Les affaires de notre temps
Merci aux matières naturelles fossilisées par des milliers d’années et aux métaux lourds extraits de la Terre.
Beaucoup de café a déjà été bu des vêtements fripés viennent d’être remis sur des corps qui le sont tout autant—constellation de plis d’oreiller et de rides timides de trentenaires qui ne supportent plus bien l’alcool mais qui font comme si—beaucoup de café a déjà été bu beaucoup de miettes de toast sont venues mourir sur la nappe mais il vous semblait qu’il fallait encore -étirer le matin faire comme si vous pouviez passer vos vies autour d’une table à ne rien faire à être riches et beaux et insipides comme des personnages de Denys Arcand.
Et maintenant
Deux tasses de café tiède
Tournoient côte à côte
Dans le micro-ondes
Illuminé
Pour l’occasion.
Ces deux tasses contiennent les 100 millilitres de trop juste ce qu’il faut de café pour gâcher la journée pour faire spinner vos cerveaux comme des extracteurs à jus mais ça n’a pas d’importance il faut les boire il faut repousser les limites de la fébrilité ne craindre ni les tremblements de mains ni les amours improductives bien sûr il y aura des dommages collatéraux quelques appels manqués un courriel envoyé sans pièce jointe une brassée oubliée qui sentira le moisi mais ce matin rien n’est grave ce matin tout arrive par l’odeur du café.
Et maintenant
Deux tasses de café chaud
Se tiennent face à face
Dans le micro-ondes
Qui hurle
En quête d’attention.
L’un de vous deux répond à l’appel l’un de vous deux se lève ouvre la porte du micro-ondes et va pour prendre les deux tasses brulantes mais c’est trop tard déjà un autre corps se lève déjà une bouche s’avance vers un cou déjà des lèvres se posent sur une nuque disponible et tout ça crée une décharge d’ondes qui passent d’une peau à l’autre et font des allers-retours glissants sous vos vêtements fripés et le matin s’étire et la productivité pleure et le café refroidit.
Et pendant que vous disparaissez dans
la chambre
La porte du micro-ondes
Se referme d’elle-même
Et sourit.
Sarah Berthiaume est auteure, scénariste et comédienne. L’an dernier, sa pièce Yukonstyle a été montée simultanément au Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal et au Théâtre national de la Colline à Paris, avant d’être produite à Bruxelles, -Innsbruck, Heidelberg et Toronto. Elle en est à ses premières incursions en poésie; heureusement, son nouvel amoureux l’inspire beaucoup.
Merci aux matières naturelles fossilisées par des milliers d’années et aux métaux lourds extraits de la Terre.
L’autrice de «Trente» et «Encore» tricote un poème inédit, aussi réconfortant qu’un pull enfilé par-dessus une robe-soleil pour apprivoiser l’automne.
Le Montréalais signe un poème inédit qui donne envie de fuir la ville, et de chérir nos liens filiaux.