Les lectures de Cathy Wong

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Les lectures de Cathy Wong

Chaque numéro, Nouveau Projet vous permet de plonger dans l’univers littéraire de gens qu’on aime. Cette fois, les lectures de la présidente du Conseil des Montréalaises, Cathy Wong.

L’avalée des avalés

(Réjean Ducharme, 1966)

La phrase inaugurale du roman, «Tout m’avale», traduit exactement le sentiment qui m’habitait quand je l’ai lu, à 16 ans. Tout me révoltait, tout m’éblouissait. Tout était trop.

Bérénice Einberg, le personnage principal, est une jeune adolescente. Contestataire, en quête de liberté, elle se trouve au cœur d’un conflit entre son père juif et sa mère catholique. Moi, j’étais déchirée entre la maison, de tradition chinoise, et l’école québécoise. Dans un cas comme dans l’autre, c’étaient deux univers qui s’entre-choquaient. Je me rappelle avoir signé les lettres que j’envoyais à mes amies du nom de Bérénice Einberg. J’étais elle. Elle incarnait et légitimait mes émotions.

Ce livre a été publié dans les années 1960, au moment où les Québécois s’émancipaient de leurs institutions religieuses, de leurs valeurs conservatrices. Le parcours de Bérénice était également celui du Québec de la Révolution tranquille.

Si on comprend ce personnage, on comprend mieux le Québec.


Les lettres chinoises

(Ying Chen, 1993)

Ying Chen raconte ici l’histoire d’amour épistolaire entre Yuan, tout juste arrivé à Montréal, et Sassa, restée à Shanghai. Ce qui m’a le plus interpelée, c’est la question de la mobilité—physique, bien sûr, mais surtout émotionnelle et morale. Yuan adopte progressivement des valeurs occidentales, et les confronte, dans son échange avec Sassa, à celles de ses origines. C’est une dualité extrêmement évocatrice pour moi, parce que c’est ce que j’ai vécu avec ma famille. Et c’est ce que ma famille, voyageuse malgré elle, a vécu aussi: mes grands-parents ont fui la Chine pour se réfugier au Vietnam, puis mes parents ont quitté le Vietnam pour s’établir à Montréal. Ce livre m’a permis de mieux comprendre les défis de l’intégration—jongler avec ses valeurs, avoir à choisir, parfois, quand le conflit devient insoutenable. Je me suis réconciliée avec cette réalité.

J’ai dévoré tous les livres de Ying Chen. C’est ma sœur de littérature; un jour, j’irai cogner à sa porte.


Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat

(Joséphine Bacon, 2013)

J’ai lu ce recueil il y a environ un an et demi, alors que j’étais au Vietnam dans l’espoir de mieux comprendre l’histoire de mes ancêtres. Au cours de ce voyage, je suis retournée dans la maison de mes grands-parents; j’ai vu le trou dans lequel se cachaient mon père et sa famille pendant que les bombes explosaient… J’avais Joséphine avec moi, elle qui, dans ce livre, cherche ses origines à travers la toundra. Nous étions dans un processus identique, celui de marcher sur le territoire de nos ancêtres, de recoller les morceaux de notre histoire.

Je suis particulièrement touchée par sa façon de valoriser la mémoire. Comment se souvenir d’où l’on vient, comment s’assurer que ce que nos prédécesseurs ont vécu puisse continuer de vivre à travers les générations? Quand mes parents parlent du Vietnam, ils parlent de la nourriture, de la musique—jamais des histoires de violence, du moment où l’armée est arrivée, de celui où les voisins les ont dénoncés, de l’explosion de leur voiture. Tout ça, je l’ai entendu pour la première fois là-bas, il y a un an et demi. J’ai beaucoup écrit, pour garder une trace.

Souvent, les familles qui émigrent au Québec veulent oublier, tourner la page. Joséphine, elle, boucle la boucle.


Les monologues du vagin

(Eve Ensler, 1999)

Ce livre-là a été déterminant pour moi. J’étais au cégep, mon corps changeait, ma sexualité prenait toute la place—et en même temps, c’était un sujet tabou. Le vagin, il fallait le cacher… Ce livre est arrivé à un moment où j’en avais besoin pour m’aimer.

Eve Ensler n’y évoque pas seulement la beauté et la diversité des corps féminins. Elle raconte aussi des histoires de viol, d’inceste, d’excision. J’ai beaucoup appris sur ce qu’on appelle la solidarité féminine, nécessaire dans un monde où on nous encourage, très tôt, à être en compétition. Au-delà des témoignages individuels rassemblés par Ensler, c’est une communauté qui se crée; une communauté de femmes qui parlent de leur vagin sans détour et partagent leur histoire.

C’est là que mon féminisme est né. Pour moi, il s’articule autour du corps des femmes dans l’espace public. Tout le monde veut le contrôler, le légiférer. Le jour où toutes les femmes parleront de leur vagin avec fierté, elles auront franchi un pas énorme dans leur émancipation.


Diplômée en droit, Cathy Wong est présidente du Conseil des Montréalaises et chroniqueuse au quotidien Le Devoir. Pendant 15 ans, elle a travaillé pour les YMCA du Québec, notamment dans le développement de ses programmes jeunesse. Elle a reçu de nombreux prix soulignant la qualité et la constance de son engagement dans la communauté.

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