Huit conseils pour anéantir le pouvoir des trolls

Marie-Claude Élie-Morin
Photo: Connor Danylenko
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Huit conseils pour anéantir le pouvoir des trolls

Ils polluent les fils de discussion avec des propos incendiaires pour le plaisir de provoquer. Ils tiennent des blogues ou des comptes Twitter sur lesquels ils se permettent de publier n’importe quoi sur n’importe qui, se réjouissant des réactions choquées qu’ils récoltent. On les appelle les trolls. Devant ces personnages insultants, harcelants, misogynes, racistes ou ignorants, la sagesse populaire veut que l’on feigne l’indifférence et, surtout, que l’on ne réplique pas. «Don’t feed the trolls», nous dit-on.

Or, quelques voix s’élèvent maintenant pour réclamer que l’on cesse de jouer à l’autruche. C’est le cas de Steph Guthrie, militante féministe canadienne, qui présentait récemment une allocution TED intitulée The Problem with «Don’t Feed the Trolls». Encourager le silence par rapport à des comportements que l’on juge inacceptables donne le beau jeu aux trolls, qui ont l’impression que leurs opinions sont plus populaires qu’elles ne le sont en réalité, affirme-t-elle. Mais comment répondre intelligemment, sans se perdre en guéguerres futiles? Martin Lessard, blogueur et chroniqueur techno, et Nellie Brière, stratège en médias sociaux à la CSN et pour le regroupement Les Inclusives, ajoutent leurs conseils aux idées de Steph Guthrie. Résumé.


Cesser de croire que le web va s’autoréguler comme par magie

Une vision utopiste de l’internet, qui persiste depuis sa création, veut que la moyenne des utilisateurs parvienne à contrôler son comportement. Les excès haineux ou violents se résorberaient donc d’eux-mêmes progressivement. Ce n’est malheureusement pas le cas, et les corps policiers investissent encore peu de ressources pour combattre le harcèlement ou la diffamation en ligne, concentrant plutôt leurs efforts dans certaines zones sombres ciblées du web, comme la pornographie infantile.


Appeler un chat un chat

En désignant comme du trolling ce qui est en fait du sexisme, de la misogynie ou du racisme, on minimise la -gravité des propos tenus par certaines personnes. Plus encore, on sous-entend que ce problème est propre au monde virtuel, qui apparait dès lors comme un univers parallèle où les règles sociales ne sont pas les mêmes.


Se servir du web pour documenter l’inacceptable

Toute action sur le web laisse inévitablement des traces. Certains s’en servent pour compiler les propos sexistes, racistes ou haineux qu’ils -rencontrent. Des fils Twitter agrégateurs, comme Yes, You’re Racist ou Everyday Sexism (en français, #sexismeordinaire), par exemple, en recensent chaque jour des dizaines—démonstration assez efficace de l’éducation qu’il reste à faire en matière d’égalité entre les sexes et entre les humains en général.


Combattre la distance sociale créée par le web

Bien cachés derrière leur écran d’ordi-nateur, plusieurs individus se permettent d’insulter des inconnus ou de tenir un discours qu’ils n’auraient pas le courage de défendre en face à face. Il peut être utile de rappeler aux trolls les possibles conséquences négatives de leurs propos «dans la vraie vie», s’ils -venaient aux oreilles de leurs employeurs potentiels, de leurs familles, de leurs collègues, etc. On peut aussi carrément signaler les propos violents ou diffamatoires aux autorités, dans le but de faire «bloquer» les personnes.

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Faire bon usage de son réseau personnel

Les trolls et autres commentateurs de bas étage espèrent une réaction de la part de leur auditoire: en d’autres mots, ils se donnent en spectacle. Or, nous possédons tous un réseau au sein duquel nous pouvons offrir une contreperformance. Si nous sommes agressés personnellement sur le web, ce même réseau—lorsque bien entretenu—peut se porter à notre défense; il peut aussi asséner des répliques massives aux propos que l’on voudrait contrecarrer.


Soigner sa présence sur le web

Dans un système démocratique, on peut garder ses opinions pour soi et se contenter d’aller voter tous les quatre ans. Or, le web impose un tout autre comportement. Ne pas être présent sur les réseaux sociaux, ne pas alimenter ou mettre à jour ses profils et ne pas commenter le fil d’actualités des autres équivalent à ne pas exister, tout simplement. La meilleure façon de faire contrepoids à des opinions ou à des contenus dérangeants est d’occuper à son tour l’espace public en faisant valoir ses propres valeurs, opinions et arguments.


Éduquer les générations futures

Aucun cours officiel n’existe pour apprendre aux enfants à construire leur identité et à se comporter dans l’univers parfois cruel du web. Et pourtant, l’utilisation des réseaux sociaux entraine de facto une obligation de se façonner un discours, une image publique, une personnalité en ligne. Il serait pertinent d’enseigner aux générations futures les ramifications de la communication, du respect d’autrui et de l’éthique sur les plateformes publiques.


Réfléchir à l’avenir de la liberté d’expression

Le web permet une liberté -d’expression magistralement supérieure à celle qu’offrent les médias traditionnels, qui, on le sait, présentent trop -souvent un discours unique et conservateur. Le libre partage d’informations et de points de vue est un phare d’espoir pour l’humanité: grâce à lui, des soulèvements populaires contre des -régimes tyranniques ont pu s’organiser et des enjeux sociaux d’importance ont été mis au jour. Mais les progrès technologiques ont rendu désuets certains -aspects de nos lois encadrant la liberté d’expression, créées à une époque où le web n’existait pas. À l’heure où tout le monde possède une tribune, devrait-on réviser ce concept? Si je publie une blague sexiste en ligne, par exemple, où s’arrête ma liberté de faire de -l’humour et où commence ma responsabilité personnelle? Et si je re-tweete cette même blague sexiste dans le but de la dénoncer, suis-je en train de lui -offrir une visibilité accrue? Une réflexion sur l’éthique et la liberté d’expression s’impose. 


Marie-Claude Élie-Morin est journaliste indépendante et travaille également comme recherchiste pour des projets documentaires télévisés. Elle s'intéresse à l’humain en général et à tout ce qu’il fabrique, invente, mange, pense et dit.

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