Guillaume Pelland: comme un sage

Elisabeth Cardin
Photo: Nancy Guignard
Publié le :
Visages du Québec nouveau

Guillaume Pelland: comme un sage

Le fondateur de Paysage gourmand déploie son expertise au croisement de l’horticulture ornementale et du maraichage.

Agenouillé dans le lichen à caribou, tout près d’une talle de camarines et d’une autre d’airelles vigne-d’Ida, le petit Guillaume est, sans le savoir, en train de vivre une expérience qui s’inscrira à tout jamais comme un repère précieux dans la marche de son existence. Sur cette Côte-Nord sauvage, rien ne peut le distraire, même pas la plus achalante des mouches noires. L’enfant-cueilleur est trop occupé à ramasser des baies pour sa mère, qui les transformera (enfin, il l’espère) en tarte.

Guillaume est comme la plupart des autres enfants montréalais, avec peut-être une chance supplémentaire: ses parents l’emmènent chaque été visiter les plus beaux paysages québécois. Si les conditions le permettent, il cueille, pêche, mange, vibre et prend racine. Et toutes ces richesses, qui le pénètrent par les pores, allument en lui un feu sacré. Ceux et celles qui en sont habité·e·s le reconnaitront; c’est un feu qui éclaire et qui réchauffe, une braise sur laquelle il fait bon cuisiner, une flamme qui donne envie de protéger son territoire et de brandir le flambeau de la révolution. Les genoux dans le lichen et la bouche tachée de rouge, le petit Guillaume ne se doute pas qu’il deviendra un leader de l’aménagement paysager comestible.

Je ne vous apprendrai rien, les artistes semblent pouvoir interpréter les messages importants que l’univers nous envoie. Mais comment choisir le bon médium pour exposer ces nécessités collectives au grand jour? Guillaume Pelland aurait pu choisir un autre sentier. L’éveil à la musique—à coup de tounes d’Harmonium dans les speakers de l’automobile familiale—est arrivé en même temps que l’amour de la nature qui se mange. Avant de s’inscrire à l’Institut de technologie agroalimentaire de La Pocatière, Guillaume se produit avec son groupe, les Gardiens potagers, sur les planches du Café Campus et du Club Soda. Mais alors qu’il s’apprête à sortir un premier album, il choisit de répondre à l’appel de la terre et quitte la ville pour étudier la production horticole dans le Bas-Saint-Laurent.

Deux-mille-six. Guillaume Pelland se souvient bien de cette époque. Un collègue, qui vit dans une petite cabane sur une petite terre, l’initie à la permaculture. «Wow. Créer un environnement nourricier où chaque élément—l’humain compris—est en équilibre avec les autres composantes de son écosystème, ça se pouvait. À l’école, on nous apprenait l’ornemental d’un bord, et le maraicher de l’autre. Je me demandais: pourquoi pas les deux en même temps?»

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 Cette ambition, bien posée au creux de son baluchon, mène Guillaume vers des expériences fondatrices. À sa sortie de l’école, il fait d’abord ses armes au Jardin des Pèlerins à Saint-André-de-Kamouraska, puis sur une ferme maraichère d’Hemmingford. Guillaume démarre ensuite sa première entreprise, Floro, spécialisée en production et transformation de fleurs comestibles. C’est le début d’un important travail de pionnier et la confirmation d’un objectif clair: faire en sorte que tout le monde puisse manger son aménagement paysager, de la racine jusqu’au fruit.

En 2013, le jeune homme s’installe à Rawdon, dans la région de Lanaudière, et fonde Paysage gourmand. L’idée? Produire des végétaux à la fois ornementaux et comestibles et créer des aménagements nourriciers pour démocratiser l’agriculture et soutenir la sécurité alimentaire. Un défi que relève admirablement l’entrepreneur depuis plus d’une décennie.

Le terme entrepreneur tout court rend toutefois Guillaume mal à l’aise. «Je dirais plus que je suis un entrepreneur social. Je me vois comme un artiste investi d’une mission, qui doit passer par l’entreprise pour parvenir à la réaliser.» Mais être missionnaire a un cout: défoncer les portes blindées du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec n’est pas de tout repos. Guillaume buche dur pour que les activités de Paysage gourmand—malgré leur caractère résidentiel ou commercial—soient reconnues comme agricoles par le gouvernement et, donc, subventionnables.

«Bien sûr que c’est de l’agriculture qu’on fait! À petite échelle, mais de l’agriculture quand même. Il faut simplement s’adapter aux besoins des gens et aux contraintes de l’espace. La clé du succès, c’est de cultiver la bonne plante au bon endroit et pour la bonne personne.»

Guillaume et l’équipe de Paysage gourmand font tomber les frontières du comestible en intégrant des aliments partout où il est possible de le faire. N’est-il pas vrai que de côtoyer des aliments bruts et vivants nous sensibilise à leur nature propre, à leur valeur réelle et aux impacts de nos choix alimentaires sur notre société? Guillaume Pelland a une opinion claire sur le sujet. Pour agir positivement sur le monde, il faut réintégrer le jardinage et la cuisine—entre autres choses—dans nos vies.

Pelland rêve d’un Québec qui cultive, qui cuisine, qui transforme et qui conserve. Un Québec qui reprend le pouvoir de sa propre alimentation et qui renoue avec ses saisons. Et en attendant que les instances gouvernementales emboitent le pas à l’autonomie alimentaire, Guillaume Pelland, malgré les mouches noires qui l’achalent, continue de nous offrir des espaces qui nous ressemblent et qui grandissent.


Elisabeth Cardin cherche à tisser des liens entre le territoire et les communautés au moyen d’une alimentation plus respectueuse des écosystèmes, naturels et humains. Elle est l’autrice de notre Document 19, Le temps des récoltes (2021).

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