Les mots maladroits

Sophie Marcotte
Illustration: Agathe Bray-Bourret
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Idées

Les mots maladroits

Qu’est-ce qu’il faudrait éviter de dire à une personne atteinte d’un cancer? Cet extrait du guide Cancer: mode d’emploi cible les phrases qui peuvent blesser ou taper sur les nerfs des gens qui doivent déjà composer avec la douleur et la peur. L’autrice de l’ouvrage paru aux Éditions Cardinal liste quelques lieux communs à écarter de notre vocabulaire quand on veut bien faire.

Tu l’as peut-être expérimenté avant d’avoir toi-même un cancer: trouver des paroles pas trop connes à dire à une personne atteinte, ce n’est pas évident. Beaucoup d’émotions s’entremêlent: la tristesse, le soulagement que ça ne nous arrive pas à nous, la culpabilité de ressentir ce soulagement... Bref, on perd nos moyens. Toutes les phrases semblent creuses, complètement dérisoires devant cet ouragan qui secouera toute une vie sur son passage.

Maintenant, malheureusement, tu es de l’autre côté de la clôture. Et tu en entendras de toutes sortes. Voici les termes et formulations les plus fréquentes:

«Tu es un·e guerrier·ère/un·e combattant·e.»

Omniprésent, le vocabulaire militaire vient laquer cette terrible épreuve d’un vernis d’héroïsme. On se sent alors investi·e d’une noble mission: vaincre le cancer. Plusieurs personnes cancéreuses le détestent. Moi, ces mots m’ont plu. Ils me motivaient. Peut-être parce que je suis assez compétitive. J’avais l’impression de m’être engagée dans un ultramarathon de 365 jours, et qu’il fallait que je me transforme en machine de guerre pour gagner.


«Tu es tellement courageux·euse.» 

J’avais plus de misère avec cet adjectif. Je considérais que je faisais seulement ce que j’avais à faire pour m’en sortir. Si tu étais dans une maison en flammes et que tu devais courir dans la fumée jusqu’à la porte pour ne pas finir carbonisé·e, tu ne te poserais pas la question : tu le ferais. Moi, pour ne pas mourir, je devais aller à mes traitements. Dans les deux cas, il me semble que ce n’est pas le courage qui nous anime; c’est simplement l’instinct de survie. (Avec du recul, cependant, j’ai compris que les gens faisaient surtout référence à mon attitude, jamais défaitiste.)


«Au moins, tu as un bon cancer.» 

Les bons cancers sont comme le yéti, les bienfaits du troisième lien à Québec et le café de qualité au Tim Hortons: ils n’existent pas. Les cancers sont tous mauvais, dégueulasses, enrageants, terrorisants. Il y en a des moins pénibles que d’autres, ça oui, mais pas des bons.


«Ça va bien aller, tu vas guérir.» 

Phrase qui sert à meubler le silence quand les gens manquent de mots, et qui m’entrait dans une oreille pour aussitôt s’évaporer dans le néant. Personne n’est devin.


«Ma tante/mon collègue/ma belle-sœur/mon voisin a eu le même cancer que toi.»

Généralement, c’est pour nous encourager que les gens nous parlent d’une personne qu’ils connaissent; ils veulent nous dire qu’elle s’en est sortie. C’est gentil de leur part, mais quand on en apprend plus sur le sujet et qu’on sait à quel point chaque cancer est différent, unique, on finit par avoir envie de lever les yeux au ciel. Ma pire expérience: un infirmier qui me parlait de sa mère cancéreuse et qui a terminé son monologue en me spécifiant: « Ouais, son combat a duré dix ans et elle est morte, finalement. » Vraiment super. Merci. En plein ce que j’avais besoin d’entendre.

(Une technologue m’a aussi déjà dit, après que je lui ai mentionné mon poids pour qu’elle le note dans mon dossier: «Ouin, vous êtes chanceuse, vous !» Te dire comment je me suis mordu l’intérieur des joues pour ne pas lui répondre: «Si vous voulez, j’échange mon cancer contre vos 15 livres de plus n’importe quand.» J’ai pris deux, trois grandes inspirations, et ça a passé.)


Mon mantra en la matière: les gens ne sont pas méchants, juste maladroits. Je l’ai déjà été dans une situation similaire, j’en suis sûre. Alors j’essaie d’être compréhensive. Mais si un·e de tes proches t’appelle sans cesse « la combattante » et que ça t’énerve, n’hésite pas à lui dire.

Perso, ce qui me faisait dresser les poils sur les bras, c’est le regard de pitié et le «saluuuuut» lancé sur un ton dégoulinant de compassion que certain·es m’ont servis en me revoyant quelques mois après avoir appris la nouvelle. Je plaide coupable: j’ai parfois répondu sèchement que je n’étais pas en train de mourir... La zénitude, c’est à géométrie variable.

Ce que j’aimais entendre ou lire? Des choses très simples, comme: «Je suis désolé·e, et je suis là pour toi, n’hésite pas» ou «Je sais que c’est ton premier traitement de chimio ce matin, je pense à toi très fort.» Des choses concrètes, aussi: « Je t’apporterais à souper ce soir, ça te convient ?» ou «Es-tu assez en forme pour qu’on aille marcher ensemble pas longtemps?»

Et en cas de panne de mots, des fleurs, ça fait toujours la job.


Sophie Marcotte travaille dans le domaine des mots depuis plus de 20 ans, comme rédactrice et journaliste (Le Soleil, ELLE Québec), et comme éditrice dans une agence de marketing de contenu.


Pour aller plus loin

Cancer: mode d’emploi, un livre de Sophie Marcotte paru aux Éditions Cardinal le 14 mars 2023

La carte cancer, un balado animé par Judith Lafaille et Evelyne Morin-Uhl, à écouter sur Radio-Canada OhDio

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