Des voix s’élèvent contre la transphobie
Plusieurs militant·e·s observent actuellement un recul des droits des personnes LGBTQ+ en France. Adèle Surprenant est allée à leur rencontre.
Chaque numéro, huit correspondants—quatre au Canada, quatre ailleurs sur la planète—nous donnent des nouvelles de leur coin du monde.
San Francisco, États-Unis
À l’ouest, quoi de nouveau?
San Francisco attire depuis longtemps ceux qui veulent fuir et subvertir la culture dominante, ou se transformer au contact d’autres freaks. On joue fort, on travaille fort. On travaille fort sur soi. Dramathérapie, respiration holotropique, danse extatique, Nerd Nite, bals costumés, raves, conférences scientifiques, festivals de rue—bondage ou superhéros—, tatouages, piercings, bouffe vegan/bio/sans gluten, art public, jam bands, pot, poudre, pilules, esprits pionniers, corps qui se réinventent, convergence spirituelle entre passé et présent, occident et orient: on a littéralement, et à toute heure, l’embarras du choix. La nuit, dans le brouillard, on peut encore se croire dans un film de zombies. Entre le magasin phare de Gap et la place des Nations Unies, des sans-abris poussent leurs charriots remplis de trésors.
Depuis peu, cependant, on se rue à SF le regard fixé sur l’écran du téléphone intelligent, pour transformer ses idées en capital doré. Les grues dominent le centre-ville, invasion de bibittes métalliques qui tissent de hauts nids vitrés pour les techies de Silicon Valley. Le débarquement massif de ces travailleurs de la nouvelle économie, depuis quelques années, entraine l’exil progressif des artistes et autres excentriques venus ici pour vivre leur sexualité, leur politique ou leur révolte et rêver d’un monde plus humain. C’est avec une tristesse et une impuissance croissantes que ceux-ci voient leur terrain de jeu disparaitre à mesure que s’établit l’uniformité hipster et que de chics tramways vintage parcourent Market Street. Dans le quartier SoMa, les bâtisses industrielles et les ateliers d’artistes côtoient les clubs goth, un parc à camions-restaurants, des dispensaires de mari-juana médicinale, des brasseries artisanales. Pour s’y rendre, on passe sous le nid de l’oiseau bleu de Twitter.
En descendant les rues Mission ou Valencia, on arrive au cœur de la ville et du débat qui la secoue. Piñatas, cinémas désaffectés et taquerias sur l’une; design, restos yuppies et mode vintage sur l’autre. Façades victoriennes peintes avec un gout inégal, fresques politiques dans les ruelles, boulangeries mexicaines, galeries et bouquinistes composent l’environnement immédiat de l’appartement sans chauffage que je loue avec quatre autres personnes (payant chacune un loyer équivalant à celui d’un 6 ½ montréalais). Au nord du quartier Mission trônent les Armory Studios—château mauresque de la sexualité non conventionnelle—, et au sud, les crânes en sucre du Dia de los muertos. Entre le sexe tout-sauf-vanille et la mort à saveur latine règnent les évictions de locataires et le café équitable-torréfié-sur-place.
Marie Markovic · Artiste pluridisciplinaire, elle a quitté Montréal en juillet 2013 pour explorer San Francisco avec ses chats sans poils.
Rio de Janeiro, Brésil
À l’ombre de la Coupe
8h15. Je franchis rapidement les cinq coins de rue qui séparent ma résidence de la garderie de ma fille. Je dois arriver impérativement avant la fermeture des portes, à 8h30. Yanis fréquente depuis deux ans cette institution municipale gratuite. Une véritable chance: elle a été pigée au sort, contrairement à ces 20 000 enfants dans le besoin dont les mères doivent rester à la maison—une place dans le privé coute au moins un salaire minimum, soit 790 réals (355$) par mois, quand ce n’est pas 1 000 ou 2 000 réals.
