L’importance du bon voisinage

Julien Lamoureux
Delphine Chalon, responsable des communications du collectif Solon,
devant l’Espace des possibles d’Ahuntsic.
Delphine Chalon, responsable des communications du collectif Solon, devant l’Espace des possibles d’Ahuntsic.
Photo: Adil Boukind
Publié le :
Transition

L’importance du bon voisinage

Le collectif Solon, né en 2015 au cœur de Montréal, s’est donné la mission d’aider des groupes de quartier à réaliser leur vision.

Dans Ahuntsic, l’atelier communautaire de vélo fondé par Catherine Bilodeau est particulièrement bien situé: sur la rue Lajeunesse, qui est desservie à cette hauteur-là—entre Chabanel et Legendre—par un axe du Réseau express vélo, large piste cyclable inaugurée en 2020.

À l’intérieur du petit local, près de la fenêtre, un bénévole discret est affairé à soigner une monture électrique de LocoMotion, un réseau qui offre, entre autres, des vélos cargo en libre-service. Changement de la chaine, nettoyage et ajustement du dérailleur, serrage des vis et boulons: un entretien de routine.

Ici se déploie un des bébés de Solon, un OBNL créé en 2015 dans l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie dont la mission est d’accompagner des gens qui veulent mettre en place dans leur quartier des projets qui participent à la transition socioécologique. «On accompagne [les initiatives] dès le début pour aider à la mobilisation, à la gestion, à la coordination du groupe, mais tout en leur laissant les mains très libres pour aller dans la direction de leur choix», résume Daphné Le Templier, coordonnatrice des projets de transition à Solon. Bref, l’OBNL agit comme facilitateur auprès de citoyen·ne·s qui ont des idées, mais pas toujours les moyens ou les connaissances nécessaires pour les concrétiser.

Catherine et son équipe ont fait du chemin depuis l’ouverture de l’atelier à l’été 2022. «On est en train de gérer les derniers détails, explique-t-elle. Il faut s’enregistrer aussi, soit comme coopérative de travail, soit comme organisme à but non lucratif… ce qui est quand même incroyable, puisqu’il y a deux ans, on était un groupe de voisin·e·s qui ne se connaissaient pas.»


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L’accompagnement de Solon

Quatre ans après sa création, en 2019, Solon a reçu un coup de pouce majeur. La Ville de Montréal a obtenu un financement de 50 millions de dollars du gouvernement fédéral après avoir gagné le Défi des villes intelligentes; Solon s’est alors vu décerner huit millions de dollars pour financer Mobilité de quartier, une initiative dont le but est de «repenser les déplacements dans les quartiers par la mobilisation citoyenne» afin de «réduire les besoins de déplacements émetteurs de gaz à effet de serre», selon son site web.

Solon a ainsi pu ouvrir deux locaux, les Espaces des possibles Petite-Patrie et Ahuntsic, que Daphné Le Templier décrit comme des tiers-lieux, c’est-à-dire des «endroits conçus par et pour la communauté pour favoriser les rencontres et le partage, dans un esprit de transition socioécologique». Puisqu’ils permettent à la population d’avoir à proximité des évènements culturels, des formations et des services, ces tiers-lieu s’inscrivent tout à fait dans la mission de Mobilité de quartier, ajoute-t-elle.

L’Espace des possibles Ahuntsic héberge un atelier de couture, une bibliothèque, un collectif d’achat de nourriture—particulièrement apprécié depuis la fermeture d’une épicerie de l’autre côté de la rue—et pourrait éventuellement être le théâtre de toute autre idée qui passerait par l’esprit des gens qui fréquentent l’endroit.

Ce qui nous ramène à l’atelier de Catherine Bilodeau; c’est dans un petit local au fond du tiers-lieu que ses activités ont commencé. «On a affiché sur l’internet qu’on était ouvert. C’était assez populaire, surtout l’été. On a aussi accompagné des gens qui voulaient s’initier au vélo d’hiver. On a réalisé que c’était vraiment un besoin dans le quartier, que c’était nécessaire d’offrir des options pour la mobilité active à des gens qui sont moins favorisés, qui n’avaient pas les moyens d’aller dans un magasin de vélo [traditionnel].»


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Quitter le nid

Pour Daphné Le Templier, l’autonomisation du projet vélo, officialisée par son déménagement dans son propre local début 2024, est un bel exemple de ce que Solon permet d’accomplir. L’atelier «devient une entité [à part], avec sa propre mission».

Depuis sa création, Solon a accompagné environ 300 projets du genre, selon Delphine Chalon, responsable des communications de l’OBNL. Certains n’ont duré qu’un temps, d’autres se sont pérennisés. Parmi ces derniers, l’un des plus marquants est sans conteste la Coop Celsius.

