Enjeu de séduction

Étienne Mérineau
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Commentaire

Enjeu de séduction

Tinder est un immense Toys R Us pour célibataires, rempli de jouets esseulés à la recherche de semblables. Dans ce monde parallèle où tout est permis, les règles du jeu se sont transformées. Il n’y a plus d’inhibitions, ni d’éthique de la séduction. Profil d’une application qui suscite amour et haine.

Considéré dans ce texte

L’application Tinder. Nos écrans et nos timelines. L’instantanéité. Les boutons «J’aime». L’idéal amoureux du 21e siècle.

Les structures élémentaires de la société, le rapport au monde comme aux vivants sont bouleversés. Et c’est dans ce contexte que le «nouvel être humain» est né.

Michel Serres

We live in a generation of not being in love and not being together.

Drake

Tinder (pour ceux qui reviennent d’un périple de deux ans au Népal) est une application mobile de rencontres géolocalisées dont l’interface, joliment conçue, permet aux abonnés de magasiner les célibataires à proximité en fonction de leur apparence physique. Hot: balayez à droite. Not: balayez à gauche. Si votre évaluation est réciproque, vous obtenez un match et le droit d’engager la discussion.

En l’espace d’un peu moins de deux ans, l’application a révolutionné l’industrie de la séduction en ligne, réussissant là où les Réseau Contact de ce monde ont échoué: en transformant la séduction en jeu simple et amusant. Aujourd’hui, la majorité des célibataires occidentaux ayant entre 18 et 30 ans y sont abonnés. Dix millions de matches y sont formés quotidiennement. Et les chiffres continuent d’augmenter de façon exponentielle grâce au pouvoir du bouche à oreille.

Tinder est en train de créer un univers parallèle aux contours indéfinis où s’entrechoquent les mondes physique et virtuel, l’amour et le sexe, le réel et le jeu. C’est un nouvel écosystème de la séduction et, du même coup, un nouveau contrat social qui y prennent forme chaque jour, modelés et remodelés au rythme de nos relations éphémères.

En somme, l’application fait office de Far West affectif où le bonheur se mesure essentiellement au nombre de matches, de séances de sexting et de baises d’un soir.

La grande rupture

L’adoption massive de Tinder, en apparence anodine et sans conséquence, pourrait très bien révéler des changements sociaux profonds et ainsi ouvrir la porte à une nouvelle idéologie relationnelle du 21e siècle. En réduisant nos rapports affectifs au rang de simple jeu, nous redéfinissons, lentement mais surement, notre façon d’entrer en relation avec l’autre, et ce, tant sur le fond que sur la forme.

Plusieurs fois par jour, nous jouons le jeu. Nous magasinons avidement des visages, des poitrines et des abdominaux, tout en prenant un malin plaisir à évaluer avec intransigeance la marchandise du grand catalogue. Nous balayons à gauche, puis balayons à droite. Inconsciemment, nous balayons aussi du revers de la main les archétypes amoureux des générations antérieures. La monogamie, le mariage et la famille nucléaire semblent condamnés aux oubliettes.

À force de jouer impassiblement avec les uns et les autres (quoique volontaires et consentants), nous risquons de créer une plateforme de consommation rapide d’autrui; un marché de la chair dominé par des relations-transactions où chacun satisfait égoïstement ses propres besoins affectifs et sexuels.

Est-ce vraiment ce que nous désirons? Ce baume éphémère sur notre solitude chronique deviendra-t-il un jour toxique?

Il est trop tôt pour répondre à ces questions, mais il est permis de croire qu’une rupture idéologique profonde est déjà en marche et que Tinder n’est que la pointe de l’iceberg.

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Les forces au cœur du changement

1. L'obsession de l'instant

Nous vivons à une époque ponctuée de percées technologiques fascinantes. Inutile d’en débattre, l’avènement du téléphone intelligent et des réseaux sociaux nous a profondément transformés. En quelques années seulement, ils ont contribué à renforcer la suprématie du moment présent. Exclusif, insaisissable et en constante mutation, le «temps réel» éclipse désormais tout le reste (lire ici: le passé et l’avenir).