8h35. Je saute dans le bus. Mon lieu de travail n’est lui aussi qu’à cinq ou six pâtés de maisons, mais il vaut mieux ne pas traverser à pied les arches de Lapa, surtout quand on est blonde aux yeux bleus. Je suis censée pointer avant 9h. Depuis que les travaux ont commencé pour la Coupe du monde, il y a environ quatre ans, c’est mission impossible: les embouteillages sont constants. Une chance que je travaille pour une ong, le Groupe culturel AfroReggae (gcar), et pas pour une grande -entreprise -établie au centre-ville. Le gcar a pour mandat de contrer la hausse de la criminalité dans les favélas par des activités socioculturelles et éducatives. Quand il est né, en 1993, il y avait très peu d’ong au Brésil, et le pays -vivait -encore dans une situation extrême de pauvreté et de violence—1993 a même été une année sanglante pour Rio de Janeiro, alors que la ville a connu plusieurs massacres perpétrés par la -police militaire.
11h. Je retrouve Shannon, une étudiante de l’Oregon venue étudier le rôle de l’art chez les jeunes filles de Vigário Geral, cette favéla au nord de la ville. Vigário Geral n’est pas située dans une zone où les touristes sont amenés à passer. Elle ne fait donc pas partie des favélas concernées par la «pacification». Mais si elle est toujours contrôlée par un cartel de la drogue, elle possède un des plus beaux centres culturels de la ville: quatre étages de studios de danse, de locaux de répétition et de salles d’enregistrement parmi les plus sophistiquées au pays. Le tout gratuit et ouvert à tous. Comme le Brésil n’impose que quatre heures d’école quotidiennement et que les parents doivent parfois s’absenter jusqu’à 15 heures par jour, il est crucial de tenir les jeunes loin de la rue grâce à des cours de danse, de théâtre, de percussions ou d’informatique. Bien sûr, il y a toujours une grand--maman, une tante ou une voisine qui veille, mais les longs après-midis passés à flâner après l’école sont propices aux activités illicites.
Midi. Nous rejoignons les membres du groupe de rock Parvati—essentiellement des filles—, une des dix formations musicales nées de l’implantation du centre culturel.
15h. Shannon a fini ses entrevues, nous repartons en autobus, ce que je ne fais plus depuis des années, car les risques de se faire voler sont particulièrement élevés. Mais là, pas le choix: le téléphone de la garderie est défectueux, je ne peux me permettre d’arriver en retard. Après trente minutes d’attente et deux correspondances, je serre finalement ma petite dans mes bras. Demain, j’irai la chercher plus tôt et nous irons à la plage.
Ève D’Amours Bélanger · Originaire de Montréal, elle coordonne depuis bientôt dix ans les relations internationales de l’ong Groupe culturel AfroReggae, à Rio de Janeiro.
Dédougou, Burkina Faso
La démocratie au pays des lions
Vu du Canada, il est difficile de comprendre qu’un chef arrivé au pouvoir par un coup d’État ait pu se maintenir à la tête d’un pays pendant plus de 25 ans, muselant au passage la liberté d’expression et contrôlant les principaux leviers économiques. C’est comme si notre grille de lecture ne fonctionnait pas. La mienne a changé quand je suis arrivé au Burkina Faso, ce petit État enclavé d’Afrique de l’Ouest, classé 181e pays sur 187 sur le plan du développement humain, selon l’onu.
Son président, Blaise Compaoré, est passé maitre dans l’art de modifier la constitution du pays peu avant la fin de ses mandats. Ce tour de passepasse, qui met à zéro le compteur des réélections autorisées, est si fréquent qu’il n’émeut plus personne en Afrique. Mais en octobre dernier, c’était peut-être la fois de trop : le Burkina Faso a été le théâtre d’un coup d’État civil mettant à la porte son président des 27 dernières années.
