Les lectures d’Evelyne de la Chenelière

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Les lectures

Les lectures d’Evelyne de la Chenelière

Chaque numéro, Nouveau Projet vous permet de plonger dans l’univers littéraire de gens qu’on aime. Cette fois, les lectures de l’auteure et comédienne Evelyne de la Chenelière.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je lis relativement peu de livres. En revanche, je les lis plusieurs fois. J’aime relire. J’aime me rappeler. Retourner au livre, c’est souvent retourner le livre.

J’ai donc relu trois livres qui traitent du retour et de la remémoration comme moteurs de toute évolution. Chacun sous un angle propre, ils interrogent notre relation au passé, à la mémoire, à l’expérience qui nous précède et nous constitue.

Qu’elle soit intime, politique ou poétique, la mémoire est le véritable commencement.


L’album multicolore

Louise Dupré, 2014

C’est un récit né de la mort. 

«Elle vient de mourir, ma mère, et je ne le crois pas.»

Louise Dupré semble portée et même soulevée par un irrésistible et magnifique entêtement dans le retour. Elle s’acharne, persévère, même dans l’inconfort, même dans la douleur, à refaire, pas à pas, le chemin de l’enfance qui mène invariablement à la mort de la mère. Car c’est la mort de la mère qui met un véritable terme à l’enfance. «Désormais, on devra assumer son propre destin.»

En relisant, on découvre qu’il ne s’agit pas tant de l’histoire d’une femme écrivant sa mère, ni de celle du Québec, du temps de Duplessis jusqu’à la modernité en passant par la Révolution tranquille; c’est l’histoire d’une lignée immémoriale de mères et de filles et d’un legs insoupçonné, celui qu’on reçoit sans le voir, sans le vouloir, sans le rejeter non plus, cet héritage qui n’est ni un fardeau, ni un trésor, mais peut-être la part de soi la plus authentique.


Dans une œuvre de résistance face au pessimisme politique absolu, le philosophe fait cheminer son intuition à travers l’histoire -contemporaine pour mettre en doute ce que déplore Pasolini dans son célèbre texte L’article des lucioles, soit la disparition des lucioles dans la sphère publique. Ici, il est question des lucioles comme métaphores de l’humanité dans sa part d’«improbable et -minuscule -splendeur». Selon Pasolini, la lumière ténue de ces insectes disparaitrait dans les projecteurs aveuglants de notre siècle. Patiemment, rigoureusement, Georges Didi-Huberman défend l’idée selon laquelle «les lucioles n’ont disparu qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leurs signaux lumineux».

À la relecture de ce livre, on est tenté de croire en la survivance, malgré tout, de lueurs inattendues et intermittentes dans l’éblouissant vacarme ambiant.

Survivance des lucioles 

Georges Didi-Huberman, 2009


Les Techniciens du sacré

Jerome Rothenberg, 2008

C’est une anthologie qui célèbre les morts. 

Jerome Rothenberg a recueilli des textes et des traces de langage de tous les temps et de tous les lieux. Presque inimaginable, ce livre pulvérise les idées reçues à propos des sociétés «primitives» ou dites «sans écriture».

Comme le long voyage d’un seul poème, il met en lumière d’une manière époustouflante ce qui unit les écritures archaïques et modernes.

Relire ce livre, c’est faire face à l’émouvant vertige qu’il procure, et arpenter l’histoire poétique de l’humanité. 


Dramaturge et comédienne, Evelyne de la Chenelière se consacre au théâtre et à l’écriture depuis une quinzaine d’années. Elle privilégie la recherche et l’expérimentation. Ses pièces sont régulièrement montées à Montréal et à l’étranger, et ont été traduites en plusieurs langues. En 2011, elle a publié son premier roman, La concordance des temps.

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