Dans une ruelle de La Petite-Patrie, un groupe de voisin·e·s a décidé de regarder sous ses pieds pour trouver une nouvelle source de climatisation et de chauffage. En effet, à une cinquantaine de mètres sous la terre, la température se maintient entre huit et dix degrés Celsius. Solon a encadré le projet de 2015 à 2019; une coopérative en a résulté en 2019, et en 2021, un puits a été creusé afin de réguler la température de sept habitations.

LocoMotion est un autre exemple d’une réussite de Solon. En plus des vélos cargo, dont la réparation occupe les bénévoles de l’atelier, l’organisme offre une plateforme d’autopartage sur laquelle des propriétaires de voiture peuvent prêter leur bolide à leurs voisin·e·s. LocoMotion compte 3 000 membres et est présent dans une dizaine de quartiers de Montréal.

Parmi les autres projets qui représentent bien Solon, on pourrait aussi nommer le Défi vélo d’hiver, un programme de subventions pour les personnes qui veulent équiper leur bicyclette pour affronter la neige et la glace; l’Oasis Bellechasse, qui a permis la revitalisation de la place Hector-Prud’homme, dans La Petite-Patrie; et la Station Youville, une place publique estivale dans Ahuntsic.

«Face à l’effondrement climatique actuel, il faut réagir par des actions concrètes qui permettent à la fois la construction de liens sociaux et un changement d’habitudes de consommation, de déplacement, de lieux de production, déclare Delphine Chalon. Nous, on s’inscrit fondamentalement dans cette logique-là.»

Rien ne se fait sans argent, alors une partie du travail de l’organisme est d’aider les groupes citoyens à chercher des leviers financiers et des subventions. L’expérience de Solon est aussi utile pour le réseautage, «pour entrer en contact avec les élu·e·s, l’arrondissement, les institutions, les organismes communautaires et les villes qui pourront aider à concrétiser des projets», explique Daphné Le Templier.

Les représentantes de Solon ont envie de voir ce genre d’initiatives essaimer dans des secteurs plus excentrés de l’ile et dans les couronnes de Montréal. Tous ces endroits bénéficieraient de la multiplication des tiers-lieux et de l’amélioration de la mobilité sur leur territoire, croit Delphine Chalon.

Encore faut-il garder en tête que toutes les communautés ne font pas face aux mêmes enjeux et défis; ce qui préoccupe les usager·ère·s des deux Espaces des possibles n’est peut-être qu’une lointaine pensée pour la population d’autres coins de la métropole.

«Comment on fait pour intégrer des gens qui n’ont pas le même bagage que nous, qui n’ont pas le même capital social, culturel, économique, dans nos projets? [Comment] on les fait participer à la transition socioécologique?», se demande à voix haute Delphine Chalon. «C’est un long travail, ça ne se solutionne pas en un claquement de doigts, mais on a vraiment une posture d’écoute et de remise en question.» •


Julien Lamoureux est journaliste depuis 2014. Après quelques années à travailler à l’écrit et à la radio, il découvre la portée que peuvent avoir les reportages vidéo pendant son passage à Rad, le laboratoire de journalisme de Radio-Canada. Il n’a toutefois pas délaissé les textes: on a récemment pu lire ses articles dans les pages d’Urbania et de The Rover. Il collabore aussi, depuis 2023, avec Unpointcinq.

D’autres initiatives locales pour la transition


  • Photo: Bureau de protection de l’environnement de Kahnawà:ke

D’autres initiatives locales pour la transition

En 1987, un groupe de femmes de Kahnawà:ke a barré le chemin à des camions qui venaient déverser des déchets sur le territoire de la communauté autochtone, une pratique qui avait cours depuis longtemps. C’est l’impulsion qui a mené à la création du Bureau, la division du Conseil mohawk de la communauté sise sur la rive sud de Montréal qui travaille à la protection et à l’amélioration du territoire. L’enjeu des décharges est d’ailleurs encore à ce jour un des combats de l’organisation, qui mène aussi des projets de restauration écologique. Elle est par exemple engagée dans la revitalisation de l’ile Tekakwitha, créée il y a sept décennies pendant la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent, et dont le sol constitué de l’argile excavée pour les travaux a longtemps empêché l’établissement d’une biodiversité riche.

Le projet Rescapés

Les tartinades, sauces et marmelades des Rescapés sont faites, comme leur nom l’indique, de fruits et d’autres aliments qui seraient autrement passés des étalages d’épiceries à la poubelle. Depuis son lancement en 2019, l’initiative de Guillaume Cantin, gagnant de la première saison de l’émission Les chefs!, aurait permis de transformer plus de 34 000 kilos de fruits, selon le site web de La Transformerie, l’organisme antigaspillage qui chapeaute le projet. Si une partie des invendus récupérés par l’équipe de La Transformerie est utilisée dans les Rescapés, la majorité est redistribuée à des groupes qui combattent l’insécurité alimentaire. Ce sont plus de 88 400 kilos de denrées que l’organisme a remis au Centre de ressources et d’action communautaire de La Petite-Patrie et à La Maisonnette des parents depuis mai 2019.

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