Grâce au web, l’entièreté des contenus visuels, informatifs et même pornographiques—est désormais accessible à tout moment. Mais pour filtrer, prioriser et discriminer tous ces téraoctets de données, il nous a fallu les organiser de manière à les rendre digestibles. Ainsi, les réseaux sociaux et les plateformes de blogging les ont placés sur une ligne du temps (timeline). Ce changement de design nous a fait basculer dans une nouvelle hiérarchie chronologique où le présent trône seul au sommet.

Ce culte de l’instantanéité n’est bien entendu pas uniquement attribuable aux nouvelles technologies. Celles-ci n’ont fait qu’amplifier des comportements déjà largement façonnés par notre société de consommation (où la nouveauté perpétuelle et l’accumulation obsessive des expériences importent par-dessus tout).

Mais l’impact de cette nouvelle gestion du temps sur l’ensemble de nos interactions avec l’information et avec les gens demeure indéniable. Prisonniers du moment présent, nous ne vivons plus qu’avec une perspective d’avenir limitée. Dans un tel état d’esprit, il nous est plus difficile que jamais de bâtir des relations durables.


Prisonniers du moment présent, nous ne vivons plus qu’avec une perspective d’avenir limitée. Dans un tel état d’esprit, il nous est plus difficile que jamais de bâtir des relations durables.

C’est ici que Tinder révèle toute sa magie. Le jeu ne nous impose pas la pression de construire quelque chose. Nous n’avons qu’à consommer. Et lorsque la partie est terminée, nous rentrons à la maison: seuls, la tête basse, les yeux rivés à l’écran, à la recherche de la prochaine étincelle, du prochain amant, bref, du prochain grand moment.

2. Les sans-repères

Notre quête incessante de l’inconnu, de la nouveauté et des possibilités dites infinies nous ramène malheureusement trop souvent à la case départ: un état affectif empreint de solitude et de confusion.

En discutant de l’impact des nouvelles technologies sur la société, le rédacteur en chef du magazine Acteurs de l’économie, Denis Lafay, remarquait: «Autrefois, l’humain vivait d’appartenances—religieuses, statutaires...—, dont le “nouvel humain” s’est affranchi. Il s’est délesté du poids identitaire de ces cloisonnements.»

Tinder

Application pour téléphone intelligent qui permet aux utilisateurs de faire des rencontres géolocalisées/En anglais, tinder signifie bois d’allumage/Plus de deux milliards de matches ont été générés sur Tinder depuis sa création, en 2012/L’entreprise compte aujourd’hui une quarantaine d’employés/On dit qu’elle aurait été très populaire auprès des athlètes olympiques lors des jeux de Sotchi.

En l’absence de repères, les milléniaux québécois se sentent déracinés, perdus et vulnérables dans leur recherche d’une identité nouvelle qui n’en est qu’à ses balbutiements. C’est que les babyboumeurs nous ont légué une société divorcée et en mal de vivre: un mélange de no man’s land affectif et de néolibéralisme total qui va jusqu’à estropier nos rapports amoureux. Dans ce vide social, nous sommes affranchis de tous les dogmes. En apparence, nous sommes libres de faire tout ce que nous voulons. Et pourtant, cette trop grande liberté morale nous paralyse. Jamais ne nous sommes-nous sentis si seuls. Une solitude que nos 603 amis Facebook, nos 225 abonnés Instagram et nos 16 matches Tinder peinent à étouffer. Cette double impression d’isolement et d’interconnexion demeurera probablement l’un des plus grands paradoxes des années 2010.

À ce titre, les données publiées par Statistique Canada en 2011 (un an avant le lancement de Tinder) confirmaient cette tendance de fond. Selon le recensement, moins d’un Montréalais sur deux (47,4%) vivait en couple et un sur cinq habitait seul. Au même moment, une étude de Léger Marketing (Découvrez le vrai visage du Québec, 2011) soutenait que près d’un quart des Québécois âgés de 18 à 29 ans souffraient de solitude—plus que n’importe quelle autre génération avant elle.

C’était donc une nouvelle génération d’âmes seules, désillusionnées du concept poussiéreux de «l’âme sœur», qui attendait l’arrivée de Tinder: le Saint-Graal du célibataire.

