Défendre ses traditions

Gabrielle Izaguirré-Falardeau
Photo: William B. Daigle
Publié le :
Transition

Défendre ses traditions

Face à une recrudescence de l’exploration minière, les gens de la MRC d’Abitibi-Ouest s’organisent pour que la vocation nourricière de leurs sols soit préservée.

Occupée depuis des millénaires par les populations autochtones, notamment les Anichinabé·e·s et leurs ancêtres, l’Abitibi-Ouest a vu naitre plusieurs municipalités au début du 20e siècle. Si certains de ces villages sont issus de l’exploitation de gisements miniers, d’autres se sont plutôt développés autour de l’agriculture et de la forêt, selon les plans de colonisation déployés pour faire contrepoids à la Grande Dépression. C’est le cas de la localité de Roquemaure, fondée en 1933, qui a connu son heure de gloire avant de subir l’exode rural. Après avoir compté près de 1 100 habitant·e·s cinq ans après sa fondation, la municipalité en abrite aujourd’hui tout juste plus de 400.

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Depuis 2021, l’entreprise d’exploration minière Kenorland Minerals a notamment acquis des titres miniers pour mener des travaux d’exploration à Roquemaure, à Gallichan, une municipalité voisine, et à Apitipik (lieu de rassemblement historique des Abitibiwinnik), dont les terres comptent parmi les plus fertiles de la région. La découverte d’un gisement aurifère substantiel pourrait changer le portrait socioéconomique local. Si ce scénario demeure hypothétique, les impacts potentiels de sa concrétisation et les pratiques de la compagnie provoquent doutes et inquiétudes chez une partie de la population. D’autant plus que Kenorland Minerals s’est d’abord gardée de bien informer les citoyen·ne·s de ses intentions, reléguant cette responsabilité aux élu·e·s.

Sans militer activement contre l’industrie minière, le maire de Roquemaure, Mathieu Guillemette, propose une vision de développement économique différente, ancrée dans le potentiel agricole exceptionnel, la tradition et l’histoire de son village—qui a, par ailleurs, été le premier chantier coopératif de l’Abitibi-Témiscamingue. En effet, plutôt que de travailler en sous-traitance, les colons de Roquemaure ont mis en place, dans les années 1940, une coopérative de bucherons exécutant des contrats de coupe pour les grandes entreprises, veillant ensuite à répartir les profits équitablement. Ils orientaient ainsi leurs activités vers le développement de la communauté et la transmission des savoirs.

Pour redynamiser son village, Mathieu Guillemette a choisi de l’unir derrière un objectif commun: celui d’une alimentation saine, physiquement et financièrement accessible. Dans un contexte où près de 20% de la population—vieillissante de surcroit—vit sous le seuil de la pauvreté et où l’épicerie la plus proche se trouve à 40 kilomètres, sa proposition semble tomber sous le sens. Accompagné d’un comité citoyen et en collaboration avec le gouvernement du Québec, le politicien a ainsi doté Roquemaure d’un «Plan de développement de communautés nourricières».

Entériné cet été, le PDCN résulte d’une démarche collective à laquelle ont pris part les citoyen·ne·s et des gens d’affaires qui œuvrent dans la localité. Le plan propose 36 actions pour améliorer l’accès aux aliments de qualité, surtout par la mutualisation et la consolidation des infrastructures existantes, dont celles du dépanneur-coop situé à l’entrée du village, qui pourraient être améliorées pour permettre la transformation alimentaire et la distribution de produits sains et locaux à un cout abordable—ce qui n’est pas le cas, actuellement. Sensibilisation, formations et partage de matériel font également partie des suggestions.


Rassembler les marges

À Gallichan, Antoine Boissé-Gadoury et Janie Jalbert-Senneville, qui viennent du monde de l’agriculture, sont parmi les membres fondateur·trice·s de la Coop la Hutte, créée en 2021 et vouée à la production maraichère biologique, qui ancre ses activités dans la transition écologique et la protection de l’environnement.

Engagé dans sa communauté, l’organisme a également mis sur pied le marché public de Duparquet et la coopérative de solidarité Communao, qui réunit les citoyen·ne·s autour de projets communs. Boissé-Gadoury remarque: «En Abitibi-Ouest, il y a beaucoup de gens marginaux avec des idées de gauche, mais on dirait qu’il n’y a pas de réseau pour eux.» L’organisation a donc favorisé des occasions de rencontres autour d’évènements festifs comme la transformation collective de légumes moches en kimchi ou des soupers en groupe suivis de veillées traditionnelles. Ensemble, les membres de Communao se consacrent entre autres à la création d’un sentier pédestre reliant les communautés de Roquemaure, Gallichan et Rapide-Danseur. L’idée de créer un journal commun aux trois villages est également à l’étude.

