Les lectures de Josée Blanchet

Photo: Dominique Lafond
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Les lectures

Les lectures de Josée Blanchet

Chaque numéro, Nouveau Projet vous permet de plonger dans l’univers littéraire de gens qu’on aime. Cette fois, les lectures de la journaliste Josée Blanchette.

Propos recueillis par Anne-Marie Luca.

Le voyage à Ixtlan

(Carlos Castaneda, 1972)

Dans ce récit philosophique au croisement de l’initiation et de la quête spirituelle, l’auteur nous raconte les leçons de don Juan, un sorcier yaqui qui lui apprend à voir le monde autrement, à travers le prisme de toutes sortes de drogues et de substances naturelles. Le rapport au temps y est complètement décalé: on parle d’un chamane dans le désert du Mexique, qui regarde pousser les cactus. La vie s’y déploie très lentement.

J’ai découvert ce livre à 16 ans, dans les années 1970, quand je l’ai reçu en cadeau de mon professeur de philosophie. J’étais mordue de philo. Je l’ai gardé dans ma bibliothèque comme fétiche de cette époque hippie, animée par un tout autre courant de pensée.


Vénus Erotica

(Anaïs Nin, 1969)

Je devais avoir 17 ou 18 ans quand je l’ai lu. À l’époque, le web n’existait pas, et on ne nous expliquait rien. Nous étions responsables de notre propre éducation sexuelle. Je glanais l’information chez des amis de mes parents ou chez la voisine flyée. Je suis tombée sur le livre alors qu’il trainait chez mon professeur de cégep avec qui je vivais, le même qui m’a fait connaitre Castaneda.

Vénus Erotica ose aborder la sensualité, l’érotisme et la liberté de façon très explicite. Avant-gardistes, ces nouvelles ont été écrites en 1940, presque 30 ans avant leur publication.

Anaïs Nin représente pour moi un modèle féministe, une femme libre. À ce titre, elle a participé à ma propre émancipation. Le sexe, ça fait partie de la vie.


La retraite sentimentale

(Colette, 1907)

J’ai oublié l’histoire de La retraite sentimentale, mais j’aurais pu choisir n’importe quel roman de Colette, parce que chacun d’eux recèle un petit quelque chose qui ne m’a pas laissée indifférente. On sent qu’ils sont inspirés de son expérience.

J’ai découvert l’auteure dans ma vingtaine. Elle m’a formée et me suit encore aujourd’hui. Je peux la relire comme si je ne l’avais jamais lue. C’est du bonbon, et ses mots, je les savoure.

Encore plus que la plume de Colette, ce sont sa sensualité, sa sensibilité et le regard qu’elle pose sur la nature, les animaux, les hommes et les femmes qui me touchent. Elle a eu une vie fascinante, et bien qu’elle appartienne à une autre époque, je m’identifie à elle, sans pouvoir tout à fait m’expliquer cette connivence. Le mot qui me guide depuis toujours, c’est «liberté». Je le retrouve chez elle.


Faut-il manger les animaux?

(Jonathan Safran Foer, 2009)

Véritable coup de poing, cet essai m’a incitée à redevenir végétarienne. Je devais le lire dans le cadre du travail; je ne me doutais pas alors qu’il aurait cet effet sur moi. L’auteur y mène une enquête journalistique visant à mettre au jour la sombre réalité de l’industrie de l’élevage. Il s’est promené partout, a interviewé des gens, visité des abattoirs.

Pendant un an, à la suite de ma lecture, j’étais très engagée, je dérangeais beaucoup. Puis j’en ai eu assez de perdre la bataille: la consommation de viande fait partie intégrante de notre culture et je ne me sentais pas de taille à changer le paradigme à moi seule. Pourtant, j’échange maintenant des recettes avec mes amis, qui troquent peu à peu la viande pour les légumes et se montrent de plus en plus sensibles aux enjeux de l’élevage. J’ai constaté une évolution indéniable autour de moi, mais ce livre n’en reste pas moins pertinent.


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Mourir m’arrive

(Fernand Durepos, 2004)

Ce recueil de Fernand Durepos, un de mes poètes favoris, constitue son ouvrage le plus accompli à mes yeux. Comme son titre, magnifique à lui seul, ses mots nous poignardent, nous parlent d’amour, de désespoir, de mort; des thèmes fondamentaux qui nous rassasient.

Pour moi, la poésie, c’est quelque chose qu’on lit seul. Et quand on lit des gens aussi déchirés et troublés que Fernand Durepos, ils nous tiennent compagnie dans notre solitude. Et je me suis sentie moins seule.

La poésie tire parti d’une économie de moyens, d’une efficacité qu’on ne retrouve pas dans un roman: chaque mot compte. On peut en faire 1000 lectures et garder de chacune d’elles un sentiment différent. Si je devais choisir quelques livres pour accompagner mes derniers jours, ce seraient des recueils de poésie. 


Josée Blanchette est une chroniqueuse indépendante qui trempe sa plume dans l’encre du quotidien Le Devoir depuis plus de 30 ans. On peut également l’entendre chaque semaine au micro de Paul Arcand. Par devoir et par plaisir, elle lit beaucoup de livres et s’étonne qu’on n’en tire pas davantage de leçons.

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