3. Les écrans protecteurs

Nos écrans sont nos nouveaux repères. Petits ou grands, tactiles ou statiques, privés ou publics, ils sont omniprésents dans nos vies. Le plus personnel d’entre eux demeure très certainement le téléphone intelligent. Son impact sur la société est déjà immense. En l’espace d’une décennie, il a déclassé le chien au titre de meilleur ami de l’homme. Tellement que c’est à se demander s’il n’est pas en train de devenir son seul véritable ami.

Notre écran chéri est multifonction. Il fait tout pour nous. Il est notre boussole, notre répertoire, notre filtre. Il est notre carnet d’adresses, notre bloc-notes, notre journal intime. Il est notre fureteur, notre récepteur, notre émetteur. Il est toutes ces choses à la fois et encore plus. Mais comme l’être humain qui l’a inventé, il est plein de paradoxes. Notre écran est à la fois connecteur et protecteur. Il possède cette étrange capacité de nous rapprocher des autres comme jamais, tout en maintenant une certaine distance, rassurante et enveloppante, entre nous.

C’est cette double impression de proximité et de distance qui rend Tinder si attirant. En utilisant les fonctions de géolocalisation de notre appareil, l’application nous présente les célibataires les plus proches de nous. Malgré la distance conceptuelle qui nous sépare d’eux (nous sommes étrangers les uns aux autres), nous ne sommes qu’à un balayage à droite de nous en rapprocher instantanément. Ou, inversement, nous ne sommes qu’à un balayage à gauche de quitter à jamais leur cercle des possibles.

4. Le règne des algorithmes

Grâce à l’écran, nous surfons sur une impression de contrôle total. Notre doigt semble dicter les règles du jeu et les probabilités. Mais est-ce notre doigt ou le hasard qui fait si bien les choses? Dans les faits, le hasard (le pur) est condamné à disparaitre au 21e siècle...

  • Illustration: Mélanie Ouellette

Il est désormais programmé. Les algorithmes décident de notre éventail de choix, les filtrent et les trient: les restos que nous fréquentons, les produits que nous achetons, les publicités que nous voyons, l’information que nous consommons et maintenant les célibataires que nous fréquentons. À coups de décisions binaires, les algorithmes nous fabriquent progressivement des cocons prémâchés, prévisibles et confortables. Chaque jour, nos décisions tactiles (nos «J’aime» ou nos balayages dans le cas de Tinder) informent les algorithmes et précisent les contours imaginaires de notre carré de sable. Ces choix (ou ces non-choix) ont une incidence sur le reste de notre expérience. En prenant comme prémisse qu’ils sont plus intelligents que nous et que, de facto, ils devraient pouvoir prédire avec exactitude nos envies et nos besoins futurs, nous avons donné aux algorithmes un contrôle quasi total du web et de notre expérience usager. Remarquez ici la nomenclature: «expérience usager» au lieu de «expérience humaine». En traitant «l’Autre» comme un simple usager (et non plus comme un humain capable de logique, d’émotions et de décision), nous faisons émerger une nouvelle gamme de relations à usage unique, jetables et irrécupérables, pré-sélectionnées pour nous par un algorithme.

Cachés derrière l’écran, grand protecteur de notre égo à la fois amplifié et fragilisé, nous contribuons à accentuer la déresponsabilisation progressive de notre condition affective. Nous extériorisons notre solitude, la mettons entre les mains des machines pour qu’elles nous offrent une solution instantanée, facile et efficace. À court terme, c’est réconfortant. Mais vous conviendrez qu’à long terme, c’est un pensez-y-bien.

5. Le triomphe de l’individualisme

Nous vivons dans une société davantage construite autour de l’individu que du collectif. Les réseaux sociaux n’ont fait qu’amplifier cette réalité. Avec eux est apparue une nouvelle génération polarisée qui, d’un côté, est plus mondialisée et concernée par les grands problèmes planétaires que jamais, mais qui, de l’autre, passe le plus clair de ses journées à manucurer sa présence en ligne, confirmant ainsi son indéniable narcissisme. Cette génération (la mienne) a appris à entrer en relation avec les autres par l’intermédiaire de ses écrans, à nourrir quantité de contacts au détriment de leur qualité et, ultimement, à utiliser les autres, leur jugement, pour se bâtir une identité socialement acceptable (virtuelle d’abord, mais aujourd’hui indissociable de son identité réelle). Tranquillement, nous avons adopté de nouvelles conventions pour encadrer nos interactions. «L’Autre» est devenu un miroir de notre propre valeur et un baromètre de notre potentiel amoureux plutôt qu’un véritable ami ou amant. L’ennui est que, dans un contexte de jeu virtuel, il peut difficilement devenir plus.


