Canada

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Correspondances

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Quatre correspondants canadiens au Canada, nous donnent des nouvelles de leur coin du pays.

Coordination: Clément Sabourin

Vancouver, Colombie-Britannique

Où est passée l’enfant rebelle?

Kitsilano, quintessence vancouvéroise. Ses plages, sa douceur de vivre, ses cafés branchés, ses jeunes barbus aux jeans retroussés. On y déguste des jus multicolores et du kale sous toutes ses formes, en encourageant les producteurs locaux et l’agriculture durable. Et on passe négligemment devant cette petite vitrine au coin des rues Cypress et West Broadway. Là où est né Greenpeace, un jour de 1971, dans une arrière-boutique, sous l’impulsion d’une poignée de guerriers écolos d’un nouveau genre. Ce sont eux qui, en voguant sur un vieux rafiot au large de l’Alaska pour tenter de faire arrêter des essais nucléaires, ont inspiré les luttes environnementales coups-de-poing, l'écologisme moderne. À cette époque, Vancouver était rebelle et hippie, cool et engagée.

Qu’en reste-t-il? Plus grand-chose, derrière les apparences. Il y a toujours cet amour indéfectible de la nature, ces montagnes majestueuses qui se jettent dans le Pacifique, ces forêts millénaires qui font croire aux fées. Un amour aussi pour la cause verte. Un peu plus fragile celui-là, car on veut bien recycler, mais on peine encore à troquer son 4x4 polluant contre une voiture électrique. Vancouver demeure l’une des championnes nord-américaines des embouteillages.

Difficile aussi d’y bâtir une culture du vélo. Il aura fallu plus de huit ans de discussions pour avoir un service de vélos partagés et on est encore loin de Copenhague, où 40% des résidents pédalent pour se rendre au travail. Ici, des années de mobilisation au niveau municipal ont été nécessaires pour atteindre péniblement 10%.

Les ambitions écologiques de Vancouver sont souvent contrariées. La ville est censée devenir la plus verte au monde d’ici 2020, pari plutôt utopique lancé par son maire Gregor Robertson. S’il y a peu de chances de voir Vancouver doubler San Francisco ou Copenhague, Robertson a au moins le mérite de raviver la flamme verte des Vancouvérois. Une tâche rendue particulièrement ardue par le gouvernement provincial, qui préfère les pipelines et surtout le gaz naturel liquéfié. Pour répondre aux cibles environnementales fixées par Ottawa dans le cadre de la cop21, il faudra repasser...

Fougueuse adolescente en pleine croissance, Vancouver court tous les lièvres à la fois; elle se voit en mini-Hollywood, en hub pour les nouvelles technologies ou encore en foodie du Canada. Quitte à perdre son âme d’enfant rebelle.

Greenpeace aussi a grandi vite. Il a connu des crises internes et s’est éloigné de son esprit original. Mais les bonnes intentions et les combats continuent, tout comme à Vancouver. Était-ce mieux avant? C’était en tout cas différent.


Anne-Diandra Louarn • Journaliste française installée à Vancouver, elle collabore principalement avec Radio-Canada et plusieurs magazines français.

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Ikaluktutiak, Nunavut

Une épave indomptable

C’est un matin ensoleillé à Ikaluktutiak, -petit village du Nunavut, dans l’archipel arctique -canadien. Curieuse de voir les dernières avancées d’un groupe de chercheurs norvégiens, je saute sur mon quatre-roues pour affronter la route cahoteuse qui mène à leur repaire.

Je suis à peine arrivée qu’on m’offre du thé, des biscuits secs, et une place de choix sur un vieux divan posé à même la toundra, avec vue imprenable sur la baie. Bjørn, ce loup marin à barbe blanche et bonnet rouge que les enfants du village appellent Santa Claus, me montre d’énormes bouées dégonflées, étalées sur le sol.

Son équipe plonge dans les eaux glaciales de l’Arctique jour après jour, depuis 2011, pour -extraire des abysses l’épave du Maud, une goélette norvégienne historique. Le plan? Répartir des bouées autour des vestiges du navire submergé, les gonfler pour remonter doucement le Maud à la surface et, finalement, le hisser sur une barge. Il devra ensuite voyager jusqu’en Norvège (un trajet de 7 000 km à travers les océans Arctique et Atlantique), tiré par le Tandberg Polar, ce remorqueur à quai qui sert depuis quelques années de logement aux chercheurs. Chaque jour amène son lot de défis logistiques, et le projet, censé être terminé depuis 2013, s’étire d’année en année: le Maud refuse de bouger.

Construit à Asker, en Norvège, le Maud repose depuis plus de 85 ans au fond de cette baie du Nunavut. En 1918, quand il a pris la mer pour la première fois, le navire avait à son bord le célèbre explorateur Roald Amundsen, qui souhaitait se rendre au pôle Nord par le passage du Nord-Est. Il n’a malheureusement jamais atteint son objectif, mais sa mission a permis d’amasser une quantité phénoménale de données scientifiques sur l’Arctique. Le Maud a fini sa course en Alaska, où il a été racheté par la Compagnie de la Baie d’Hudson, en 1925, pour étoffer sa flotte de commerce. Amarré à Ikaluktutiak, il a finalement coulé en 1930, faute d’entretien. Le Maud est alors tombé aux oubliettes, et les droits de propriété de l’épave ont finalement été cédés en 1990 à la ville -d’Asker, une commune au sud-ouest d’Olso, pour la modique somme d’un dollar.