J’aime imaginer que la mobilisation a commencé dans un grin, ces réunions informelles où les classes sociales n’ont plus d’importance. Les grins se déroulent sous un arbre, entre hommes, de préférence près de la rue et de l’action. Entre les discussions passionnées et le rituel du thé règnent les traits d’humour et les silences — des pauses étrangement déstabilisantes pour un étranger comme moi, peu habitué aux répits sonores. C’est lors d’un de ces sommets de village qu’une partie du voile a commencé à se lever sur cette résilience stupéfiante des Burkinabés. Comment comprendre que ce silence, cette absence de manifestations, à l’exception de mouvements isolés et marginaux, ait duré 27 ans ? En guise de réponse, mon voisin a lancé dans un sourire : « Vaut mieux avoir un vieux lion rassasié au pouvoir qu’un jeune lion affamé. »
Reste qu’il m’a fallu plus qu’un proverbe pour comprendre l’attitude de ces hommes que je côtoie chaque jour. La réponse s’est finalement imposée après quelques semaines de travail à Dédougou, à quatre heures de route de Ouagadougou. J’aide là-bas une organisation paysanne à mener à bien son projet : outiller ses membres pour qu’ils puissent faire face individuellement et collectivement aux effets des changements climatiques. C’est là qu’à force de discussions et d’ajustements, j’ai compris que le fait de vivre en paix et de rester digne malgré la pauvreté comptait bien plus que tout le reste. Il faut parfois, sans se résigner, demander à nos principes d’être patients, et accepter de laisser du temps au temps —et le pouvoir aux vieux lions rassasiés, tant que le moment de les renverser n’est pas venu.
Hugo Beauregard-Langelier · Économiste agricole montréalais, il multiplie les missions à l’étranger, notamment au Congo, au Mali, en Haïti et, récemment, au Burkina Faso.
Bruxelles, Belgique
Coup de semence
Le 13 janvier dernier, quelques jours à peine après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, l’Europe pansait ses plaies. Les questions de la liberté d’expression et de l’ultrasécurisation monopolisaient l’opinion publique.
Mais au Parlement européen, c’était jour de vote. Avec une large majorité (480 voix contre 159), les députés ont voté en faveur d’un assouplissement des lois entourant la culture des organismes génétiquement modifiés (ogm). Sous le couvert de termes plutôt encourageants pour les écologistes — la directive amendée visait, à l’origine, à permettre à un pays de l’Union européenne de s’opposer aux cultures d’ogm sur son territoire —, le Parlement a plutôt discrètement choisi de délaisser son rôle de défenseur de l’intérêt général. Chaque État est désormais en mesure d’accepter ou non que des ogm poussent sur ses terres. Résultat : on a multiplié les preneurs de décision, mais comme ils ont tous peu de pouvoir, ils sont plus vulnérables devant les lobbys. En Belgique, par exemple, un pays dont le territoire est 54 fois plus petit que celui du Québec, ce sont même les régions qui seront responsables de décider de la nature de leurs cultures. On imagine mal une abeille freiner son vol à l’approche de la frontière qui, théoriquement et légalement, devrait séparer le champ flamand du champ wallon...
La devise belge ? « L’union fait la force. » La devise européenne ? « Unie dans la diversité. » Cependant, « Faisons doublement diversion » semble une devise plus appropriée quand, d’une part, une loi dont l’énoncé nous apparait apporter plus de liberté nous en prive dans les faits, et quand, d’autre part, cette tactique de désinformation profite d’une éclipse médiatique liée, précisément, à la liberté d’expression et d’information.
En tant qu’artiste, il m’arrive de divertir. Ce n’est pas mon but, mais c’est un dommage collatéral inévitable. Faire diversion, par contre, c’est un échec pour une démocratie.
L’avenir dira quels sont les effets à long terme des ogm. En attendant de constater tristement ce qu’on suppose déjà, tâchons de ne pas oublier comment s’est orchestré ce revirement historique sur le marché européen.
Florence Minder · Actrice et auteure suisse établie à Bruxelles, elle poursuit un travail d’écriture scénique servant à jeter les bases d’une interaction possible avec le public.
Plusieurs militant·e·s observent actuellement un recul des droits des personnes LGBTQ+ en France. Adèle Surprenant est allée à leur rencontre.
En reportage dans les Balkans, Pauline Gauer s’est arrêtée devant les vestiges des Jeux olympiques de 1984, reconquis depuis par la population locale.
Alexis Riopel accompagne des chercheur·euse·s sur les traces du déversement d’un porte-conteneur japonais au large de l’archipel.
Julien Lefort-Favreau mesure les conséquences du désinvestissement du gouvernement provincial sur le secteur de l’éducation supérieure.