En l’espace de quelques années, nous sommes passés d’un amour qualitatif, exclusif et privé (love) à un poly-amour quantitatif et public (like). Notre affection, nous l’accordons désormais au plus offrant, sans promesse ni contrat, sans la moindre trace d’affects.

En nous livrant au jeu des premières impressions, nous avons contribué au triomphe du «Je-Me-Moi» sur le «Nous». Le célibat chronique, conséquence directe de notre individualisme, a longtemps été perçu comme négatif ou réducteur. Avec Tinder, nous avons maintenant la liberté de combler nos besoins affectifs facilement et rapidement, et ce, sans engagement. L’application nous offre un statut réconfortant dans cet espèce d’entredeux idéologique où nous ne sommes ni en couple, ni seuls. Célibataires, mais actifs, nous butinons sans attache. Nous sommes des individus libres. Nous (les «Je») pouvons naviguer de rencontre en rencontre sans engagement ni responsabilité, sans gêne ni culpabilité. Nous pouvons maintenant entrer en contact avec les autres selon nos propres termes et parvenir à toutes nos fins quelles qu’elles soient (besoin affectif, renforcement positif, aventure sexuelle, etc.).

C’est, selon toute vraisemblance, le nouveau contrat social qui nous unit, à défaut d’un choix plus poétique et idéaliste. Seulement, il semble que nous n’ayons tous lu, accepté et signé les mêmes clauses, d’où la confusion et le fossé entre les attentes des uns et des autres.

6. L’amour quantitatif

Avec de nouvelles technologies, de nouvelles valeurs et un nouvel espace-temps vient immanquablement un nouveau langage.

Nous avons donc répondu à cette demande en créant un petit bouton à l’apparence inoffensive, mais au pouvoir immense. «J’aime»: un pourvoyeur d’amour instantané. Magique. Inépuisable. À la portée de tous. Grâce à Facebook, puis maintenant à Tinder, il est désormais possible d’aimer à outrance et à l’infini. Mais à quel prix?

Rapidement, cette nouvelle façon d’aimer nous a transformés. En fait, non. Elle a simplement accéléré notre transformation. L’amour éphémère, l’individualisme consommé et le besoin croissant de nous connecter entre nous: tout ça s’est amplifié à la puissance dix. Si bien que nous aimons désormais à profusion, sans réserve ni distinction, mais aussi sans réelle définition. Une dérive du sens est en marche. Inconsciemment peut-être, mais inévitablement, nous diluons chaque jour un peu plus le sens de ce petit mot autrefois si porteur.

Cet amour mutant—diminué et travesti —inspire les nouvelles assises de nos relations. Avec les marques. Avec les vedettes. Avec nos pairs. Et finalement: avec nos prétendants. En l’espace de quelques années, nous sommes passés d’un amour qualitatif, exclusif et privé (love) à un polyamour quantitatif et public (like). Notre affection, nous l’accordons désormais au plus offrant, sans promesse ni contrat, sans la moindre trace d’affects, et ce, jusqu’à ce qu’une meilleure offre se présente. Sur ces nouvelles bases, «aimer» est réduit à une transaction, à un vulgaire bouton, à un simple balayage à droite.

Au nom de l’évolution, l’amour régresse. Les «J’aime» fusent de partout, pourtant les gens ne s’aiment plus. Ils ne s’aiment plus entre eux et ils ne s’aiment plus eux-mêmes.

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Le début d’une ère célibataire?

Bien entendu, comme pour toute chose, le vice est dans l’excès. Tinder n’a rien de foncièrement mauvais. À la base, l’application est même plutôt cool. C’est l’usage que nous en faisons qui peut être alarmant. Généralisé, celui-ci pourrait altérer de façon radicale la nature des relations humaines.

