Ce qui nous lie

Diane Bérard
À l’arrière-plan: l’entrepôt du 1, avenue Van Horne, à Montréal.
À l’arrière-plan: l’entrepôt du 1, avenue Van Horne, à Montréal.
Photo: Adil Boukind
Publié le :
Reportage

Ce qui nous lie

Le ministère de la Culture et des Communications a ajouté un critère à la grille d’évaluation du patrimoine bâti: la valeur sociale. Mais comment mesurer quelque chose d’aussi subjectif que l’attachement aux lieux qui font nos quartiers?

Considéré dans ce texte

Le grand et le petit patrimoine. Les motels du boulevard Taschereau. Le droit d’accès aux couchers de soleil. Le besoin de manifester. La pertinence des bungalows à l’ère de la densification.

Côte-des-Neiges, Notre-Dame-de-Grâce, Outremont, j’ai habité plusieurs quartiers de Montréal depuis mon départ d’Ahuntsic. Chaque fois, j’ai adopté des points de repère. Ces marqueurs me disaient «ici, c’est chez toi». Le magasin R.E.A.L Bagel, sur le chemin Queen-Mary dans l’arrondissement Côte-des-Neiges, fait partie de ces lieux signifiants. Des baguels, on n’en vendait pas dans l’Ahuntsic de mon enfance. R.E.A.L Bagel incarne mon entrée dans la vie adulte et toutes ses premières fois: premier appartement, début de la vie de couple et première job.

Chaque fois que je monte à bord de l’autobus 51 Édouard-Montpetit, qui parcourt le chemin Queen-Mary, je vérifie si R.E.A.L Bagel est toujours ouvert. En 2012, quand j’ai accompagné ma mère en fin de vie, cette fabrique de baguels m’a apporté un réconfort inattendu. J’avais quitté le quartier depuis plusieurs années, mais l’hospitalisation de maman, à l’Institut universitaire de gériatrie, m’y a ramenée. Après chaque visite, j’ai pris l’habitude d’attendre le 51 devant R.E.A.L Bagel, au lieu de m’installer à l’arrêt de l’Institut. En attendant le bus, je repensais aux vendredis soirs à danser au Café Campus et aux baguels du samedi matin. Ça me permettait d’oublier, le temps du trajet d’autobus, que ma mère vivait ses dernières semaines.

Depuis que je vis à Outremont, je me suis ancrée dans une communauté où j’ai adopté un autre repère. Il fait sept étages et il ressemble à un paquebot. Construit en 1924 par le marchand de farine et de grains Wilfrid Duquette, le 1, avenue Van Horne marque chacune de mes sorties du quartier. Et il salue mes retours.

Les citoyen·ne·s de trois arrondissements comptent tout comme moi ce gigantesque entrepôt dans leur patrimoine personnel: Le Plateau-Mont-Royal, Rosemont–La Petite-Patrie et Outremont. Ce lien explique la mobilisation qui entoure le 1, avenue Van Horne depuis que son nouveau propriétaire, la société immobilière Rester Management, ambitionne de le transformer en hôtel de luxe. La ferveur citoyenne a forcé la Ville de Montréal à renvoyer le promoteur à sa table à dessin, pour proposer un projet plus en phase avec l’éthos du quartier. «L’usage que souhaite en faire le nouveau propriétaire ne cadre pas avec l’esprit du quartier», résume Claudine Shirardin, membre du Comité des citoyens du Mile End.

Notre paquebot immobile a même inspiré un bijou. La joaillère Sarah Simard l’a immortalisé sur un pendentif. «Ce bijou est intimement lié à mon attachement et à l’émotion que je ressens par rapport au quartier, dit-elle. Cet entrepôt, avec son château d’eau sur le toit, fait partie de mes éléments visuels emblématiques depuis l’adolescence.» Plusieurs illustrateur·trice·s ont aussi immortalisé le 1, avenue Van Horne, dont Jeraume et Julien Castanié, qui l’a d’ailleurs inscrit dans sa collection de sérigraphies Les montréalaises, qui célèbre l’architecture des quartiers de la métropole.


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