La solastalgie
Marqué par une quête de beauté, l’essai «Les paysages intérieurs» dit le deuil des paysages disparus ou transformés à travers le concept de solastalgie. Voici un extrait du dernier titre de notre collection «Documents».
La pandémie a achevé la migration de nos vies vers le web. Dans ce contexte, que reste-t-il des villes, lieu par excellence de la coprésence avec les autres? Dans son essai La ville analogique, le sociologue Guillaume Ethier réfléchit à de nouvelles façon d’entrer en relation avec ses concitoyen·e·s.
L’état de l’urbain à l’ère numérique. Les téléphones intelligents et l’ubiquité comme pivot de notre condition humaine. La pensée utopique et la génération iGen. La «vraie nature des gens».
Seul au fond de mon bureau, il y a deux ans tout au plus, j’ai eu la chance d’entrer en contact avec un matériau unique, une mine d’or d’informations sur les préoccupations de mes jeunes concitoyen·ne·s quant à l’avenir des villes. Je donnais cet automne-là un cours en théorie urbanistique. Insistant sur le caractère utopique d’une large part des écrits sur la ville à travers l’histoire, j’ai demandé au groupe de poser un diagnostic sur l’état de l’urbain aujourd’hui, d’identifier les enjeux qui lui semblaient les plus criants et de proposer une utopie apte à répondre, en tout ou en partie, à ces problèmes.
L’acte de concevoir une utopie offre à qui se frotte à l’exercice une liberté totale, une exemption temporaire des impératifs qui font d’une collectivité réelle un fatras d’intérêts divergents. Aucun réalisme n’encombre la pensée utopique, et c’est ce qui en fait l’intérêt comme pépinière d’idées. J’anticipais donc que la levée de ces contraintes allait pousser mes étudiant·e·s en urbanisme à me soumettre 99 cahiers d’examen esquissant des visions urbanistiques empreintes de techno-enthousiasme, qu’ils et elles allaient me parler de villes smart jusque dans leurs derniers recoins, branchées dans tous les trous. J’imaginais que les vertus attribuées originalement à la sphère numérique trouveraient leur exacte réplique dans leur conception idéale d’un monde habité tangible. Un urbanisme « sans frictions »pour reprendre la vision optimiste de Bill Gates d’une société décloisonnée par le web multipliant les liens entre les individus au gré de leurs intérêts et de leurs allégeances. Je pensais, en somme, que la coprésence humaine dans sa forme la plus concrète n’était pas leur truc. J’avais tort.
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