La nouvelle scène historique

Nicolas Langelier
Publié le :
Intro

La nouvelle scène historique

Alors que les frontières se referment et que grandissent la peur de l’autre et le désir de nous retrouver «entre nous», quel espoir y a-t-il pour l’entraide dont nous avons si cruellement besoin, en ce moment critique?

— Ah! monsieur de Champlain, je voudrais bien que nous pussions voir le Canada dans deux ou trois cents ans!

— Eh! qu’y verrions-nous? demanda le marin ému et souriant.

— Ce que nous y verrions? dit lentement le missionnaire. La Croix partout adorée, la forêt transformée en villes florissantes, en campagnes prospères, et, dans ce beau grand pays neuf, un peuple jeune, parlant la vieille langue française.

Laure Conan, «Silhouettes canadiennes»

La tradition de toutes les générations défuntes est un cauchemar qui pèse sur le cerveau des vivants. Même au moment précis où ils paraissent s’employer à se transformer eux-mêmes, à bouleverser les choses, à créer ce qui n’a jamais existé encore, précisément à ces époques de crise révolutionnaire, inquiets, ils évoquent en leur faveur les esprits du passé, leur empruntent leur nom, leur cri de guerre, leur costume pour jouer sous ce déguisement d’une antiquité respectable et dans cette langue empruntée une nouvelle scène historique.

Karl Marx, «Le 18 brumaire de Louis Bonaparte»

C’est ce que nous faisons, c’est ce que nous avons toujours fait: accorder notre confiance aux gens qui nous ressemblent. Ceux que nous comprenons et qui nous comprennent. Ceux avec qui nous partageons une langue, une religion, un lointain et possiblement imaginaire ancêtre commun, une équipe sportive préférée.

C’est à ces gens-là que nous pouvons accorder notre confiance, alors que le monde est parsemé de dangers et qu’il est nécessaire de se protéger, de se serrer les coudes, de hisser le pont-levis; se réfugier dans la sécurité relative du hameau ou de la ville fortifiée ou de la nation ethniquement homogène, culturellement cohérente. Nous avons nos codes, nos non-dits instantanément compris, nos souvenirs partagés, juste à nous.

En face de nous, il y a et il y a toujours eu l’autre. Ses allures étranges, ses chansons étranges, ses coutumes qui dépassent l’entendement. L’autre, porteur de menaces et sans doute de maladies, transmetteur d’idées dangereuses et de morale corruptrice.

L’autre, aussi, a toujours été un écran sur lequel il est aisé de projeter notre sentiment de supériorité. L’autre est peut-être moins intelligent, ou cultivé, ou bien membré. Il est peut-être plus paresseux, ou désorganisé, ou malodorant. L’autre est le baromètre de notre spécificité; sans lui, nous avons moins de raisons d’être nous.

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