Déjà, nous pouvons observer une rupture progressive entre deux concepts autrefois intimement liés (du moins dans notre idéal commun): l’amour et le sexe. Dans un contexte de jeu, cette dissociation est amplifiée, car elle devient acceptable, voire attendue. Il en va de même pour la scission entre le monde virtuel et le monde physique (ou entre le jeu et la réalité). C’est une fois dans le monde réel, lorsque nous essayons de les fusionner à nouveau, que le bât blesse. Comme si cette rupture franche avec nos idéaux du passé, nous ne l’assumions pas encore pleinement. Rationnellement, l’idée nous séduit (comme en témoigne le succès retentissant de Tinder). Mais sur le plan émotif, nous nourrissons toujours certaines attentes. C’est plus fort que nous. Comme si l’idéal amoureux classique n’était pas encore tout à fait enterré. Il bat de l’aile, certes, mais il se débat tel un phénix qui jure de renaitre de ses cendres.


Que voulons-nous projeter? L’image d’une génération de zombies esseulés, désinvestis et égocentriques? Ou celle de nouveaux humains évolués sur le plan émotif, collectivement décidés à faire avancer la cause de l’humanité?

Cette intense dualité est annonciatrice de l’un des plus grands défis que nous aurons à relever dans les décennies à venir: celui d’arrimer nos cœurs avec nos nouvelles têtes. Elle impose aussi de profonds questionnements. Comme nous l’avons fait remarquer plus tôt, le phénomène Tinder n’a rien d’accidentel. Il s’enracine dans des métachangements bien réels. En cette ère de transition, c’est donc à nous d’effectuer les prises de conscience nécessaires et de choisir notre destinée. Que voulons-nous bâtir en tant que société? Quelles valeurs désirons-nous prioriser et défendre? Quel héritage rêvons-nous d’offrir à nos enfants et aux générations futures?

La réflexion ne s’applique pas qu’à Tinder, au célibat et à l’amour. Elle s’applique à l’ensemble de nos relations: amoureuses, amicales, familiales, professionnelles et citoyennes.

Que voulons-nous projeter? L’image d’une génération de zombies esseulés, -désinvestis et égocentriques? Ou celle de nouveaux humains évolués sur le plan émotif, collectivement décidés à faire avancer la cause de l’humanité? La question se pose et c’est à nous d’y répondre. Le relâchement des valeurs n’est peut-être pas entièrement notre faute, mais il est maintenant notre fardeau. Nous avons donc un rôle à jouer, et vite, sans quoi nous en deviendrons les victimes.

Certes, c’est un idéal amoureux abimé et essoufflé qui nous a été légué. Qu’enferons-nous maintenant? Porterons-nous la lame à sa jugulaire ou le réanimerons-nous? Il se peut fort bien que le 21e siècle consacre le triomphe de l’individualisme et l’élève au-dessus de tout. Si c’est le choix que nous faisons consciemment tous ensemble, soit. Mais encore faut-il faire ce choix et non le laisser nous choisir.

Toutes ces questions se résument en fait en une seule: quel sera l’idéal amoureux du 21e siècle?

C’est une question immense, angoissante et lourde de conséquences. La liberté totale qui s’offre à nous est très séduisante, avec la carrière prospère, l’indépendance absolue et la perpétuelle nouveauté qu’elle suggère. Je suis le premier à être tenté. Mais je suis aussi de ceux qui croient que la valeur de l’expérience humaine est profondément diminuée si elle n’est pas partagée.

Il se peut que le soubresaut historique que nous traversons actuellement soit simplement le présage d’une renaissance ou d’une modernisation de l’idéal amoureux. Comme il se peut qu’il marque le début d’une ère d’éternels célibataires, la fin de la famille nucléaire et l’accélération d’une société d’individus technologiquement connectés, mais détachés sur le plan émotif, cordés dans des microcondos de verre et de béton.

Nous avons maintenant un pied de chaque côté de la ligne. Difficile de prédire quel chemin nous choisirons. Balayerons-nous à gauche ou à droite?


Né à Montréal en 1988, Étienne Mérineau est concepteur-rédacteur publicitaire. Lauréat de nombreux prix de création, il est depuis près de deux ans membre associé de l’International Academy of Digital Arts and Sciences de New York et membre du jury des Webby Awards, un concours international qui récompense chaque année le meilleur du web. Il s’intéresse à l’impact des nouvelles technologies sur les relations humaines.

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