Jonathan Pedneault: joindre le geste à la parole

Tristan Malavoy
Photo: Adil Boukind
Publié le :
Visages du Québec Nouveau

Jonathan Pedneault: joindre le geste à la parole

Le parcours de ce globetrotteur, jusqu’à tout récemment cochef du Parti vert du Canada, est digne d’un roman d’aventure. Portrait d’un rêveur pragmatique qui refuse d’assister en spectateur aux dérives du monde.

Alors qu’il est en secondaire 3, Jonathan Pedneault doit préparer un exposé oral sur une problématique humanitaire. Il vient tout juste de voir le film Hôtel Rwanda, qui l’a beaucoup marqué, alors il choisit pour sujet le génocide rwandais de 1994. Ses recherches le bouleversent, il réalise à quel point les humains ont le potentiel de faire souffrir d’autres humains. «L’exposé devait durer dix minutes, finalement j’ai parlé pendant près d’une heure. Personne ne m’a arrêté, ni le professeur ni les élèves», se souvient-il aujourd’hui, conscient que sa jeune vie venait alors de prendre un tournant.

Cette ferveur le mène rapidement à créer, avec quelques autres étudiant·e·s de l’école Jacques-Rousseau, à Longueuil, une petite association visant à sensibiliser la population aux notions de crime contre l’humanité et de droits de la personne. «J’ai ressenti le besoin de faire quelque chose, avec les moyens que j’avais. Au fond, ce besoin ne m’a jamais quitté.»

À 17 ans à peine, Jonathan Pedneault part pour le Soudan, où des tensions ethniques ravagent la région du Darfour. Il y coproduira un documentaire pour la CBC, avant d’enchainer les reportages pour le magazine L’actualité, notamment en Somalie, au Yémen et en Israël. Il entreprend ensuite des études en philosophie et en science politique, mais le terrain lui manque, il choisit de se consacrer au journalisme. En 2011, alors qu’il est au Caire pour couvrir la révolution de la place Tahrir, il est tabassé dans une manifestation qui tourne au vinaigre puis brièvement emprisonné, avant d’être expulsé d’Égypte. Des aventures et mésaventures qu’il a connues, on pourrait faire une longue liste, le chapitre le plus tragique étant assurément la mort de son amie Camille Lepage, photographe de guerre française tuée en Centrafrique en 2014, à 26 ans, alors qu’elle documentait les violences entre différents groupes armés, exacerbées par la défaite du président Bozizé quelques mois plus tôt. «C’était une amie proche, nous avions travaillé ensemble. C’est moi qui ai fait les démarches pour que sa famille récupère son corps… Cette mort-là me hante depuis.»

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Il n’a pas encore la mi-vingtaine, mais il sait maintenant que les drames dont il se fait le témoin peuvent le toucher directement. Son désir d’agir grandit en même temps que sa clairvoyance devant les brisures du monde. En 2015, il rejoint les rangs d’Amnistie internationale, qui le charge d’enquêter sur la protection des civil·e·s en Centrafrique et sur les abus sexuels commis par les forces de maintien de la paix de l’ONU. Un an plus tard, le voilà à Human Rights Watch, chercheur pour la division Crises et conflits.

Maintenant âgé de 34 ans, Jonathan tente de changer le monde autrement. En novembre 2022, le ticket qu’il forme avec Elizabeth May remporte la course à la direction du Parti vert du Canada. Un passage en politique qui s’est terminé de façon abrupte en juillet dernier, alors que le jeune homme, toujours non élu et déçu de la difficulté de convertir ses idéaux en résultats concrets, annonçait sa démission. «Le jeu politique n’allait pas de soi pour moi, mais j’ai tenu à expérimenter ce mode d’action, pour voir ce qui pouvait en sortir. Ça a été une expérience riche et j’y reviendrai peut-être un jour, même si j’espère ne jamais devenir un “vrai” politicien!» Quand on lui demande ce qu’il entend par là, la réponse est cinglante: «Le terme politicien est devenu hyper galvaudé, malmené. Il devrait avant tout signifier se préoccuper de la polis, la cité, et travailler à son épanouissement, mais la politique est devenue le domaine de vendeurs de chars usagés qui y servent les intérêts des plus puissants au détriment de la cité.»

«Le jeu politique n’allait pas de soi pour moi, mais j’ai tenu à expérimenter ce mode d’action, pour voir ce qui pouvait en sortir.»

Derrière cet engagement, qu’il poursuivra désormais en tant que conseiller pour le NOREF, un centre international de résolution de conflits basé à Oslo, la conviction qu’au-delà des gestes ciblés, nos sociétés ont plus que jamais besoin de changements structurels. Pour lui, les problèmes actuels, du côté de l’environnement comme des inégalités sociales, sont la résultante de décisions qui ont été prises il y a longtemps. «Et surtout de décisions qui n’ont pas été prises, nuance-t-il. Tout ça me rend pessimiste, je ne le cache pas, je ne suis pas un adepte des lunettes roses. Mais je veux faire ma part pour corriger des erreurs faites il y a des décennies.» Il est notamment convaincu qu’on ne peut pas régler les crises environnementales sans réduire les inégalités et créer des économies de proximité, qui sont plus résilientes aux chocs externes à venir. «Concrètement, ça veut dire arrêter de financer les pollueurs avec l’argent public, taxer les grosses entreprises et les plus riches d’entre nous et redistribuer l’argent pour stimuler l’entrepreneuriat circulaire et une économie à taille humaine qui contribue au bénéfice de la société plutôt que l’inverse.»

Infatigable globetrotteur, Jonathan Pedneault n’en est pas moins profondément enraciné à Montréal. «C’est la plus belle ville d’Amérique du Nord, croit-il. Elle est en avance sur bien d’autres en matière de gouvernance, de cohabitation de familles linguistiques et culturelles que beaucoup de choses pourraient éloigner. Rien n’est parfait, mais on cultive ici un vivre-ensemble qui tranche dans un continent où ce vivre-ensemble n’est pas priorisé.» Il se plait à voir dans la métropole un exemple pour les villes de demain. «Mais pour ça, il est important que Montréal continue de se laisser définir d’abord par celles et ceux qui l’habitent.» •


Écrivain, chroniqueur et scénariste, Tristan Malavoy a notamment fait paraitre le roman L’Œil de Jupiter (Boréal, 2020) qui a remporté le prix France-Québec 2021. Il dirige aux Éditions XYZ la collection Quai no 5 et poursuit depuis 2021 un doctorat en recherche-création à l’Université du Québec à Chicoutimi, où il donne des cours de création littéraire. Son essai «Les mammifères et les pissenlits» est paru dans Nouveau Projet 08.

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