Maitre Turgeon et son canot

Jean-Lou David
Photo: William B. Daigle
Publié le :
Visages du Québec nouveau

Maitre Turgeon et son canot

Un jeune avocat d’Amos brandit la richesse naturelle et culturelle de sa région natale pour résister au développement industriel tous azimuts.

L’avenir économique de la région apparait, depuis plusieurs années—et pour faire changement—, comme une radieuse promesse dorée à laquelle certain·e·s se cramponnent comme à la venue du Messie. Certain·e·s autres, pourtant, osent interroger ce qu’il nous en coute de toujours sacrifier ce que nous avons de plus précieux à de fausses idoles. En pays minier, le militantisme écologique est une chose si infiniment précieuse que l’émergence d’une nouvelle voix disruptive nous fait parfois l’effet d’une bouffée d’espoir. Pour parler comme Richard Desjardins, il y a, certes «la Mecque et pis l’Islam/ nous aut’ dans not’ région/ c’est la muck pis la slam».

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Natif d’Amos, le jeune auteur, avocat et biologiste de formation Rodrigue Turgeon nous redonne de l’espoir. Coresponsable du programme national à MiningWatch, organisme chien de garde qui sensibilise la population aux impacts de l’exploitation minière, il apporte une droiture et une rigueur nouvelles aux luttes environnementales qui nous opposent aux grands groupes extractivistes. Nous sommes nombreux·euses, à tout le moins à Rouyn-Noranda, à avoir découvert Rodrigue lors des assemblées publiques suivant l’annonce des expropriations dans le dossier de la Fonderie Horne. Est-ce simplement la dignité que l’on prête à sa profession d’avocat, la grande probité qu’il dégage ou le calme sérieux avec lequel il parle, je l’ignore, mais sa présence, parmi nous, aux audiences publiques, consultations, séances et autres exercices de communication corporative (où il s’agit bien souvent de nous faire prendre des vessies pour des lanternes) a quelque chose de sécurisant. Pour beaucoup, elle est un gage de la légitimité de nos luttes, elle nous donne un surcroit de confiance dans la validité de nos colères.

S’il a pu nous apparaitre comme un roc, il me confie toutefois qu’il se sent vulnérable dans la posture de l’expert, se raccrochant, lui aussi, aux quelques moyens qu’il a pour faire pression sur les décideur·euse·s afin de rassurer une population inquiète ou dévastée. Son courage, surtout, nous étonne. «Lorsqu’on prend conscience du niveau de destruction qui a cours ici, me dit-il, ne pas agir n’est pas une option.»

Bien qu’il admette vivre des déceptions, «à l’endroit des élus qui sont trop souvent en faillite face aux intérêts des grandes compagnies», il reste un infatigable batailleur. Il se félicite d’ailleurs, en gars du coin qu’il est, d’évoluer dans un milieu où l’on peut encore se parler. «En Abitibi, il demeure une forme de candeur, une capacité à communiquer avec un entourage qui est immédiat. On est forcé d’évoluer avec la masse de nos opposants idéologiques, ce qui rend la tâche compliquée, oui, mais bien plus humaine aussi.»


Assommé par la rédaction de mémoires et de dossiers techniques pointilleux, Rodrigue sait pourtant s’ébouriffer la plume lorsque vient le temps de nous faire débouler un rapide avec lui au nord du 50e parallèle, quelque part sur la majestueuse Nanikana, notre grand fleuve du Nord auquel il vient de dédier un livre. Parue aux éditions L’Esprit libre, cette œuvre hybride, à la confluence de l’essai et du journal d’aventures, nous amène en canot sur les chemins d’eau et les portages millénaires de la nation anichinabée.

Le récit d’aventures nous transforme nous aussi au contact de cette «merveille de la nature», comme il l’appelle, avant de se raviser. «C’est trop faible, c’est un héritage culturel sacré!» ajoute-t-il, évoquant par là l’attachement intemporel des premiers peuples à ce cours d’eau majeur.

Rodrigue nous y inculque, là encore, un peu de sa combattivité. «Il faut absolument faire reconnaitre Nanikana comme une aire protégée. C’est un joyau, affecté depuis un siècle par l’exploitation minière et la coupe à proximité, mais il est encore temps d’infléchir cette tendance-là!» 


Jean-Lou David vit à Rouyn-Noranda, où il est chercheur en histoire. Depuis 2020, on a pu le lire dans plusieurs médias et revues littéraires. Il a cosigné l’essai Arsenic mon amour (Quartz, 2022) sur la Fonderie Horne.

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