Denis Côté: le cinéaste affranchi
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Engagement ne rime que très rarement avec vedettariat. Pour chaque militante invitée sur les plateaux de télévision, il y a une myriade de femmes, des bénévoles pour la plupart, qui tentent de changer le monde, sans pour autant chercher la reconnaissance des autres. Parmi elles, la mère et la grand-mère de l’autrice de notre Document 25.
L’engagement serait le fait de personnes nées avec une cause à défendre. Nimbées d’une aura d’héroïsme, elles feraient preuve d’une constance et d’une détermination inébranlables. Elles auraient passé leur vie à réfléchir et à débattre. Nous leur attribuons des connaissances poussées en politique, en histoire, en sociologie. Quand elles s’expriment sur la place publique, c’est limpide, c’est immense, si bien que nous nous sentons tout minuscules à côté. Dans le même temps, elles nous semblent excessives, voire ridicules; l’étiquette de militant·e est entourée, au Québec, d’une sorte de mépris diffus. Nous les regardons s’énerver, s’obstiner, poser des gestes d’éclat, et nous haussons les épaules. Ces enfants gâtés, surmédiatisés et surdoués sont obsédés par des sujets dont les gens sérieux n’ont pas le loisir de se préoccuper, pensons-nous.
Ce portrait est bien sûr caricatural. Il omet, d’une part, que si elles sont en effet souvent peu enclines à adhérer aux conventions et qu’elles montrent une colère et une ténacité auxquelles nous ne sommes pas habitué·e·s, les personnes engagées n’en sont pas moins des êtres pleins de failles et de doutes. Il omet aussi, d’autre part, le fait que leur côté excessif découle peut-être, plus que tout, d’un empressement à faire résonner des préoccupations et des idées que nous refusons collectivement d’entendre.
Comme société, nous avons beaucoup plus d’admiration pour les leaders (souvent masculins) que pour ceux et celles qui, par leur dévouement, rendent possible la réalisation de grands changements et le cheminement de grandes idées. Nous négligeons l’aspect foncièrement collectif de la plupart des luttes. Nous faisons fi de tous ces gens qui font avancer subrepticement les choses en donnant de leur temps à ceux et celles qui en ont besoin; en faisant circuler tracts, documents et pétitions; en organisant manifestations et mobilisations; en créant des réseaux d’entraide et de partage. Nous oublions que l’engagement a souvent un côté très ordinaire. S’il a des effets palpables, il demeure largement ignoré par les médias et par l’Histoire et est la plupart du temps le résultat d’un hasard de parcours.
Les raisons qui poussent à s’engager ont en effet parfois davantage à voir avec les circonstances qu’avec la volonté, avec les aléas de la vie qu’avec de grands principes, avec un instinct de survie qu’avec de grands idéaux. Peut-être même que c’est ainsi que commence la plupart des engagements. Peut-être que la source de l’engagement est beaucoup plus prosaïque qu’il n’y parait.
Dans l’ombre des grandes figures de proue du militantisme, il y a une foule de nobodies œuvrant sur le terrain, des gens ordinaires pour qui prendre la parole dans l’espace public ne fait même pas partie du champ des possibles (tout le monde n’a pas accès à une tribune). Plus encore, pour cette majorité silencieuse, ce ne sont généralement pas les grands principes ni les grandes idées qui ont propulsé l’engagement, mais quelque chose de beaucoup plus terre à terre. L’élaboration d’une pensée sur son propre militantisme et la formulation des principes qui l’accompagnent découlent parfois de l’engagement bien davantage qu’elles ne le précèdent, ou le provoquent.
Dans l’ombre des grandes figures de proue du militantisme, il y a une foule de nobodies œuvrant sur le terrain, des gens ordinaires pour qui prendre la parole dans l’espace public ne fait même pas partie du champ des possibles.
Ce que j’appelle l’engagement ordinaire, au fond, est aussi probablement l’engagement majoritaire. Un élan venu un peu de nulle part, d’une conjoncture, d’un état d’esprit, de rencontres. Ou né (comme ce fut le cas pour ma grand-mère, pour ma mère, pour moi, et pour tant d’autres) en réponse à une épreuve apparemment insurmontable, à un passage à vide. Loin des feux de la rampe. Mais néanmoins valable. Fructueux. Indispensable.
Les figures de l’ombre du militantisme sont par ailleurs souvent des misfits—évocatrice expression anglaise dont il me semble que «mésadapté·e·s» ne traduit pas bien la charge rebelle—, des personnes qui étouffent dans le rôle périphérique auquel la société voudrait les cantonner. Pour elles, l’engagement est un moteur d’intégration, un moyen de se tailler une place à leur image lorsque celle à laquelle il est prévu qu’elles se tiennent sagement apparait trop étroite. En s’engageant, elles transforment leur sentiment d’exclusion et leur malêtre en outils. Par la force des choses, le regard décalé des misfits leur permet d’entrevoir les lieux par où le changement peut advenir, et de s’y faufiler, comme par effraction.
Mélikah Abdelmoumen est essayiste, romancière, chroniqueuse et rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises. Elle a été colauréate du prix Pierre-Vadeboncœur pour son essai Baldwin, Styron et moi.
Les engagements ordinaires est le 25e titre paru dans la collection Documents.
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