Houston, nous avons un défi

Caroline Allard
Publié le :
L’analyse du langage

Houston, nous avons un défi

Nous affrontons de moins en moins de problèmes, mais relevons de plus en plus de «défis». Que se cache-t-il derrière ce glissement?

En lisant le dernier bulletin de ma cadette, j’ai appris qu’elle n’avait pas de problème, mais plutôt un «défi»: mieux gérer son temps de travail. Intriguée par le choix du vocabulaire, j’ai demandé à un ami si son entreprise faisait face à des problèmes ou à des défis. «Nous avons des défis», m’a-t-il répondu avant d’ajouter: «Ça, c’est ce que je dis à mes employés. Moi, je sais que nous avons des problèmes.»

Dans plusieurs contextes, le mot défi tend à détrôner problème. Si le second traine avec lui une réputation d’enquiquineur, le premier nous fait rêver d’aventures et d’exploits hors du commun. Parler de défi plutôt que de problème adoucirait un choc, donnerait un spin positif à une mauvaise nouvelle, motiverait les troupes.

Mais pourquoi relever un défi est-il plus motivant que résoudre un problème? D’abord, le défi implique une notion de choix. Lorsqu’un défi nous est lancé, on peut choisir de s’y attaquer ou non. Le problème, lui, possède un caractère inéluctable: quand on a un problème, il faut le résoudre—et d’habitude, ça presse. Derrière cette notion de choix se cache aussi l’idée selon laquelle le défi ne remplit souvent aucune fonction névralgique. Ce peut être de courir un marathon ou de jongler avec des assiettes chinoises. Si l’on réussit, tant mieux—sinon, on n’a qu’à changer de défi. Avoir un défi plutôt qu’un problème donnerait donc l’impression d’un plus grand contrôle de la situation. Cela dit, une entreprise éprouvant des difficultés avec son fonds de roulement peut choisir de parler de défi, il reste qu’elle fait face à un sacré problème. Et parions que si Jack Swigert s’était exclamé avec enthousiasme: «Houston, nous avons un défi!», ça n’aurait trompé personne.

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Traditionnellement, le défi revêt aussi une connotation physique, souvent sportive. Pensons au Cyclo-Défi contre le cancer, au Grand défi Pierre Lavoie, au défi J’arrête, j’y gagne! destiné à combattre la cigarette. Dans la définition même du mot défi, il y a un «appel à se mesurer», une référence à la compétition qui titille notre envie primitive du corps à corps. Ce côté exalté du défi, cette effervescence manquent cruellement au problème. Le problème du problème, c’est qu’il est trop intellectuel. Le problème est «une question à résoudre par un raisonnement scientifique». Avouez que si l’on vous invite à choisir entre la sècheresse du raisonnement scientifique et l’adrénaline d’une arène de boxe, vous demanderez spontanément: «Où sont mes gants?»

En recevant le bulletin de ma fille, du haut de mon autorité parentale parfois chancelante, je l’ai interrogée pour comprendre quel était le problème avec la gestion de son temps de travail. Était-elle trop lente? Dans la lune? À son habitude, elle n’en avait aucune idée. Et c’est là tout le problème du défi: on voit les choses d’un œil plus positif, certes, mais à tant insister sur le combat à mener, on risque d’oublier les raisons pour lesquelles on doit lutter.

Alors, devrions-nous avoir des problèmes ou des défis? Peut-être faut-il simplement nous dire, comme mon copain entrepreneur, que «le défi, c’est de régler nos problèmes». 


Caroline Allard est l’auteure des Chroniques d’une mère indigne, du livre illustré Pour en finir avec le sexe (Septentrion) et du roman Universel Coiffure (Coups de tête). Ex-doctorante en philosophie, elle délaisse parfois l’humour pour revenir à ses anciennes fréquentations, dont l’analyse du langage.

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