Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme
L’effondrement arrive, a même possiblement déjà commencé. Plutôt que de nier le désastre, il est temps de préparer la suite en y consacrant tout ce qui nous reste de capacité à rêver.
Comment notre époque peut-elle en même temps sembler aussi spectaculairement catastrophique et profondément ennuyante, par bouts?
Si tu te surprends à râler parce que tu t’ennuies… eh bien, il vaut mieux que tu te trouves quelque chose à faire plutôt que ce soit quelque chose qui te trouve.
«À quel moment est-ce qu’on devient un vieux con?» me demandait hier soir notre collaborateur Hubert Hayaud. Voulant dire: comment savoir si les choses qui nous tiennent à cœur sont propres à nous et à l’époque dans laquelle on a grandi, et qu’il serait futile, voire de mauvais gout, de tenter d’y intéresser les plus jeunes? À quoi bon vouloir les initier à des choses qui ne les touchent pas, ces nouvelles générations qui sont juste ailleurs, dans leur tête comme dans leurs habitudes?
Dans un parc Laurier caniculaire, par un crépuscule voilé par la fumée des grands feux de forêt, nous discutions de notre amour de toujours pour les magazines, et de notre profond regret de les avoir vus perdre peu à peu de leur importance culturelle, au fil des décennies, depuis les années 1980 de notre adolescence, jusqu’à devenir difficiles à trouver, en 2023, même dans une grande ville comme Montréal, qui a déjà eu ses kiosques de rue, ses commerces spécialisés, sa boutique de magazines/bistro branché ouverte 24h sur son boulevard le plus emblématique…
Hubert—à qui l’on doit par ailleurs la photo à la une du présent numéro, et celles qui accompagnent notre reportage sur Laval, plus loin—travaille encore en photographie argentique, une technologie qui a depuis longtemps été supplantée par le numérique, mais qui subsiste encore dans le cœur et l’appareil de quelques mordus en retard d’une révolution. Le magazine est-il condamné à devenir ce genre de relique d’une époque révolue, une technologie efficace et agréable à utiliser mais qui a fait son temps?
Il est permis de le penser, c’est évident. Les kiosques ont disparu, ici comme ailleurs, les commerces spécialisés aussi, et même les présentoirs des épiceries sont en train d’être remplacés par encore plus de chocolat et de grignotines sophistiquées. La semaine dernière, on apprenait que le vénérable National Geographic mettait à pied tous ses journalistes salariés et ne serait plus vendu en kiosque. Aujourd’hui même, j’apprends entre les branches qu’un grand magazine québécois est à vendre, mais que personne ne veut l’acheter, ou en tout cas personne qui aurait de l’argent à y investir. Et Nouveau Projet se trouve confronté à ces mêmes défis, bien sûr, et à d’autres encore.
Le hasard a fait que, au moment où éclatait une controverse sur nos délais de paiement, le mois dernier, j’étais au Portugal, à un gros congrès international de médias, Nouveau Projet ayant été choisi pour participer à la délégation canadienne. Face aux problèmes bien connus du milieu en général et des magazines en particulier, plusieurs solutions étaient proposées et discutées. Mais voilà, beaucoup de ces solutions reviennent à faire toutes sortes de choses qui n’ont rien à voir avec le travail habituel d’un magazine: du commerce de détail, de la consultation, de la récolte de données personnelles, de la vidéo et encore de la vidéo. Et dans à peu près tous les ateliers, dans presque chacune des conférences, l’intelligence artificielle était présentée à la fois comme la plus grande menace et la plus grande opportunité.
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Alors que les frontières se referment et que grandissent la peur de l’autre et le désir de nous retrouver «entre nous», quel espoir y a-t-il pour l’entraide dont nous avons si cruellement besoin, en ce moment critique?
À propos des véritables liens dont nous aurons besoin, au cours des temps troublés qui s’annoncent.