Depuis quelques années, la Norvège entretient le rêve de ramener ce trésor national à Asker afin d’ouvrir un musée. La compagnie Tandberg Eiendom s’est engagée à financer le fastidieux travail de rapatriement de l’épave, un projet -appelé Maud Returns Home. La mission est herculéenne, mais l’espoir de voir le Maud atteindre la Norvège est toujours bien vivant. L’équipe norvégienne est d’une persévérance redoutable.


Marianne Falardeau • Biologiste marine spécialiste des milieux polaires, cette doctorante à l’Université McGill étudie les impacts des changements climatiques sur l’écosystème marin et les communautés inuites de l’Arctique canadien.


Gimli, Manitoba

Les Vikings, grandeur nature

Sur les rives somnolentes du lac Winnipeg hiberne un petit village: Gimli. Établi à côté d’une des rares collines du Manitoba, ce bourg d’environ 2 000 habitants est fier de son passé scandinave.

L’immigration islandaise y a bondi après la décision du gouvernement canadien, en 1875, d’allouer aux nouveaux arrivants des terres en bordure du lac. Sur les presque 100 000 descendants de ces téméraires Islandais au Canada, environ 30 000 vivent encore au Manitoba. Et à en croire Kathi Thorarinson Neal, Gimli compte «la plus importante population de descendants directs d’Islandais au monde», en dehors de l’Islande, bien sûr. Kathi est membre du conseil d’administration d’un improbable festival qui attire chaque été entre 50 000 et 70 000 visiteurs. Pour quelques jours, épées en mains, casques sur le crâne et boucliers brandis, les Vikings s’emparent de la colline. Entièrement gratuit, l’Islendingadagurinn en est cette année à sa 127e édition, ce qui en ferait le plus ancien festival ethnique d’Amérique du Nord.

Le fracas des lames et les cris des guerriers contrastent avec le tranquille clapotis du lac Winnipeg, à quelques dizaines de mètres du champ de bataille. Ici, on ne badine pas avec les reconstitutions historiques: «Les figurants doivent suivre un entrainement, on combine éducation et divertissement», explique Warren Cummins, président de la Vikings Vinland Society.

Le combat terminé, le son d’une corne résonne dans le ciel ensoleillé des plaines canadiennes. C’est le signal de l’ouverture du village viking recréé pour l’occasion. On estime entre 700 et 1000 le nombre de visiteurs qui y passent chaque heure. Là encore, le but est d’informer afin de «dissiper les mythes et mystères qui entourent la culture viking», affirme Warren Cummins. Et de transmettre l’héritage culturel aux Manitobains. Tout ça sous l’œil vigilant d’un immense guerrier en pierre, planté à l’entrée du village.


Thibault Jourdan • Journaliste installé au Manitoba depuis plus de deux ans, Thibault Jourdan a vécu auparavant à Toronto. Il a collaboré avec plusieurs médias nationaux et internationaux.


Montréal, Québec

La maison aux 1000 souvenirs

C’était une maison en rangée avec une façade de pierre, sur l’avenue Arlington. Il fallait frapper fort avec le heurtoir pour annoncer son arrivée. Derrière la porte d’entrée rouge, le sourire de mon grand-père apparaissait.

Lloyd Hobden était son vrai nom, mais nous, nous l’appelions Dada. Il nous invitait chaleureusement à entrer dans sa cave aux trésors, des souvenirs détaillés précieusement conservés dans son impressionnante mémoire, matérialisés par toutes sortes d’objets qui semblaient avoir leur vie propre. Un lustre de cristal de Bohême—cadeau de ses amis tchèques pour son implication lors de l’Expo 67—illuminait le salon et se reflétait dans le miroir doré au--dessus du foyer. Les murs étaient ornés de tableaux de mes arrière-grands-parents et de leurs amis peintres à l’époque de l’Arche, vestiges des premiers ateliers d’artistes à Montréal. «Chaque chose a son histoire», répétait-il. Des piles de livres jonchaient le sol: les nombreux carnets d’écriture de ma grand mère, dont il vantait toujours le talent, 20 ans après son décès. Son uniforme militaire avec kilt et médailles était suspendu à la porte de la cuisine, le chapeau de son ami mort au combat conservé précieusement dans une boite.

Le mythique bistrot Polidor et ses soirées arrosées dans le Paris d’après-guerre servait de décor à de nombreuses anecdotes: un soir qu’il était attablé, vêtu de son uniforme du Canadian Scottish Regiment, des curieuses lui avaient demandé si les hommes ne portaient véritablement rien en dessous du kilt. «Je me suis alors retourné pour montrer mon derrière au mur, mais j’avais oublié que des miroirs tapissaient tout le restaurant.» Il se remémorait avec enchantement les folles années de sa jeunesse, et je devinais dans son rire et ses yeux bleus brillants qu’il les revivait un peu en même temps.

Globetrotteur infatigable, Lloyd Hobden a parcouru le monde comme journaliste puis publicitaire jusqu’à l’âge de 90 ans. Dans les dernières années, sa santé et sa mémoire se sont détériorées. De ses 1 001 histoires ne restait plus grand-chose, sinon son éternel sourire et son regard étincellant. Il nous a quittés en décembre dernier, sa maison a été vendue, ses 1 000 trésors dispersés.


Raphaëlle Corbeil • Formée en journalisme et en études internationales, elle partage aujourd’hui son temps entre l’écriture (Ricochet, La Gazette des femmes, Relations, Le Devoir) et ses études supérieures en sociologie.

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