Solidarité organique: j’ai donné mon rein à un·e inconnu·e
Le récit d’une collaboratrice qui a entrepris de faire un don d’organe non dirigé de son vivant. Un acte de bienveillance presque radical.
HONGRIE – La république dirigée par Viktor Orbán, surtout connue pour son refus de l’immigration, est secouée par une vague de manifestations unissant étudiants et ouvriers. De l’intérieur de ce mouvement, un Québécois raconte ce qui l’a mené de la salle de classe à la prison.
L’avenir de l’Université d’Europe centrale, à Budapest. Le repli conservateur du gouvernement hongrois. L’indépendance des universités. Les manifestations en hiver. Le sens du mot solidarité. Les cellules de prison hongroises.
Les policiers s’éloignent, il n’en reste plus que deux qui nous surveillent d’un air distrait, quatre autres jeunes et moi. Depuis les arcades du parlement hongrois, nous n’entendons presque plus la foule qui s’est amincie à l’approche de minuit. Je me demande si mes amis ont même remarqué que je me suis fait enlever par deux molosses lors de la charge. J’essaie de reprendre mes esprits après une longue journée de manifestation qui se clôture par mon arrestation. Je pense alors à l’enthousiasme avec lequel la propagande du régime va se saisir de mon cas.
Quand j’ai décidé de m’inscrire à l’Université d’Europe centrale (UEC), en 2017, j’étais conscient du climat politique qui régnait en Hongrie: le régime nationaliste conservateur de Viktor Orbán, au pouvoir depuis 2010, avait depuis quelques années viré vers l’extrême droite, pris le contrôle des institutions de l’État, et mis la main sur la plupart des médias. Néanmoins, mon intérêt pour le pays et la réputation de l’université m’avaient convaincu d’aller m’y installer.
Je n’ignorais pas non plus la menace qui pesait sur l’université même. Et pour cause. Son fondateur, le milliardaire et philanthrope américain d’origine hongroise George Soros, est le bouc émissaire du régime. Depuis le début de la crise des réfugiés en 2015, Orbán et ses alliés l’accusent d’organiser l’«invasion islamiste» de l’Europe et de faire de l’UEC un véritable bastion libéral. L’institution s’est ainsi retrouvée dans la ligne de mire du pouvoir, en avril 2017, quand une nouvelle loi taillée sur mesure a été adoptée avec l’objec-tif clair de la chasser du pays. Parallèlement, en octobre 2018, le gouvernement a lancé un assaut spécial contre le Département d’études de genre (un programme d’études féministes), en lui retirant son accréditation. Remettre en question les inégalités entre les sexes est devenu tabou au sein d’un gouvernement qui ne compte aucune femme ministre depuis 2010, et plus d’hommes députés nommés László que de femmes députées (seulement 11 sur un total de 133). Face à la chute de la natalité et à l’émigration massive, le féminisme est présenté comme un obstacle au renouveau démographique.
Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas qu’en tant qu’étranger étudiant à l’UEC en études de genre, j’aie été qualifié par la presse d’opposition d’«ennemi idéal de Viktor Orbán».
L’étincelle de la résistance
Il est presque 1h du matin lorsqu’on nous conduit dans un commissariat éloigné du centre-ville. Nous devons rester debout, chacun dans notre coin. Pas le droit d’aller aux toilettes. Malgré mon hongrois rudimentaire, je tente d’engager la conversation avec mon gardien. Il ne gagne que quelque 600$ par mois et n’est jamais sorti du pays. Il me demande ce que j’étudie.
— Études de genre.
— Qu’est-ce que c’est?
— C’est comme de la sociologie.
— Et ça, qu’est-ce que c’est?
L’officier supérieur sort le nez de son bureau et nous intime de cesser de discuter.
Dans le silence, debout et épuisé, j’ai tout le loisir de réfléchir à ce qui m’a mené ici. Tout a commencé le 25 octobre 2018, quand l’université a lancé un ultimatum aux autorités pour leur enjoindre de signer l’accord leur permettant de demeurer sur le sol hongrois. Faute de quoi elle devra déménager à Vienne. Depuis un an, l’administration réclamait cette signature et disait ne plus pouvoir attendre la date fatidique du 1er janvier 2019, jour où elle perdrait son permis. Elle s’était résignée à partir plutôt que d’essayer de se battre jusqu’au bout.
Je me rappelle notre première réunion quelques jours après l’annonce. Nous n’attendions qu’une vingtaine de personnes, mais 50 étudiants se sont présentés, motivés par l’idée de résister, même si aucun de nous n’osait parler de victoire. Ce serait une sorte de baroud d’honneur, un grand fuck you au régime. Dès cette rencontre, nous avions la volonté d’agir au nom de tous les étudiants hongrois subissant les pressions gouvernementales. L’esprit de solidarité régnait déjà, comme le sentiment d’un devoir à accomplir.
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