Briser le moule

Maxime Bilodeau
Photo: Alma Kismic
Publié le :
Transition

Briser le moule

Dans le quartier Saint-Sauveur à Québec, le projet de coopérative d’habitation Dorimène se positionne à l’avant-garde en matière de logement. 

Le complexe multifamilial coche toutes les cases de l’habitation de demain. Des logements à loyer modique ? La moitié des 16 unités le seront. De l’agriculture de proximité ? Une ferme aquaponique fournira des légumes feuilles à longueur d’année. De l’efficacité énergétique ? Des puits géothermiques récupèreront la chaleur générée par la production de légumes. De la durabilité ? La charpente de bois de l’immeuble de quatre étages, reliés par une cour intérieure, séquestrera le carbone contenu dans l’atmosphère.

L’élément le plus novateur du projet résidentiel demeure néanmoins la stratégie déployée par le collectif pour acquérir la parcelle où la coopérative verra le jour en 2023. Le terrain de 850 mètres carrés, situé à un jet de pierre du parc linéaire de la Rivière-Saint-Charles, a été acheté par la Fiducie foncière communautaire Québec afin d’être mis à l’abri de la spéculation immobilière. Derrière cette entité nouvelle se trouvent notamment les individus et les familles qui habiteront les lieux. Des investisseur·euse·s solidaires, quoi.

« La fiducie d’utilité sociale nous a permis de mettre de l’argent dans le lot convoité sans mélanger le tout avec l’acte de vivre-ensemble. C’est un concept qui est très populaire ailleurs sur la planète », explique Thomas Boisvert St-Arnaud, membre fondateur de Dorimène et porteur du projet. Et pour cause : il s’agit d’un levier de densification urbaine mixte, responsable et verte, grâce auquel il est possible de se réapproprier le développement de son quartier. 

La Fiducie foncière Angus, qui a vu le jour en 2018 dans l’est de Montréal, est l’un des rares exemples comparables au Québec. Cette fiducie foncière d’utilité sociale protège le patrimoine immobilier du Technopôle Angus—un écoquartier composé de nombreux organismes, entreprises et commerces de proximité. 

Dans le quartier Saint-Sauveur, le projet de fiducie a été appuyé par le Centre de transformation du logement communautaire. Dorimène a pour sa part bénéficié de subventions de plusieurs institutions, dont la Fédération canadienne des municipalités. La Ville de Québec a aussi sorti son portefeuille. 

« Nous voulons des milieux de vie dignes de ce nom, pas juste quatre murs, un plancher et un plafond. Ce n’est pas parce qu’il est question de logement social qu’il est interdit de rêver », fait valoir Marie-Pierre Boucher, responsable de l’habitation et du logement social au sein du comité exécutif de la Ville de Québec.


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Une solution à la crise du logement ?

Si la dimension onirique du projet peut paraitre exagérée, elle ne l’est pas, défend Jérôme Godbout, un des membres de la coopérative. « C’est vraiment hors norme ! Ç’a été tout un défi de ficeler le montage financier. Les différents programmes auxquels nous avons fait appel pour concrétiser notre vision sont plutôt rigides. » 

Il leur aura ainsi fallu plus de trois ans avant de procéder à la proverbiale première pelletée de terre, qui a eu lieu au printemps dernier.

Comme partout ailleurs dans la province, une crise du logement exacerbée par la pandémie sévit dans la capitale nationale. En octobre 2021, le taux d’inoccupation y était d’à peine 2,5 %, en bas du point d’équilibre de 3 %. Ici, la gentrification a poussé les gens à faibles revenus en dehors des quartiers centraux. Et un fossé s’est creusé entre les différentes classes de la société, qui y a perdu dans son ensemble.

En plaçant la mixité sociale au cœur de sa vocation écologique, Dorimène contribue à renverser cette tendance lourde. « Nous démontrons que c’est faisable et pavons la voie à d’autres qui voudraient nous imiter à l’avenir », affirme Jérôme, tout en adressant un clin d’œil aux quartiers voisins de Saint-Roch et Limoilou aux prises avec la même dynamique d’embourgeoisement. « Il faut collectivement revoir notre rapport à la propriété, qui crée divisions et désillusions une fois passée l’euphorie de l’achat », seconde Thomas.

Il est prévu que les coopérant·e·s aménagent dans leur nouveau chez-soi au début de l’année 2023. Les logements abordables, subventionnés par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, trouveront quant à eux preneur·euse·s un peu plus tard dans le processus. 

Pourquoi ne pas les avoir attribués dès le départ ? Afin de ne pas créer d’attentes irréalistes ni de déceptions, répond Thomas. « Ce sont des organismes communautaires qui vont nous adresser des ménages admissibles », conclut-il. L’enjeu sera ensuite de bien les intégrer, de bien leur faire sentir qu’ils font partie de l’aventure. 


D’autres initiatives locales pour la transition


Rien ne se perd

La microbrasserie L’Esprit de clocher, à Neuville, génère annuellement des tonnes de drêche, ce résidu de l’orge issu du brassage de la bière. Littéralement : « Pour un seul brassin [une cuve], ça se chiffre à plusieurs centaines de livres... Comme nous en faisons plusieurs par semaine, ça monte rapidement», raconte Nathalie Simard, copropriétaire. Ce sous-produit industriel fait pourtant des heureux·euses à moins de dix kilomètres de là. « Nous récupérons la drêche afin de la mélanger avec la nourriture de nos bœufs. Ça fait plus d’une année, et les bêtes en raffolent ! », constate Anne-Sophie Paquet, qui dirige la Ferme Syldia avec sa sœur jumelle, Catherine. Plus circulaire que ça...


  • Photo: Alma Kismic

Ferme portuaire expérimentale

Pour la troisième année de suite, patates, poivrons et carottes sont sortis de terre au Vieux-Port de Québec, près du bassin Louise. Les Urbainculteurs ont cultivé plus d’une tonne de légumes dans des bacs installés sur le site de l’ancien marché. Grandes nouveautés en 2022 : une serre a été aménagée, et les volets pédagogique et social ont été bonifiés. « On sent qu’il y a un réel appétit de la Ville de Québec pour des projets d’agriculture urbaine à visée productive », affirme la coordonnatrice Marie-Hélène Dubé, qui a confiance de voir ce projet pilote se pérenniser.


Saint-Jean-Baptiste vert

Cinq commerçant·e·s de la rue Saint-Jean ont entrepris à l’automne 2021 de réduire leur empreinte écologique. Cette initiative de la Société de développement commercial (SDC) du Faubourg Saint-Jean, elle-même membre de la cohorte « verte », a permis la mise en place de projets concrets. Par exemple, Vélos Roy-O a éliminé les nettoyants et lubrifiants non biodégradables incompatibles avec l’idée de circuit fermé, tandis que Nina Pizza Napolitaine a établi un partenariat avec Too Good To Go, une application de gestion des invendus, pour contrer le gaspillage alimentaire. « Nous sommes fier·ière·s d’être la première SDC de Québec à négocier un tel virage », commente Marie-Soleil Côté, coordonnatrice aux communications et aux évènements.


  • Photo: Alma Kismic

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