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Il a été long et sinueux, le chemin qui a mené les femmes à disposer du libre-choix quant à la poursuite ou non de leur grossesse. Récit d’un chapitre déterminant de cette victoire jamais complètement acquise: le cas Chantale Daigle.
Les combats menés par les féministes québécoises remontent aux premiers temps de la colonie, alors que les «Canayennes» descendaient par centaines dans les rues pour revendiquer la baisse du prix du sel et du pain, s’opposer aux corvées imposées par les seigneurs ou encore protester contre la conscription de leurs fils et de leur mari. Dans l’histoire moderne, elles ont participé aux grands mouvements qui ont secoué la Belle Province. Droit de vote, égalité juridique, contraception, luttes ouvrières: les féministes québécoises ont provoqué de nombreux changements, ont conquis de nombreux droits et ont détruit de nombreuses chapelles.
Les avancées demeurent cependant fragiles, et l’histoire du droit à l’avortement en témoigne. Autorisé par la loi en 1969, celui-ci est d’abord fortement encadré : seul un comité de médecins peut alors le permettre, dans le cas précis où la santé de la femme est en danger. Une petite victoire, donc, qui ne sonne pas la fin du combat. Le mouvement féministe de l’époque, en pleine ébullition, réclame l’avortement «libre et gratuit». D’un bout à l’autre du Canada, les militantes se mobilisent : manifestations, occupations, désobéissance civile, pétitions, discours... En 1970, une caravane féministe se transporte de Vancouver à Ottawa pour faire entendre ses revendications. La même année, à Montréal, plusieurs milliers de femmes manifestent pour le «libre-choix».
Les choses évoluent plus vite au Québec que dans le reste du Canada. Dès 1976, l’accord d’un comité de médecins n’est plus nécessaire et l’avortement est légalisé. Au Canada, c’est plutôt en 1988, quand la Cour suprême décriminalise finalement la pratique, que les femmes peuvent crier victoire.
Les célébrations sont toutefois de courte durée, le droit à l’avortement étant de nouveau mis en cause l’année suivante. Un certain Jean-Guy Tremblay obtient alors une injonction de la Cour supérieure du Québec interdisant à son ancienne conjointe, Chantale Daigle, de se faire avorter. Le jugement évoque le «droit apparent du requérant et [le] préjudice sérieux et irréparable» qui pourrait être causé... au père. Les diverses organisations féministes crient au scandale. La campagne doit reprendre ! Tremblay, pour sa part, savoure sa victoire : «Je ne vois pas pourquoi on tuerait ce bébé. Si Chantale n’en voulait pas, elle n’avait qu’à me le dire avant la conception. Maintenant, j’ai mon mot à dire. Si elle décide de ne pas le garder, je vais le prendre. C’est mon enfant.»
L’injonction est reconduite à deux reprises par les tribunaux québécois, ce qui attise la colère du mouvement féministe, désormais tout entier mobilisé contre cet outrage. S’enchainent alors pétitions, manifestes, lettres ouvertes, manifestations, spectacles-bénéfices, vigiles devant le palais de justice. À Montréal, la Coalition québécoise pour le droit à l’avortement libre et gratuit rallie des centaines de personnes à la cause. Fin juillet 1989, ce sont plus de 10 000 manifestantes qui prennent la rue en soutien à Chantale Daigle.
«Je vais élever cet enfant, et je vais l’élever avec elle, avec ma femme», continue obstinément d’affirmer Jean-Guy Tremblay. Celui-ci est appuyé par l’organisation pro-vie, qui multiplie les interventions médiatiques et les rassemblements en faveur du droit du foetus. Les militants antiavortement iront même jusqu’à mobiliser des proches de Chantale Daigle afin qu’ils lui lancent des appels publics à « garder le bébé».
Le 31 juillet 1989, Chantale Daigle va se faire avorter aux États-Unis malgré l’injonction, qui sera suspendue une semaine plus tard par la Cour suprême du Canada. Le jugement stipule que le foetus ne possède pas les droits légaux d’une personne. Puisque la cour donne raison à son ancienne conjointe, il est impossible pour Tremblay de la poursuivre pour outrage au tribunal. Quelques années plus tard, il fera de nouveau la manchette pour violence conjugale, et ce, à plusieurs reprises.
La victoire de Chantale Daigle reste extrêmement précaire. La droite morale ne baisse pas la garde et tente par tous les moyens de (re)criminaliser l’avortement. Depuis l’arrivée des conservateurs à Ottawa, on a essayé à au moins quatre reprises de limiter ce droit des femmes de gouverner leur propre corps. Jusqu’à maintenant, toutes ces tentatives ont été vaincues, mais le débat ne sera décidément jamais clos.
Historien des mouvements sociaux, enseignant, blogueur à Voir.ca et à Urbania et collaborateur au journal Le Couac, Marc-André Cyr s’intéresse plus particulièrement à l’histoire de la révolte au Québec.
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