Antoine Boissé-Gadoury ne manque pas de rappeler l’historique coopératif de la région et l’éducation reçue en ce sens par les générations précédentes. Selon lui, l’avenir passe aussi par la reconnaissance des expériences passées.


L’ombre de l’industrie

Le cofondateur de la Coop la Hutte déplore le manque de transparence et de démocratie dans son secteur en ce qui concerne les discussions entre Kenorland Minerals et la classe politique: «Notre but, c’est pas nécessairement la lutte, c’est plus le changement social, une mobilisation de notre milieu, mais à un moment donné, on dirait qu’on n’a pas le choix [de se battre]. Il y a tout le temps eu de nouvelles compagnies, comme Kenorland Minerals, qui sont arrivées ici sans faire de consultation, en disant que nos élu·e·s étaient d’accord.» Avec Communao, Boissé-Gadoury veille par conséquent au maintien d’un comité de vigie qui fait un suivi des projets miniers en cours.

Pour résister au joug de l’industrie, Janie Jalbert-Senneville, elle, se consacre avec d’autres membres de Communao à la création d’une première école alternative en Abitibi-Ouest, où la présence marquée des industries minière et forestière, jumelée à la pénurie de main-d’œuvre, crée un contexte propice au décrochage scolaire. Cet établissement appliquera les principes de l’éducation par la nature, où les éléments de l’environnement extérieur sont pleinement intégrés à l’apprentissage: «On s’est rendu compte qu’on n’est pas  Pour résister au joug de l’industrie, Janie Jalbert-Senneville, elle, se consacre avec d’autres membres de Communao à la création d’une première école alternative en Abitibi-Ouest, où la présence marquée des industries minière et forestière, jumelée à la pénurie de main-d’œuvre, crée un contexte propice au décrochage scolaire. Cet établissement appliquera les principes de l’éducation par la nature, où les éléments de l’environnement extérieur sont pleinement intégrés à l’apprentissage: «On s’est rendu compte qu’on n’est pas tout seuls à penser que finalement, quand t’es proche de ton territoire, que tu le connais, que tu l’habites, t’es plus enclin à vouloir le protéger.»


Gabrielle Izaguirré-Falardeau a grandi à Rouyn-Noranda. Amoureuse de sa région et engagée dans sa communauté, elle a été rédactrice pour différents médias et plateformes, dont la revue À bâbord! et Tourisme Abitibi-Témiscamingue. Elle a également coécrit l’essai Arsenic mon amour avec Jean-Lou David aux Éditions du Quartz.

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D’autres initiatives pour la transition


Démocratiser l’accès au territoire

Malgré ses milliers de lacs et ses aires boisées qui devraient en faire une destination prisée des amateur·trice·s de plein air et de tourisme d’aventure, le territoire du Témiscamingue demeure peu accessible à ces fins. Depuis 2021, la Coop de l’Arrière-Pays tente de remédier à la situation en offrant au public des navettes de transport, des équipements de qualité, des formations et des activités en groupe, le tout à faible cout, pour permettre à tou·te·s de profiter du paysage par le biais d’expériences sécuritaires et respectueuses de l’environnement. L’équipe travaille également au développement d’infrastructures de plein air comme des sentiers universellement accessibles à Laverlochère.


S’unir dans une vision commune

Relancé en 2022 par des citoyen·ne·s des cinq MRC, le Conseil régional de développement de l’Abitibi-Témiscamingue souhaite unir les institutions régionales et la société civile derrière une vision commune pour l’avenir. En créant un espace d’échange, l’organisme veut briser les silos et stimuler la participation citoyenne pour répondre aux défis propres à la réalité régionale. Cette nouvelle mouture du CRDAT planche sur plusieurs projets, dont l’orchestration d’une tournée de consultation régionale et un chantier de travail sur le logement.


  • Photo: Cédric Corbeil / Louis Roy / Minwashin / Ondinnok

Valoriser le legs autochtone par les arts vivants

Implanté à Rouyn-Noranda, Minwashin est un organisme voué à la valorisation de la culture anichinabée grâce à des projets conçus en étroite collaboration avec la communauté. L’été 2024 a donné lieu à la deuxième édition du camp artistique et culturel Inabadan, proposé gratuitement aux ados anichinabé·e·s. La compagnie de théâtre Ondinnok s’est chargée de la programmation axée sur l’initiation au théâtre alors que l’équipe de Minwashin a organisé, par exemple, des cours de langue anichinabée ou de cuisine traditionnelle.

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