurs. Au point que l’on s’étonne qu’elle ait pu se maintenir aussi longtemps au rang de science établie, et qu’elle jouisse encore d’un tel statut.
Le scepticisme par rapport au progrès, qui nous parait aujourd’hui familier, est depuis longtemps devenu une crise du concept de progrès. Il n’y a là rien d’étonnant. Monopolisé aussi longtemps et d’une manière aussi simpliste et fausse par une science économique en déclin, ce concept perd de son attrait et cesse d’être porteur d’une vision qui pourrait nous orienter dans l’avenir.
Sans aucun progrès?
Il semble y avoir trois voies de sortie possibles. Un: se passer carrément du concept de progrès. Deux: voir le progrès dans le recul, le retour en arrière. Trois: insuffler au concept de progrès un nouveau sens, un nouveau contenu.
On ne peut guère emprunter la première voie. Il y a tant d’exemples positifs que l’on se trouve obligés de mobiliser le concept de progrès, même si certains préféreraient l’oublier. L’abolition de la peine de mort, l’accès à l’eau potable, l’amélioration de la qualité de l’air ou encore le triomphe, au moins partiel, des idées des Lumières que sont la liberté, l’égalité et la fraternité: tout cela justifie, voire exige, que l’on continue d’utiliser le concept de progrès. Qu’il y ait des contrexemples manifestes en droit, en médecine, en biologie, en politique, etc., ne change rien à l’affaire.
La deuxième voie, qui consiste à diriger son regard vers le passé et à sauver le concept de progrès par la remémoration d’anciennes valeurs et de pratiques aujourd’hui méconnues, apparait à plusieurs comme la véritable issue. Pourtant, à y regarder de plus près, nous voyons que nous ne retournons jamais exactement au point visé dans le passé, mais que nous essayons plutôt de recréer, d’une quelconque manière, une situation structurellement similaire à l’état passé et d’en tirer profit.
Un véritable retour en arrière est impossible, car plusieurs conditions de base ont radicalement changé. La reconstruction d’un ruisseau qu’on avait canalisé ne fait que rappeler de manière superficielle l’ancien ruisseau. Les plantes et les animaux ne «retournent» pas auprès de ce ruisseau, ils s’y établissent de nouveau. Si cela est néanmoins un progrès, ce n’est pas parce que le passé est restauré, mais plutôt parce que nous avons finalement compris que ce que nous tenions pour une bonne idée était en fait une idée stupide.
Ainsi, seule la troisième voie est raisonnable. Le progrès s’avère être un de ces concepts dont nous devons renouveler le contenu lorsque sa définition mène à un cul-de-sac. Des concepts comme celui-ci sont indispensables pour nous doter d’une vision nouvelle, positive, et assurer notre avenir sur le plan culturel. Nous en avons présentement bien besoin. Or, «progresser à reculons» ne constitue pas véritablement une telle vision positive. Il ne reste pas grand-chose à faire de cette idée, sinon de la tourner en ridicule.
Peter Finke, scientifique et écologiste, professeur à l’Université de Bielefeld (Allemagne) de 1982 à 2006.
Ce texte est la version traduite et condensée d’un article publié dans le magazine allemand agora 42, numéro «Fortschritt—Wohin geht die Reise?», avril 2011.
Traduction: Dominic Cliche
Quels avantages 150 personnes choisies au hasard ont-elles sur les gouvernements?
À propos d’une certaine responsabilité de la gauche dans la montée des populismes d’extrême droite, et des solutions à envisager.
Dans les années 1960, l’échangeur Turcot était un symbole du progrès montréalais. Un demi-siècle plus tard, alors que tant de choses ont changé, sommes-nous sur le point de répéter les mêmes erreurs en nous accrochant à une vision dépassée du progrès?